Pilier du modèle français de gestion des autoroutes depuis les années 50, les concessions sont aujourd’hui en train de se réinventer pour répondre à l’objectif de décarbonation des transports. Un thème au cœur d’un colloque organisé le 31 janvier à Paris avec, en toile de fond, l’avenir même du réseau (auto)routier français.
Concessions autoroutières : un modèle appelé à se renouveler ?
La route, « grand impensé » de la transition énergétique ? La question méritait d’être posée de manière aussi abrupte. Le colloque éponyme, organisé le 31 janvier dernier au musée Guimet à Paris par la revue L’Hémicyle – en partenariat avec la fondation La Fabrique Écologique, la société concessionnaire d’autoroutes Vinci Autoroutes et Mobilettre –, a réuni plusieurs acteurs de la mobilité, afin d’apporter des pistes de réflexion face aux grands enjeux des vingt-cinq prochaines années. Avec, pour tous, l’horizon 2050 et la société « zéro carbone » en point de mire.
La route, grande oubliée de la décarbonation
C’est un fait : malgré quelques effets d’annonce, les politiques publiques n’ont pas encore pris à bras le corps la question de la décarbonation de la route. Le dernier grand plan gouvernemental, France Relance 2030, avait été trop timoré sur la question de la mobilité routière, pourtant responsable d’environ 30% des émissions de gaz à effet de serre en France. Présent lors du colloque, le ministre délégué en charge des Transports Clément Beaune ne s’est pas défilé et a reconnu l’importance de la transformation des secteurs routiers et autoroutiers pour relever le défi de la décarbonation : « La route est la première pierre de notre mobilité humaine. Et je pense qu’elle le sera encore pour de longues décennies, malgré – si je puis dire – la transition écologique et le défi qu’elle représente. Nous avons aujourd’hui un paradoxe qui est que, au moment où nous pensons la transition écologique, la route représente 85% des kilomètres parcourus de nos déplacements quotidiens. […] C’est, je crois, l’outil de mobilité, de proximité le plus important. »
Tous les acteurs, publics comme privés, sont d’accord sur un point : il ne s’agit pas d’opposer les modes de transports, mais de les rendre à l’avenir beaucoup plus complémentaires qu’ils ne le sont actuellement. Et donc de mettre le paquet – financièrement parlant – sur la route pour la rendre plus propre.
Les investissements, pierre angulaire de la mobilité propre
Les investissements à réaliser dans les dix ou vingt ans à venir sont donc colossaux, à la fois sur le réseau des routes secondaires – dont l’État à la charge – et sur les autoroutes gérées par les concessionnaires privés, en contrat avec l’État. Dans les deux cas, l’État n’a pas les ressources financières pour mener à bien les projets aujourd’hui sur la table, pour la généralisation des bornes de recharges ultrarapides dans l’espace public ou pour les aménagements de pôles multimodaux où différents types de transports se rencontrent (rail, route, vélo…). « Nos autoroutes sont globalement bien entretenues, s’est félicité le ministre. Mais je le dis et je le déplore, et j’en prends une partie de la responsabilité, notre réseau routier national est mal entretenu. Non pas parce que les services, les équipes qui sont à peu près les mêmes, seraient moins bonnes, mais parce que nous n’avons pas réussi à créer cette stabilité du cadre budgétaire et d’investissement. » L’objectif est donc désormais, pour les acteurs publics et privés, de trouver les bons modes de financement, entre partenariats public-privé (PPP) et investissements privés.
Dans le cas des autoroutes françaises, l’ambition est claire : transformer le réseau actuel en infrastructures de très long terme adaptées aux usages de demain comme les pôles multimodaux, mais aussi les voies réservées aux transports collectifs, les parkings dédiés au covoiturage et les innovations techniques pour la fabrication des infrastructures proprement dites, comme les revêtements de chaussée issus du recyclage. Sans parler de la route intelligente, aujourd’hui en cours de conception.
Mais cela ne se fera pas en un claquement de doigts, les travaux seront longs. Le ministre a d’ailleurs promis de relancer les discussions, courant 2023, sur le modèle concessif français, afin de l’engager activement dans le processus de décarbonation de l’économie nationale.
L’ART, garant de l’intérêt public
Les contrats entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes seront donc amenés à être repensés, sous les bons auspices de l’Autorité de régulation des transports (ART). Créée en 2009 (alors sous le nom d’Arafer), cette instance – indépendante du pouvoir politique – a entre autres pour vocation de veiller à l’équilibre des relations entre l’État français et les sociétés concessionnaires privées auxquelles il a délégué la gestion des services autoroutiers. Depuis sa création, l’ART a ainsi émis 17 recommandations pour faire des ajustements aux contrats liant les deux parties, principalement pour orienter les investissements. Car la transformation de la route coûte cher. Le système des concessions évite donc à l’État de mettre la main à la poche directement, les investissements étant du seul ressort des entreprises privées. Selon les chiffres clé de 2022 de l’ASFA (Association des Sociétés Françaises d'Autoroutes et d'ouvrages à péage), les SCA ont déjà investi 15,2 milliards d’euros dans le réseau ces 10 dernières années. Rappelons ici que sur un ticket de 10€ au péage, 3,70€ vont au Trésor public via les taxes, 2,90€ au remboursement de la dette, 1,20€ à l'exploitation du réseau et 2,20€ à la construction à la modernisation du réseau. Ce dernier point mériterait peut-être davantage.
Dans son communiqué de presse du 26 janvier 2023, l’ART souligne également plusieurs points, d’ordre financier. D’abord concernant les péages, dont les tarifs ont augmenté au 1er février dernier sans surprise, conformément aux contrats signés par l’État. L’ART précise même que ses « avis rendus par l’ART ont permis de réduire les péages de plus de 300 millions d’euros. Pour l’essentiel, cette économie s’est faite sans renoncer aux investissements envisagés, au travers d’une révision des paramètres économiques et financiers des avenants ou l’abandon d’opérations déjà prévues dans les contrats existants ». Si la dernière hausse (+4,75%) a paru forte aux usagers (contre +2% en 2022), des aménagements ont été prévus avec le blocage des prix ou des ristournes de l’ordre de 40% pour les trajets courts sur les réseaux Vinci Autoroutes, Sanef et APRR.
Ensuite, au niveau de la rentabilité des SCA, souvent décriée par les ténors de l’extrême gauche et de l’extrême droite de l’échiquier politique. Selon l’ART pourtant, sur la période 2017-2021, « leur taux de rentabilité interne (TRI), c’est-à-dire la rémunération des apporteurs de capitaux (actionnaires et créanciers) incorporée dans le péage, a baissé ». L’Autorité conclut surtout en disant que les années à venir seront décisives pour préparer l’avenir du réseau autoroutier français. En vue des prochaines grandes échéances, d’ici une dizaine d’années, avec la fin des contrats actuels des réseaux historiques.
L’année 2023 sera donc peut-être une année pivot dans les grandes orientations impulsées par les pouvoirs publics en faveur de la décarbonation de la mobilité routière, mises en musique par les entreprises privées. La route sera longue pour y parvenir, autant appuyer sur l’accélérateur le plus tôt possible.