Crédits carbone : Stellantis va payer Tesla pour polluer

Alors que l’Union européenne renforce ses exigences environnementales, des groupes automobiles comme Stellantis, Ford et Toyota se tournent vers Tesla pour acheter des crédits carbone. Une stratégie qui soulève des interrogations : est-ce un mal nécessaire ou une hypocrisie environnementale ?

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 8 janvier 2025 à 6h04
Crédits carbone : Stellantis va payer Tesla pour continuer de polluer
Crédits carbone : Stellantis va payer Tesla pour continuer de polluer - © Economie Matin
6%En 2023, le chiffre d'affaires de Stellantis a grimpé de 6%.

Le 7 janvier 2025, Stellantis, Ford, Toyota et d’autres constructeurs automobiles ont annoncé leur intention d’acquérir des crédits carbone auprès de Tesla pour respecter les nouvelles normes d’émissions imposées par l’Union européenne. Ces crédits permettent aux entreprises polluantes de compenser leurs dépassements en s’associant à des acteurs aux émissions nulles ou très faibles.

Derrière cette transaction, une réalité préoccupante émerge : alors que l’urgence climatique s’accentue, cette solution d’achat de crédits carbone apparaît davantage comme une béquille que comme une avancée.

Les crédits carbone : un mécanisme à double tranchant

Les crédits carbone sont conçus comme un outil de transition pour aider les entreprises à réduire progressivement leur empreinte écologique. Dans le cadre des règlementations européennes, chaque constructeur automobile se voit attribuer un objectif d’émission moyen basé sur les véhicules qu’il commercialise. Les constructeurs doivent atteindre une moyenne d’émission de 93,6 g/km en 2025. Ceux qui échouent à se conformer risquent des amendes pouvant atteindre 95 euros par gramme de dépassement multiplié par le nombre de véhicules vendus.

Le principe est le suivant : lorsqu’un constructeur comme Tesla, spécialisé dans les véhicules électriques, produit des voitures avec des émissions nulles, il génère des crédits carbone qu’il peut vendre à d’autres groupes moins avancés dans la transition énergétique. Ces crédits permettent alors à des constructeurs traditionnels comme Stellantis de réduire artificiellement leur moyenne d’émissions, même si leurs véhicules continuent de polluer.

Bien que ce mécanisme semble offrir une flexibilité bienvenue dans un marché complexe, il masque une réalité bien plus problématique. Les crédits carbone n’incitent pas toujours à une réduction réelle des émissions, mais permettent aux entreprises d’acheter du temps en retardant les investissements indispensables pour une transition écologique durable. En ce sens, ils s’apparentent davantage à une solution temporaire qu’à une réponse structurelle.

Pourquoi les constructeurs se tournent-ils vers Tesla ?

Les constructeurs automobiles européens sont confrontés à une pression sans précédent. Les normes européennes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) imposent des plafonds stricts d’émissions, avec des objectifs pour 2025 encore plus ambitieux que ceux fixés lors de la dernière décennie. Dans ce contexte, des groupes comme Stellantis, Toyota ou Ford peinent à aligner leurs gammes de véhicules thermiques avec les exigences réglementaires.

Stellantis, qui regroupe des marques historiques comme Peugeot, Fiat et Opel, est emblématique de cette difficulté. Bien que le groupe investisse dans le développement de véhicules électriques, la transition prend du temps, notamment en raison des infrastructures insuffisantes pour soutenir l’adoption massive de l’électrique. De plus, le coût des batteries reste élevé, rendant les voitures électriques moins accessibles pour une partie des consommateurs. En attendant de combler ce retard, l’achat de crédits carbone à Tesla s’impose comme une solution rapide et efficace pour éviter des amendes qui pourraient atteindre plusieurs milliards d’euros. En 2024, les ventes européennes de voitures électriques ont stagné à environ 16,9 %, rendant les objectifs de 25 % d’électriques en 2025 inatteignables pour plusieurs acteurs.

