Les champignons sortent de l’ombre grâce à une production sans pesticides

Des légumes sautés au bœuf Stroganov, le champignon, un des ingrédients clés d’une cuisine saine, peut être cultivé de façon plus respectueuse de l’environnement.

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Par Horizon Publié le 1 mars 2023 à 6h43
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Les champignons sortent de l’ombre grâce à une production sans pesticides - © Economie Matin
35%La production de champignons se fait à 40% en Chine, 35% en Europe et 13% aux USA.

Pour la plupart des gens, La Rioja, dans le nord de l’Espagne, évoque de majestueux vignobles baignés de soleil à flanc de colline. Mais, à l’abri du soleil, la région accueille aussi une tout autre culture qui est au cœur d’efforts qui visent à rendre la production alimentaire européenne plus durable.

Dans trois petits villages de La Rioja se trouvent les grands hangars humides et sombres qui produisent ses 77 000 tonnes de champignons par an. Près de la moitié des champignons cultivés en Espagne poussent dans la région, faisant de l’Espagne le troisième plus gros producteur européen derrière la Pologne et les Pays-Bas.

Nouveau monde

«La culture des champignons est un univers à part, différent de la culture des plantes et de l’élevage», explique Pablo Martínez, un agronome qui a travaillé dans de domaine viticole avant de se tourner vers le secteur spécialisé des champignons suite à une discussion inopinée avec un ancien collègue.

Basé au Centre technologique de recherche sur le champignon (CTICH) de La Rioja, M. Martínez est à la tête d’un projet européen qui a pour objectif de trouver des réponses aux problèmes environnementaux rencontrés par le secteur.

Très peu de gens savent comment les champignons sont cultivés. Si l’on peut facilement se procurer sur Internet des kits permettant de faire pousser des champignons à la maison, les cultiver à l’échelle commerciale est une tout autre affaire, puisque cela nécessite de gérer l’humidité, la température et la lumière nécessaires à la production d’une récolte régulière et de qualité tout en luttant contre les parasites.

Les champignons cultivés peuvent doubler de taille dans la journée et leur consommation explose elle aussi.

Le marché mondial devrait passer d’environ 15 millions de tonnes en 2021 à plus de 24 millions de tonnes au cours des cinq prochaines années. Bourrés de nutriments, ils offrent une bouffée d’umami riche en protéines qui s’inscrit parfaitement dans la tendance croissante à une alimentation d’origine végétale.

Pour répondre à la demande, les champignonnistes doivent protéger leurs cultures des nuisibles et, jusqu’à présent, ils utilisent pour cela des pesticides. Face aux réglementations plus strictes en la matière, qui limitent les produits disponibles et aux inquiétudes concernant leur impact sur l’environnement et sur la santé, les champignonnistes espèrent que les chercheurs pourront leur proposer des solutions.

Le CTICH coordonne le projet BIOSCHAMP, qui travaille avec des chercheurs, des partenaires commerciaux et des champignonnistes de six pays d’Europe. À l’Espagne s’ajoutent la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne, la Serbie et le Royaume-Uni.

Protection des tourbières

Les champignons sont cultivés sur un substrat, ou couche de base, constitué de paille et de fumier animal, recouvert d’une épaisse couche de tourbe appelée «gobetage». Constituée de végétaux partiellement décomposés, la tourbe imite parfaitement les sols forestiers que l’on trouve dans la nature et qui produisent si facilement des champignons.

L'épuisement des précieuses tourbières, en nombre limité, est un problème mondial. Ces zones humides capturent plus de carbone que tous les autres types de végétaux au monde combinés, et leur conservation est plus importante que jamais pour lutter contre le changement climatique.

«Les restrictions croissantes concernant l'extraction de la tourbe dans les pays européens menacent la pérennité à long terme de l'approvisionnement en tourbe», a déclaré M. Martínez. «Nous cherchons à développer un nouveau produit qui nous permettrait de cultiver les champignons en réduisant l’utilisation de pesticides de 90% et en diminuant notre dépendance à la tourbe.» 

