Avion : un carburant végétal n’est peut-être plus une utopie

Des chercheurs européens étudient comment fournir en plus grande quantité au secteur de l’aviation des carburants propres obtenus à partir de produits agricoles.

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Par Horizon Publié le 18 mars 2024 à 5h00
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carburant, avion, écologie, carbone, émission, pollution - © Economie Matin
3%L’aviation représente désormais 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2.

C’est dans le sol que le professeur David Chiaramonti cherche des solutions au problème des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et autres polluants émis par les avions. 

Expert en systèmes énergétiques et en production électrique à l'Université polytechnique de Turin en Italie, M. Chiaramonti voudrait se servir des terres inutilisées, marginales et dégradées pour produire des carburants propres pour les avions. 

Des végétaux riches en huile

Les carburants seraient fabriqués à partir de plantes oléagineuses comme la Camelina sativa, originaire d’Europe et d’Asie centrale, et remplaceraient le kérosène, le combustible fossile généralement utilisé dans les avions. Le kérosène aggrave le changement climatique en libérant du CO2 et des oxydes d'azote dans l'atmosphère.

M. Chiaramonti a dirigé un projet de recherche financé par l'UE qui avait pour mission d’augmenter la production du seul type de carburant d'aviation durable actuellement disponible: la filière des esters et acides gras hydrotraités, ou HEFA. Intitulé BIO4A, le projet s'est achevé mi-2023 au terme de cinq années de recherche.

Le biocarburant HEFA est fabriqué principalement à partir d’huiles de cuisson usagées et de graisses animales provenant de la production de viande, des sources qui, au mieux, peuvent répondre à 2 % des besoins en carburant du secteur de l’aviation. M. Chiaramonti pense que la cameline, également connue sous le nom de faux lin et qui pousse notamment en Italie et en Espagne, peut aider à remédier à ce goulet d'étranglement sans empiéter sur les cultures destinées à l'alimentation

«Nous nous sommes concentrés sur des sols très pauvres, c’est-à-dire sur des terres très sèches et arides, inutilisables pour la production alimentaire, mais qui pourraient être exploitées à cette fin», a-t-il déclaré.  

La caméline laisse entrevoir la possibilité d’augmenter les quantités globales d’HEFA et de lutter contre la dégradation des sols, qui touche de nombreux pays, y compris dans la région méditerranéenne, à cause du changement climatique et de l’agriculture intensive.

«Le principal problème avec les carburants durables d'aviation actuels, c’est d’assurer un approvisionnement durable en lipides», a expliqué M. Chiaramonti, qui est aussi président de RE-CORD, une organisation italienne de recherche sur les énergies renouvelables. «Nous avons étudié les moyens de produire des lipides durables sur des terres marginales et dégradées.»

Des émissions vertigineuses

Les émissions de CO2 de l’industrie aéronautique mondiale ont augmenté plus rapidement au cours des dernières décennies que celles des secteurs routier, ferroviaire et maritime. L’aviation représente désormais 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2.

De plus, contrairement au transport routier et ferroviaire, l’utilisation de l’électricité n’est pas encore envisageable dans l’aviation, car les technologies de batteries ne sont actuellement capables d’alimenter que des avions légers tels que les drones.

Les carburants durables d’aviation, ou CDA, sont donc un domaine de recherche particulièrement important. 

En octobre 2023, les États membres de l'UE ont approuvé une loi qui obligera les fournisseurs de carburants d'aviation en Europe à garantir une part de CDA d'au moins 2 % en 2025, 6 % en 2030 et 70 % en 2050. 

Cette loi s’inscrit dans un paquet de lois européennes visant à atteindre l’objectif de l’UE de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. L’objectif de réduction de 55 % est plus ambitieux que le précédent plan de l’UE qui était de réduire les émissions de 40 % sur la même période.

Succès traditionnel

Le HEFA ayant une structure chimique similaire à celle des combustibles fossiles, il peut facilement être adapté aux moteurs à réaction.

Alors même qu’ils testaient des terres inutilisées pour produire de l’HEFA à partir de caméline, les chercheurs du projet BIO4A ont fait progresser les méthodes de production traditionnelles.

Le projet a fait appel à une raffinerie qui fabrique de l’HEFA à partir d’huile de cuisson usagée et de graisse animale issue de la filière industrielle de la viande. 

Ce choix explique l’implication dans le projet de deux grandes compagnies pétrolières européennes: Total en France et Eni en Italie.

«Nous avons produit 1 000 tonnes d'HEFA à partir d’huile résiduelle, ce qui représente jusqu'à présent le plus grand volume jamais produit industriellement en Europe dans le cadre du programme de recherche de l'UE», a ajouté M. Chiaramonti.

Rotation des cultures

En ce qui concerne les terres inutilisées, l'équipe souhaitait montrer qu'il était possible de produire de l’HEFA à partir de plantes comme la caméline tout en donnant aussi un coup de pouce aux cultures destinées à l'alimentation humaine et animale.

L’idée est que l’utilisation de compost et de biochar, fabriqué à partir de biomasse végétale et animale, améliore la qualité des sols et contribue à atteindre la neutralité carbone, voire une empreinte carbone négative.

