Depuis 1989, jamais les Français n’avaient aussi peu emprunté. L’endettement des ménages est en net recul, les crédits à la consommation s’effondrent et les prêts immobiliers stagnent. Pourtant, l’économie ne s’est pas effondrée, bien au contraire. Ce recul traduit-il une prudence financière salutaire ou un blocage dans l’accès au crédit ?
Les Français ont fui les crédits comme la peste en 2024

Selon les données publiées le 12 février 2025, en 2024, seuls 41,9 % des ménages détenaient un crédit, un record à la baisse depuis plus de trois décennies. La chute est particulièrement marquée sur les crédits à la consommation, qui concernent désormais moins d’un ménage sur cinq. L’Observatoire des Crédits aux Ménages (OCM), qui publie ces données, tire la sonnette d’alarme : le recul du recours à l’endettement pourrait avoir des conséquences lourdes sur l’économie. Derrière cette tendance, une réalité contrastée : un certain soulagement pour ceux qui échappent à la dette, mais aussi des ménages exclus du crédit, un marché immobilier paralysé et des achats différés faute de financements accessibles.
Banque : Le recul du crédit en France est net
Les données de l’OCM confirment un phénomène qui s’accentue année après année : la contraction du recours aux prêts. L’année 2024 marque ainsi la sixième année consécutive de baisse du taux de détention des crédits en France.
Année | Taux de détention total | Crédits immobiliers | Crédits à la consommation |
---|---|---|---|
2019 | 49,3 % | 31,1 % | 26,5 % |
2020 | 47,8 % | 30,5 % | 25,1 % |
2021 | 46,2 % | 30,0 % | 23,9 % |
2022 | 44,6 % | 29,5 % | 22,4 % |
2023 | 42,7 % | 29,8 % | 20,9 % |
2024 | 41,9 % | 29,7 % | 19,0 % |
La tendance est claire : les Français empruntent de moins en moins. Ce phénomène s'explique par plusieurs facteurs :
- Une confiance en berne dans l’avenir économique, qui pousse les ménages à réduire leurs engagements financiers.
- Une baisse des besoins en crédits pour financer des achats coûteux, notamment dans l’immobilier et l’équipement.
- Un resserrement des conditions d’octroi des prêts, qui exclut une part de plus en plus importante de la population.
L’évolution des taux d’intérêt a joué un rôle clé dans cette contraction du crédit. Après avoir atteint des sommets en 2023, les taux ont amorcé une baisse progressive fin 2024. Mais cette tendance est encore trop récente pour relancer la demande de prêts dont les taux restent relativement élevés.
Le crédit à la consommation en pleine débâcle
Le segment le plus touché reste le crédit à la consommation, qui permet de financer des achats courants comme l’automobile, les travaux ou l’équipement de la maison. Entre 2019 et 2024, le taux de détention de ces prêts a chuté de près de 8 points selon l’OCM.
Type de crédit conso | Taux de détention en 2023 | Taux de détention en 2024 | Évolution |
---|---|---|---|
Crédit auto/moto | 11,5 % | 9,8 % | -1,7 point |
Prêt personnel | 6,8 % | 5,2 % | -1,6 point |
Crédit renouvelable | 3,1 % | 2,5 % | -0,6 point |
Financements travaux | 4,2 % | 3,5 % | -0,7 point |
Les crédits automobiles sont en nette baisse, conséquence directe de la crise du marché du véhicule neuf et du durcissement des conditions d’octroi. Le prêt personnel, qui permet de financer des projets variés, recule également, traduisant une prudence des ménages sur leurs dépenses et potentiellement une prise de conscience du risque de surendettement.
Le crédit renouvelable, longtemps pointé du doigt pour ses taux élevés, est lui aussi en perte de vitesse. Cette forme de financement, autrefois omniprésente dans les grandes enseignes commerciales, est de plus en plus délaissée au profit de solutions de paiement échelonnées directement proposées par les vendeurs. Le célèbre « trois fois sans frais » qui, contrairement aux crédits, ne fait pas augmenter la facture finale.
Le marché immobilier paralysé : les crédits immobiliers en berne
Si le crédit immobilier ne s’effondre pas totalement, il stagne à un niveau historiquement bas. En 2024, 29,7 % des ménages détiennent un prêt immobilier en France, un taux quasi inchangé par rapport à 2023. Mais derrière cette stabilité apparente se cache une crise profonde du marché du logement. « Les ménages qui ont déjà un crédit immobilier le conservent, mais ceux qui voudraient acheter peinent à se financer », analyse l’Observatoire des Crédits aux Ménages. Les intentions de souscription de crédits immobiliers, elles, restent en berne. Seuls 3,1 % des ménages envisagent de contracter un prêt immobilier dans les mois à venir, bien en dessous de la moyenne historique de 4,7 %.
La raison principale de cette atonie est la frilosité des banques, qui durcissent leurs critères d’octroi en raison de l’incertitude économique et du risque de défaut de remboursement. Le marché du logement se retrouve ainsi piégé dans un cercle vicieux :
- Des prix immobiliers qui commencent à baisser, mais insuffisamment pour compenser la hausse passée des taux.
- Une demande paralysée, car les ménages attendent des conditions plus favorables avant de s’engager.
- Un blocage du marché du crédit, avec des banques peu enclines à assouplir leurs critères.
La situation pourrait se débloquer, notamment grâce à la baisse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne qui commencent déjà à avoir des effets positifs sur les taux annoncés par les banques françaises. Toutefois, la hausse des prix de l’immobilier de ces dernières années continue de freiner les intentions d’achat car les potentiels acheteurs ont perdu énormément de pouvoir d’achat et sont obligés de revoir leurs prétentions à la baisse. Ce qui, dans certains cas, peut signifier l’abandon pur et simple du projet.
Difficultés d'accès au crédit : quels ménages sont les plus touchés ?
L’Observatoire des Crédits aux Ménages met en évidence une fracture marquée entre les différentes catégories de population. Les jeunes ménages et les classes populaires sont les premiers touchés par cette restriction de l’accès au crédit.
Catégorie | Taux de détention de crédit en 2024 | Évolution 2023-2024 |
---|---|---|
Moins de 30 ans | 23,1 % | -2,5 points |
30-44 ans | 41,5 % | -1,8 point |
45-59 ans | 47,8 % | -1,3 point |
60 ans et plus | 35,4 % | -0,9 point |
Les jeunes générations sont les plus concernées. En cause, la difficulté à obtenir un premier crédit immobilier et des conditions de financement plus strictes qui limitent l’accès aux prêts à la consommation. À l’inverse, les seniors restent de grands emprunteurs, bénéficiant encore des taux avantageux des années passées et d’une situation patrimoniale stable qui leur permet de négocier de bons taux auprès des banques.
Les crédits et les Français : le désamour va-t-il s’estomper ?
Le recul du crédit en France est un phénomène profond qui ne se résume pas à une simple conjoncture défavorable. Il reflète une évolution des comportements financiers, marquée par une prudence des ménages et un durcissement des conditions bancaires.
L’année 2025 pourrait marquer un léger rebond du crédit, notamment grâce à la baisse des taux d’intérêt. Mais cette reprise reste conditionnée à une amélioration du climat économique et à une plus grande flexibilité du marché bancaire. Sans cela, le crédit pourrait bien devenir un luxe réservé à une minorité de ménages solvables, laissant une part croissante de la population sur le bord de la route.