La Chine après la réouverture : bilan et perspectives

En 2023, la Chine a bénéficié d’un nouvel élan économique dans le sillage de la levée des restrictions sanitaires liées au Covid. La politique monétaire reste accommodante et si la performance du marché boursier offshore n’a pas répondu aux attentes des investisseurs, les rendements des actions onshore paraissent robustes.

Homin Lee
Par Homin Lee Publié le 9 juin 2023 à 7h06
Chine Relations Internationales Tensions
La Chine après la réouverture : bilan et perspectives - © Economie Matin
5%La Chine espère atteindre une croissance de 5% en 2023.

Toutefois, le pays semble pris dans une rivalité stratégique avec l’Occident, où les tensions restent vives. Au-delà du rebond post-pandémie, nous examinons les perspectives pour son économie et pour ses actifs financiers.

Points clés

  • Après un fort rebond au premier trimestre, les activités manufacturières, immobilières et de crédit montrent des signes de ralentissement. La consommation intérieure devrait soutenir la croissance et l’économie chinoise connaître une expansion de 5,5% en 2023
  • Ce tableau mitigé à court terme devrait être compensé par une politique monétaire accommodante, que la BPC pourrait maintenir jusqu’en 2024
  • La fragmentation géopolitique est visible dans les tensions autour des semi-conducteurs, de Taïwan et de l’Ukraine. Les contrôles des exportations américaines et chinoises vont proliférer ; la Chine a pris une longueur d’avance dans le domaine des batteries électriques
  • Les actifs financiers chinois offrent toujours des vertus de diversification de portefeuille. Nous prévoyons une croissance des bénéfices à deux chiffres en 2023, les marchés actions tirant profit du soutien des politiques macroéconomiques. Par ailleurs, nous voyons de meilleures alternatives à la dette souveraine chinoise et anticipons un nouvel affaiblissement du yuan.

Le sentiment des investisseurs envers la Chine reste fragile, leur attention se portant au-delà de l’impact positif de la réouverture du pays. Comparativement à une année 2022 marquée par des confinements, l’économie a rebondi. Cependant, sur une base mensuelle, cet élan montre des signes d’essoufflement. La valeur totale des ventes de détail a augmenté de plus de 18% en avril par rapport à l’année précédente, mais le rythme des hausses mensuelles a ralenti à 0,5% par rapport au mois de mars. Cette dynamique s’est également reflétée dans les chiffres officiels sur la production industrielle ou les investissements en actifs immobilisés.

Nous pensons que la consommation intérieure servira de point d’ancrage à la croissance chinoise pour la suite de l’année 2023. De nombreux indicateurs à haute fréquence de la consommation sont restés solides en mai et laissent présager une dynamique positive au milieu du deuxième trimestre 2023. Alors que les dépenses des ménages et du gouvernement représentent à peine plus de la moitié du PIB, leur croissance à deux chiffres devrait plus que compenser l’affaiblissement des exportations et des dépenses d’investissement. C’est pourquoi nous continuons à tabler, pour l’ensemble de l’année, sur une croissance du PIB réel autour de 5,5%, contre 3% en 2022. En outre, la tendance générale à l’assouplissement du durcissement réglementaire dans certains secteurs ciblés, comme l’immobilier, pourrait venir s’ajouter aux moteurs de croissance positifs.

Le contexte extérieur est plus complexe. Cette année, les exportations de biens chinois pourraient reculer de 9% en dollars américains, car la décélération des économies occidentales réduit la demande de marchandises chinoises, ce qui ramènerait la balance courante du pays à environ 1 à 1,5% du PIB. Cela souligne la nécessité d’une demande intérieure robuste. Plutôt que la reprise du commerce à court terme, le poids des taux d’intérêt restrictifs aux États-Unis et en Europe pourrait ralentir encore la demande.

Le soutien des autorités sera crucial pour préserver la demande intérieure. Sur le front budgétaire, la marge de manœuvre pour de nouvelles réductions d’impôts et de taxes offertes aux entreprises nous semble limitée, sans éliminer les préoccupations de longue date concernant les finances des gouvernements locaux.

Néanmoins, il subsiste une certaine latitude pour un soutien supplémentaire de la politique monétaire si nécessaire. La Banque populaire de Chine (BPC) paraît prête à poursuivre sa politique accommodante, avec des taux d’intérêt onshore maintenus inchangés en 2023. Elle pourrait décider d’assouplir davantage son taux de réserves obligatoires (TRO), un mécanisme permettant de libérer la liquidité des banques commerciales. En ce qui concerne le secteur immobilier, un assouplissement plus résolu de la réglementation pourrait s’avérer nécessaire, en plus des ajustements usuels de la politique monétaire, afin de stimuler l’achat de logements et les activités des promoteurs.

Les marchés vont peu à peu se recentrer sur les perspectives économiques de long terme. Nous estimons que le potentiel de croissance du PIB réel chinois sera de 4% ces cinq prochaines années. En effet, le déclin de la population en âge de travailler contrebalance l’augmentation constante de la productivité et les investissements agressifs dans les technologies de pointe. À plus long terme, le vieillissement de la population indique que l’économie croîtra à un rythme plus régulier, peut-être comparable à celui des marchés développés, avec une nouvelle série de défis à relever pour les autorités chinoises, même s’il est possible de prévenir ce vent contraire par des réformes sociales et des taux d’urbanisation plus élevés. La question de savoir si la Chine maintiendra sa position dominante dans le secteur manufacturier à l’ère du « friend-shoring » reste ouverte. Les investisseurs seraient bien avisés de prévoir un renversement, même modeste, de la part de marché mondiale de la Chine.