Les chercheurs pensent que les cultures énergétiques pourraient aider les agriculteurs à améliorer la qualité des sols marginaux, de façon que les biocarburants et la production alimentaire puissent coexister et non se faire concurrence.

Selon M. Chiaramonti, les secteurs de l'énergie pourraient rémunérer les agriculteurs pour qu’ils améliorent la qualité des sols avec du compost et du biochar. 

«Puis, par exemple, une année, le sol peut servir à produire des cultures énergétiques telles que la caméline et l’année suivante à faire pousser de l’orge», a-t-il déclaré.

Les résidus végétaux seraient compostés et/ou transformés en biochar par chauffage à haute température et restitués au sol. Ceci améliorerait non seulement la santé des sols, mais cela emprisonnerait également le carbone, réduisant ainsi davantage l’empreinte environnementale du carburéacteur obtenu.

«Nous avons démontré que les biocarburants peuvent avoir un bilan carbone négatif», a déclaré M. Chiaramonti. «C’est un résultat sans précédent.»

Les chercheurs ont testé leur approche sur des parcelles de terre dégradées près de Madrid, en Espagne, et en Toscane, en Italie.

Ils ont expérimenté différentes méthodes de régénération des sols et cultivé en alternance de l'orge et de la caméline, qui tolère mieux la sécheresse que d'autres cultures énergétiques et a déjà été utilisée pour produire un carburéacteur à base d’HEFA. 

Étapes parallèles

Même si les terres dégradées peuvent permettre d’augmenter les approvisionnements en HEFA, de nombreux chercheurs pensent que des carburéacteurs durables devront, dans tous les cas, être également fabriqués à partir de ressources plus abondantes, comme les déchets de biomasse, qui ne sont pas riches en huile. 

Ce procédé est beaucoup plus complexe que la fabrication d’HEFA à partir de biomasse huileuse et fait l’objet d’un autre projet de recherche financé par l’UE. 

Intitulé HIGFLY, le projet de quatre ans dirigé par l'Université de technologie d'Eindhoven, aux Pays-Bas, s’achèvera fin 2024.

Les chercheurs étudient les résidus agricoles, les résidus de l'industrie alimentaire et certains types d'algues, c’est-à-dire tout ce qui contient des sucres mais qui n'est pas comestible, d’après le Dr Fernanda Neira D'Angelo, chercheuse principale du projet HIGFLY et experte en génie chimique à l’université néerlandaise.

On appelle ce type de matériau «biomasse lignocellulosique». 

Selon Mme D’Angelo, plusieurs étapes sont nécessaires pour transformer une matière contenant du sucre en une huile riche en énergie susceptible de permettre aux avions de décoller. 

«Le procédé demande beaucoup plus d'énergie et d'étapes de traitement que pour transformer de la biomasse huileuse en carburéacteur HEFA», a-t-elle déclaré.

Les membres du projet cherchent à optimiser l'efficacité du procédé à chaque étape pour que la plus grande partie de la biomasse et de l'énergie utilisée reste dans le carburant obtenu.

Ils commencent par transformer la biomasse en molécules organiques cycliques dites furaniques, puis les fusionnent pour produire des huiles qui peuvent être ensuite raffinées en carburants. L’équipe espère tester les premiers échantillons de son carburéacteur à base de biomasse en laboratoire d’ici quelques mois. 

D’après Mme D’Angelo, même si les résultats du projet sont prometteurs, il faudra des années pour qu’un tel carburant à base de biomasse puisse être utilisé dans les avions car la certification de nouveaux carburants et la mise sur le marché de nouvelles technologies prennent du temps.

«En fonction des résultats que nous obtiendrons dans ce projet, nous pourrons évaluer les améliorations envisageables au niveau de la composition du carburant ainsi que les étapes nécessaires à sa commercialisation», a-t-elle déclaré.

Et en termes de coût?

Au-delà des efforts déployés pour trouver les moyens de produire en quantité suffisante les matériaux nécessaires à la fabrication de carburéacteurs d’origine végétale, leur développement se heurte à un obstacle économique important: le coût.

Les carburéacteurs à base d’HEFA coûtent actuellement au moins deux fois plus cher que leurs homologues d’origine fossile. Et le prix des carburants issus des déchets de biomasse sera peut-être trois fois plus élevé.

Cela signifie que pour que les carburants d’aviation d’origine végétale deviennent compétitifs par rapport au carburéacteur d’origine fossile, il faudra faire évoluer la politique en place et augmenter les investissements dans la recherche et le développement, selon Mme D’Angelo.

«Nous pouvons rendre les carburants d’origine végétale compétitifs si les investissements et la réglementation suivent», a-t-elle déclaré.

M. Chiaramonti partage cet avis puisque, selon lui, des progrès seront obtenus au terme de plusieurs étapes, notamment grâce à des incitations réglementaires et à des améliorations au niveau de la production et de l'approvisionnement en matières premières. 

«Cette solution ne reposera pas sur la mise en œuvre d’une seule mesure», a-t-il déclaré. 

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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