Amazon (AWS), Microsoft (Azure) et Google (Cloud) détiennent 71% du marché du Cloud européen. A lui seul, Amazon s’est octroyé près de la moitié du marché du Cloud sur le territoire français en 2022. La suprématie des géants américains est sans conteste. Mais alors que la France et l’Europe cherchent à reprendre la main sur leur souveraineté numérique, nous avons des raisons de croire en nos chances d’un renouveau du Cloud français.
Le Cloud français, armé comme jamais
Retard à l’allumage
C’est un fait, nous avons pris un retard important en matière de conception d’infrastructures par rapport aux géants américains. En investissant très tôt et massivement dans leurs infrastructures Cloud, ils se sont dotés de gigantesques centres de données et de capacités de stockage et de traitement sans concurrence aujourd’hui. Même si soulignons-le, il existe des outsiders français comme OVH et Scaleway.
Il est facile de le dire à posteriori mais notre tort aura été de délaisser au fil du temps la conception de socles technologiques forts pour finalement nous contenter de dépendre des infrastructures des autres. De la même manière, les technologies américaines sont tellement généralisées et ancrées (bien aidés par les formations dispensées par les mêmes acteurs) qu’elles sont systématiquement utilisées par quasiment tous nos développeurs. Le résultat est qu’aujourd’hui peu de solutions sont créées en France et rares sont celles qui peuvent se dire souveraines.
Ajoutons que nos grandes entreprises françaises se sont récemment alliées aux grands leaders, Google (pour Thalès) ou Microsoft (pour Orange et CapGemini), pour proposer des offres de « Cloud de confiance ». De confiance ne veut pas dire souverain et sans dénigrer ces offres qui ont peut-être le mérite d’aller dans le sens de plus de sécurité, cela rend difficile pour le client de distinguer ce qui est réellement souverain et ce qui ne l’est pas.
Les entreprises payent cher cette concentration du marché autour de quelques géants
La situation de quasi-monopole des géants américains a créé au fil du temps des dérives dont les entreprises françaises sont finalement les victimes.
La première de ces dérives est le prix. Les GAFAM pratiquent des tarifs très élevés avec des taux de marge exorbitants. La deuxième dérive bien connue est la difficulté pour les entreprises de sortir des environnements propriétaires des GAFAM ou à minima de les faire cohabiter avec des solutions tierces (Multicloud).
En bons stratèges, les acteurs américains, lorsqu’ils ont façonné le Cloud, ont pris soin de créer des conditions qui leur offraient un avantage concurrentiel sur le long terme. Comme l’a bien résumé Michel Paulin, DG d’OVHcloud (à l’origine d’une plainte déposée en 2022 contre Microsoft pour abus de position dominante) : « ces acteurs-là ont plutôt une propension à créer des conditions légales, financières et techniques pour fermer le Cloud et enfermer les clients ».
Pour l’anecdote, c’est l’histoire vécue récemment par une entreprise française qui souhaitait migrer 20 To de données d’un service de stockage en ligne américain bien connu vers une solution de stockage française. Lorsqu’elle a voulu lancer sa migration, l’entreprise s’est rendue compte qu’elle serait limitée à 200 go de données migrées par jour, soit un délai de près de 100 jours pour migrer l’ensemble de ses données dans son nouvel environnement, et cela en devant réaliser la même tâche chaque jour. Devant une telle complexité, plus d’une entreprise ferait demi-tour.
Nous y reviendrons, mais soulignons également que la sécurité des données est d’un niveau bien différent de l’autre côté de l’Atlantique… En regardant de plus près les SLA Microsoft, nous apprenons que « Microsoft n'est pas responsable de toute interruption ou perte que vous pourriez subir ». En d'autres termes, le client peut ne plus avoir accès à ses données sans que cela le problème de Microsoft ? Mais Microsoft n’est évidemment pas un cas isolé puisque d’acteurs tels que Zoom ont été épinglés plusieurs fois pour le manque de protection des données de leurs clients.
Les acteurs français du Cloud ont des raisons de croire en leurs forces
Face à cette concurrence et à ces pratiques discutables, la France et ses entreprises technologiques ont, malgré tout, des arguments à faire valoir et des opportunités de regagner des parts de marché dans de nombreux segments du Cloud.