Intensification de la concurrence stratégique

Sur le plan géopolitique, les relations entre la Chine et les États-Unis font régulièrement, et à juste titre, la une des journaux. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une concurrence stratégique et d’un équilibre désormais multipolaire en matière de pouvoir et d’influence. Depuis la guerre en Ukraine, les relations de la Chine avec la Russie, y compris la réticence chinoise de condamner cette invasion tout en achetant l’énergie russe, ont encore aggravé les dissensions. Les tensions autour de Taïwan font l’objet d’une attention particulière, exacerbée par l’importance de l’île en tant que leader mondial du secteur des semi-conducteurs.

Les investisseurs devront s’accommoder de la prolifération des contrôles à l’exportation entre le bloc américain et la Chine. Les États-Unis et leurs alliés ont introduit une série de restrictions destinées à entraver le développement de la Chine dans le domaine des semi-conducteurs, incitant la Chine à développer elle-même des équipements de pointe pour la fabrication de puces. Le retard de la Chine dans le domaine des semi-conducteurs ne signifie pas que le bloc américain va dominer tous les secteurs. En ce qui concerne l’énergie propre et les véhicules électriques, par exemple, la Chine a acquis une avance que les restrictions américaines ne peuvent plus infléchir.

Ces risques géopolitiques ont réduit l’appétit des investisseurs étrangers pour les actifs chinois, ce qui a des répercussions sur les investissements directs et les cours. La fuite des capitaux étrangers, qui ont délaissé les investissements chinois offshore, explique en partie la performance décevante des actions chinoises offshore (de catégorie H ou « H shares »). Entre début novembre 2022 et janvier 2023, les actions offshore ont vécu un rallye au moment de la réouverture de la Chine, dépassant la progression des actions domestiques (catégorie A – « A shares ») et celle de l’indice MSCI World. Depuis le début de l’année, elles sont restées pratiquement stables, alors que les actions de catégorie « A », cotées en Chine continentale, ont enregistré un rendement de 6%.

Surperformance possible

Quelle sera l’évolution des actifs financiers chinois ? Les vertus de diversification qu’ils offrent aux portefeuilles conservent toute leur pertinence ; alors que les économies occidentales ralentissent, la Chine, elle, poursuit sa croissance. Face à une inflation faible, la BPC n’est pas incitée à resserrer ses conditions monétaires. Nous pensons que l’augmentation des dépenses de consommation intérieure se traduira par une amélioration des résultats des entreprises au cours des prochains trimestres. Au niveau mondial, les produits et services chinois sont de plus en plus compétitifs dans de nombreux secteurs et technologies, y compris les véhicules électriques où le pays détient près de la moitié des parts de marché.

Les actions chinoises pourraient bénéficier de la combinaison entre une croissance qui se renforce, une inflation faible et des politiques économiques favorables. Bien que notre thèse d’investissement ne table pas sur une augmentation des multiples des valeurs chinoises cette année, nous notons qu’ils restent attractifs par rapport à leurs moyennes historiques.

Après un premier trimestre plutôt décevant, probablement affecté par une résurgence des cas de Covid en décembre 2022 et janvier 2023, nous prévoyons pour cette année une croissance des bénéfices à deux chiffres. Le plus grand risque pour ces perspectives serait que l’amélioration de la croissance chinoise ne se traduise pas par une amélioration de la rentabilité des entreprises, en partie en raison d’une concurrence des prix persistante. Cependant, on observe certains signes précurseurs d’une amélioration des marges relativement à leur plus bas depuis deux décennies, notamment dans les grandes sociétés Internet qui ont réduit leurs coûts.

Préférences en matière d’obligations, affaiblissement du yuan

Contrairement à notre point de vue sur les actions chinoises, nous recherchons des alternatives aux obligations chinoises et anticipons un nouvel affaiblissement du yuan. Nous sous-pondérons ces deux allocations depuis le quatrième trimestre 2022. La performance des emprunts d’État chinois comparée à celle des indices souverains mondiaux, a atteint son pic en octobre 2022. Les obligations gouvernementales chinoises continuent à offrir des vertus de diversification de portefeuille, et comme l’inflation reste faible, la BPC n’est pas incitée à resserrer ses conditions monétaires. Toutefois, un redémarrage des flux de crédit devrait contribuer à la reprise cyclique, avec un potentiel d’augmentation des rendements obligataires. Point essentiel, le niveau des taux actuel des obligations souveraines chinoises est relativement bas, et nous voyons de meilleures opportunités dans les bons du Trésor américain et dans certains crédits de qualité des marchés développés. Nous privilégions également d’autres actifs émergents, notamment les obligations d’État brésiliennes.

Cette année, la monnaie chinoise s’est affaiblie par rapport à l’euro, au yen japonais et au franc suisse, tout en restant relativement stable par rapport au dollar. Nous nous attendons à ce que ces tendances se poursuivent, car bon nombre des facteurs à l’origine de la vigueur du yuan en 2020-22 opèrent désormais en sens inverse : la réouverture de l’économie chinoise devrait entraîner une hausse des importations chinoises, tandis que la demande mondiale pour les exportations devrait diminuer. Dans le même temps, la reprise du tourisme chinois à l’étranger devrait aboutir à des sorties de capitaux du pays.

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Homin Lee

stratège macro senior chez Lombard Odier

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