La tourbe utilisée en Europe vient principalement des pays Baltes. Elle est transportée par bateau jusqu’aux Pays-Bas, où elle est traitée afin d’être adaptée à un usage commercial, puis elle est distribuée aux cultivateurs européens. Ces opérations génèrent des frais de transport élevés et une empreinte carbone importante.

Le projet BIOSCHAMP a pour objectif de mettre au point un gobetage durable, à faible teneur en tourbe, fabriqué à partir de matériaux renouvelables issus de la production de champignons.

Si les détails sont encore secrets, on sait qu’une substance jouant le rôle de biostimulant sera utilisée pour améliorer les processus de pousse naturels et pour renforcer le mycélium des champignons au tout début de leur croissance. Le but est ainsi de les protéger de la maladie sans recourir à des pesticides chimiques.

Déchets fertiles 

En Norvège, deux passionnés des champignons ont lancé un projet dont l’objectif est de déterminer s’il serait possible de cultiver des champignons sur les déchets alimentaires. L’initiative financée par l’UE s’intitule VegWaMus CirCrop.

Le docteur Agnieszka Jasinska, dont la recherche post-doctorat portait sur les substrats adaptés à la culture des champignons, a mené une étude en partenariat avec le docteur Ketil Stoknes, chef de projet senior de la recherche et du développement pour la société de gestion des déchets Lindum, lui-même ancien champignonniste expert.

Le projet a démontré que les résidus organiques des déchets alimentaires (qui servent habituellement à alimenter les biodigesteurs dont le rôle est de capturer le méthane et de faire en sorte de transformer le gaz à effet de serre nuisible en un combustible utile), peuvent offrir un terrain fertile à la culture des champignons.

Le Conseil européen de l'information sur l'alimentation (EUFIC) estime que pas moins d’un tiers de la nourriture produite pour la consommation humaine est gaspillée. La digestion anaérobie, également connue sous le nom de «biogaz», permet de réutiliser les nutriments présents dans les déchets pour faire pousser des végétaux sous serre.

«Nous disposons ainsi d’un système de production alimentaire urbaine à la fois résilient et écologique, entièrement basé sur les déchets», indique M. Stoknes.

Les tomates, la laitue et les herbes ont été choisis comme candidats aux premiers essais. Mais M. Stoknes indique que les champignons sont des «dégradeurs», c’est-à-dire qu’ils décomposent les fibres et ainsi de suite, et qu’ils sont donc nécessaires à un système biologique intégré. Inspiré du cycle naturel des forêts, le projet a entrepris de combiner des champignons et des végétaux dans un système circulaire.

Le système du biogaz, qui repose sur un cycle «aliments-déchets-aliments», est de plus en plus prisé.

Si la Norvège a arrêté de produire des champignons au début des années 2000, faute de pouvoir concurrencer les autres pays, VegWaMus CirCrop a prouvé qu’une production norvégienne durable pouvant quand même être envisagée.

Les choses bougent aussi ailleurs

Le projet a incité SOPPAS, une start-up, à se lancer dans le développement du processus à l’échelle commerciale. L’entreprise fourmille d’idées et espère notamment étendre la production du site de biogaz, qui utilise des déchets alimentaires, des champignons de Paris aux pleurotes.

«La nouvelle entreprise produira des blocs de démarrage destinés aux exploitants agricoles, agriculteurs et propriétaires de serres souhaitant se diversifier et cultiver des champignons en basse saison», explique Mme Jasinska. «Ils peuvent mettre à profit leurs systèmes de cueillette, de conditionnement et de stockage frigorifique existants pendant les périodes d'inactivité et vendre les produits localement.»

Dans un contexte où la production d’aliments à partir de déchets et les circuits courts sont de plus en plus privilégiés, il semble bien que ces deux projets financés par l’UE permettront aux champignons de sortir de l’obscurité.

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA) de l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

Plus d’infos

BIOSCHAMP

VegWaMus CirCrop

Recherche environnementale financée par l’UE

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