L’Union européenne (UE) vit une période cruciale alors que ses dirigeants font face à la nécessité pressante d’améliorer la compétitivité du bloc et de relever les défis économiques. Lors d’un récent séminaire, les chefs de cabinet des 27 commissaires de l’UE ont identifié la compétitivité et la revitalisation de l’économie de l’UE comme une priorité majeure pour les mois à venir. Cette déclaration inattendue a incité la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à annoncer lors de son discours annuel sur l’état de l’Union que l’ancien Premier ministre italien et ancien chef de la Banque centrale européenne, Mario DRAGHI, serait chargé de rédiger un rapport sur l’état de la compétitivité de l’UE et de proposer des axes d’amélioration.
La compétitivité et le marché unique parmi les enjeux majeurs de l’économie UE
Le paysage économique de l'UE est marqué par plusieurs problèmes urgents. Tout d’abord, l'économie de l'UE a décroché par rapport aux États-Unis, avec un PIB de l'UE en dollars diminuant à 65% de la taille de l'économie américaine, contre 91% en 2013. Même si entretemps, l’économie de la Grande Bretagne est sortie de l’UE, les écarts de PIB par habitant se sont creusés, et l'UE est en retard dans des secteurs clés tels que la technologie, l'éducation et plus récemment l’industrie et l’énergie. L’apparition de la pandémie de COVID-19, couplée au conflit Russo-Ukrainien, a compliqué davantage la situation économique entraînant une hausse des prix de l'énergie, des pressions démographiques et une pénurie de main-d'œuvre qualifiée.
Pour relever ces défis, l'UE a fourni une aide d'État substantielle et un soutien financier à ses pays membres, atteignant près de 750 milliards d'euros entre mars 2022 et août de la même année. La Commission de l'UE a également récemment assoupli les aides d'État afin de faire face aux impacts de l'IRA (Inflation Reduction Act) aux Etats-Unis et soutenir la réindustrialisation en Europe et/ou éviter la délocalisation de certaines activités industrielles. Bien que ces mesures visent à atténuer les impacts immédiats des crises et à accélérer la transition verte, elles ont également suscité des inquiétudes quant à la possible distorsion des « règles du jeu équitable", favorisant certains grands pays au détriment des plus petits. Et ce principe est fondamental au sein du marché unique de l'UE !
L'ancien Premier ministre italien Enrico LETTA prépare lui aussi un rapport spécifique et différent de celui de Mario DRAGHI sur l'état du marché intérieur, se concentrant sur la manière de maintenir un équilibre entre la préservation des forces et des libertés du marché unique tout en rivalisant avec les puissances économiques mondiales telles que les États-Unis et la Chine. Ces puissances ont facilité l’émergence au cours des 20 dernières années, d’oligopoles dans la publicité numérique, les réseaux sociaux, le e-commerce, le cloud computing et menacent de le faire dans l’industrie automobile.
L'un des défis centraux auxquels l'UE est confrontée actuellement est sa capacité à exploiter pleinement le potentiel de son marché de 450 millions de personnes et à favoriser la collaboration entre les laboratoires de recherche et innovation, les entreprises et les institutions financières à travers le bloc de 27 pays. L'échec du marché unique à fonctionner de manière transparente en tant qu'entité globale et grand marché est aggravé par la bureaucratie nationale, certaines politiques protectionnistes et par la réglementation parfois excessive en Europe.
La lutte de l'UE pour égaler la puissance technologique des États-Unis et de la Chine, en particulier dans des univers tels que l'intelligence artificielle, l'informatique quantique, les semi-conducteurs, l’automobile, les matières premières critiques et les nouvelles formes d'énergie, suscite des inquiétudes quant au risque pour le bloc de manquer la prochaine révolution technologique. Les analystes attribuent aussi cet écart à un manque de coopération entre les États membres de l'UE. Et les gouvernements trop souvent préoccupés par les prochaines échéances électorales ne réalisent pas le potentiel de ce marché unique qui permettrait de créer des projets paneuropéens tels qu'Airbus et donc des grands champions mondiaux en Europe. Des champions européens existent dans l’univers de la technologie, des logiciels, de l’industrie, du luxe comme Dassault Systèmes, SAP, Cap Gemini, SIEMENS, LVMH, VOLKSWAGEN, NESTLE mais ils sont trop peu nombreux face à la puissance des groupes américains et indiens.
Alors que l'UE aborde ces défis économiques à court terme, tels que les conséquences de la pandémie de COVID-19 et les tensions géopolitiques, elle doit également faire face aux risques découlant de l'augmentation significative de l'aide d'État. L’assouplissement des règles d'aides d'État, bien compréhensible en temps de crise, a modifié l'équilibre sur le marché unique, donnant potentiellement un avantage aux entreprises des États membres plus grands et/ou plus riches. Il est important que ces aides d’état soient contrôlées pour éviter les conflits d’intérêt et le capitalisme de connivence. Il est nécessaire également que les états plus petits bénéficient d’aides, permettant elles aussi de faciliter la réindustrialisation en Europe avec des objectifs de décarbonation. Enfin, ces aides d’état doivent aussi s’inscrire dans un pacte de stabilité rénové, avec des objectifs de maitrise des dépenses publiques et de la dette réalistes.
Les rapports DRAGHI et LETTA fourniront une feuille de route pour aborder les problèmes structurels, les obstacles réglementaires, et favoriser la collaboration entre les États membres, plus particulièrement via l’innovation en vue de stimuler la croissance économique et améliorer la compétitivité mondiale de l'UE. Nous verrons s’ils jouent un rôle crucial dans la définition des priorités futures de l'UE, notamment avec l'arrivée d'une nouvelle Commission européenne en 2025.
Toutefois, la réalisation des réformes nécessaires nécessitera une volonté politique forte et un consensus entre les États membres.
Pour rester optimistes, soulignons tout de même que l’UE est sortie de sa naïveté au cours de ces dernières années et a compris l’intérêt de mener une politique volontariste en matière de réindustrialisation et de promotion de l’innovation même si son tropisme réglementaire est encore un peu trop souvent présent.