Tout d’abord, parce que la réglementation évolue dans le bon sens : dans l’intérêt des entreprises européennes, la réglementation tend à favoriser les acteurs européens qui offrent de bien meilleures garanties en matière de sécurité et de confidentialité des données.
Aujourd’hui toute entreprise américaine est soumise aux lois américaines, Patriot Act, Cloud Act ou encore FISA, qui de fait rendent l’accès aux données possibles par des administrations américaines. Cela ne peut arriver avec un offreur français. D’ailleurs, d’après une étude commandée par le Ministère de la Justice néerlandaise, le Cloud Act devrait également s’appliquer aux fournisseurs de Cloud européens qui utilisent des logiciels américains…
L’Europe a également instauré le Data Act (entré en vigueur le 23 septembre 2023) qui va favoriser la concurrence en permettant aux utilisateurs de changer de fournisseurs de Cloud sans aucun frais de transfert de données et de migration. Consciente de l’urgence de la situation concurrentielle sur le marché du Cloud, la France souhaite aller encore plus loin que le Data Act avec son projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique, SREN. Un pas en avant, même si d’autres problèmes tels que les barrières à la sortie technologique (débit limité, volume limité, etc.) méritent également une réglementation plus ferme.
Mais la meilleure raison d’y croire vient tout simplement de la qualité de notre offre technologique et de notre capacité à innover. Nous ne devons pas nous contenter de dépendre de la réglementation. Au contraire, nous devons voir la concurrence comme une stimulation car c’est par l’innovation que viendra notre salut !
Nous avons aujourd’hui en France 99% d’entreprises qui sont des microentreprises, TPE et PME et très peu de solutions Cloud existantes qui sont aujourd’hui dimensionnées, en termes de prix et de complexité, pour répondre à leurs besoins. De plus, beaucoup de ces entreprises n’ont pas les ressources financières et les compétences techniques pour gérer ces solutions coûteuses.
Cela offre une magnifique opportunité pour les fournisseurs de solutions Cloud français de se démarquer en développant des offres adaptées en termes de simplicité, de flexibilité et de coûts, pour finalement se positionner comme de vrais accompagnateurs de la transformation numériques des entreprises.
Les acteurs du Cloud français ont déjà des réponses à offrir avec des arguments qui intéressent les entreprises françaises :
- Le prix et la proximité : A bien y regarder, acheter français coûte souvent moins cher, dès lors que nous créons (avec de l’open source, des OS ouverts, etc.) et ne dépendons d’aucun service américain coûteux. Ainsi, il est par exemple possible de délivrer une offre de stockage en ligne jusqu’à 80% moins cher qu’Amazon. De plus, en choisissant des solutions françaises, les entreprises, notamment les plus petites qui ne disposent que de peu de ressources, s’assurent de disposer d’un service client de proximité, souvent local et en français.
- Interopérabilité des offres Cloud : Rester enfermé dans un environnement propriétaire coûte très cher. Le multicloud a démontré ses avantages en termes de coût et l’interopérabilité des offres est une vraie force des acteurs français. Ils y travaillent notamment au sein des nombreux groupes d’acteurs, tels qu’HexaTrust, l’Open Trusted Cloud, l’Alliance pour la Confiance Numérique, etc.
- Sécurité et confidentialité des données : Au-delà des réglementations, la France a créé des certifications qui imposent des niveaux de sécurité extrêmement élevés, tels que ISO 27001 ou encore HDS (Hébergement de données de santé) et qui offrent de vraies garanties à des entreprises qui sont clairement de plus en plus sensibles à la sécurité de leurs données. Nous avons également de très belles initiatives visant à une meilleure collaboration des acteurs de la cyber pour offrir plus de soutien aux petites structures, ou encore à l’information des PME victimes, telles que le Campus Cyber ou le dispositif cybermalveillance.gouv.
La bonne nouvelle c’est qu’il y a aujourd’hui un énorme marché d’entreprises françaises (aussi bien petites que grandes) qui sont prêtes à changer leurs habitudes et à consommer français. A ces entreprises, il faut faire connaître les offres françaises et il ne fait aucun doute que les arguments délivrés finiront de les convaincre. Cette dynamique d’achat souverain aurait enfin de quoi redonner le sourire à la filière du Cloud français qui n’attend que ça !