Tesla, de son côté, tire pleinement parti de son avance technologique. Avec une gamme entièrement électrique et des ventes en forte croissance en Europe, l’entreprise génère un surplus de crédits carbone qu’elle peut revendre à ses concurrents. Une manne financière importante pour le géant californien, qui peut réinvestir ces revenus dans la recherche et le développement, consolidant ainsi sa position dominante sur le marché des véhicules électriques.

Cependant, ce partenariat soulève des interrogations. En soutenant financièrement Tesla, des groupes comme Stellantis et Toyota contribuent indirectement à renforcer un concurrent direct. Cette dépendance pourrait devenir problématique à long terme, surtout si les constructeurs tardent à développer leurs propres solutions électriques.

Crédits carbone : une stratégie qui ne va pas dans le bons sens

Si l’achat de crédits carbone semble offrir une solution immédiate pour répondre aux exigences réglementaires, il soulève plusieurs critiques. Sur le plan environnemental, cette pratique ne contribue pas à une réduction effective des émissions. En effet, les émissions des constructeurs acheteurs restent inchangées, et seules les performances exemplaires des vendeurs comme Tesla permettent de compenser cette inaction.

Critères Achat de crédits carbone Investissement dans l'électrique
Coût immédiat Élevé mais prévisible Très élevé, dépend des infrastructures
Impact environnemental Faible à court terme Positif à moyen et long termes
Temps nécessaire Immédiat Plusieurs années
Dépendance Renforce la dépendance aux leaders électriques Renforce l’autonomie technologique

Cette situation pose également un problème éthique. En misant sur des crédits carbone, les constructeurs donnent l’impression de répondre aux normes tout en évitant de transformer en profondeur leur modèle industriel. Cela revient à externaliser leurs efforts, plutôt que de les intégrer directement dans leur stratégie. Certains experts dénoncent une hypocrisie écologique qui pourrait nuire à la crédibilité des engagements environnementaux des entreprises concernées.

Sur le plan économique, cette dépendance à Tesla pourrait avoir des conséquences à long terme. En retardant leurs investissements dans l’électrique, les constructeurs risquent de se retrouver dépassés technologiquement, ce qui pourrait fragiliser leur position sur un marché de plus en plus concurrentiel. Par ailleurs, le coût des crédits carbone pourrait exploser dans les années à venir, rendant cette stratégie de moins en moins viable.

Enfin, cette pratique illustre les défis plus larges auxquels est confrontée l’industrie automobile face à la transition écologique. Les constructeurs doivent jongler entre les exigences réglementaires, les attentes des consommateurs et les contraintes technologiques. Mais cette équation complexe ne peut être résolue par des solutions temporaires comme les crédits carbone. Une transformation en profondeur est nécessaire, et elle passe inévitablement par des investissements massifs dans les technologies propres et les infrastructures de recharge.

Une réponse insuffisante à l’urgence climatique

En conclusion, l’achat de crédits carbone par Stellantis, Ford et Toyota reflète les tensions entre les impératifs économiques et les objectifs environnementaux. Si cette stratégie permet de répondre aux exigences réglementaires à court terme, elle ne constitue pas une solution viable à long terme. Pour véritablement répondre à l’urgence climatique, l’industrie automobile devra dépasser cette logique de compensation et s’engager pleinement dans une transformation structurelle.

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Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint Après son Master de Philosophie, s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

2 commentaires on «Crédits carbone : Stellantis va payer Tesla pour polluer»

  • Norbert

    Totalement absurde Vive l’Europe et tous ses députés qui ne servent à rien finalement Incapables de défendre nos infrastructures noyées dans des normes qu’ils ont eux mêmes votées

    Répondre
  • Norbert

    Totalement absurde Vive l’Europe et tous ses députés qui ne servent à rien finalement Incapables de défendre nos infrastructures noyées dans des normes qu’ils ont eux mêmes votées

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