Budget de la Défense : les assurances vie mobilisées ?

Face à un contexte géopolitique tendu et à la nécessité de renforcer la défense en France, le gouvernement souhaite mobiliser l’épargne des Français. Après le Livret A, c’est peut-être au tour de l’assurance-vie et de l’épargne-retraite de financer le réarmement du pays.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 12 mars 2025 9h33
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37 %37 % des Français se disent prêts à investir dans un fonds d’épargne militaire.

Depuis le 10 mars 2025, le ministère de l’Économie a officiellement confirmé son intention d’orienter une partie de l’épargne privée vers le financement de l’industrie de la défense. Dans un contexte marqué par une augmentation sans précédent des tensions internationales et une volonté affichée de porter le budget de la défense à 100 milliards d’euros d’ici 2030, l’État français cherche des solutions alternatives à l’endettement. Après l’abandon de l’idée d’un livret d’épargne dédié, le gouvernement privilégie désormais l’assurance-vie et l’épargne-retraite comme leviers financiers.

Une nécessité budgétaire pour la défense face aux réalités géopolitiques

Depuis le début de la guerre en Ukraine et l’évolution des relations internationales, notamment le repositionnement des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, l’Europe est confrontée à une nouvelle réalité : assurer elle-même sa propre défense. La France, en tant que puissance nucléaire, doit accélérer son réarmement et moderniser son arsenal. Cela représente un coût colossal, puisque le budget actuel de la défense s’élève à 50,5 milliards d’euros et doit atteindre 100 milliards d’euros à l’horizon 2030, selon Sébastien Lecornu. Cette ambition suppose d’augmenter la part du PIB consacrée à l’armée, actuellement de 2 %, pour la porter à 3 % dans les cinq prochaines années.

Le problème majeur est la capacité de financement de cet effort. La dette publique française dépasse les 110 % du PIB, rendant impossible toute augmentation massive des dépenses militaires par l’endettement traditionnel. Le gouvernement a d’abord envisagé la création d’un livret d’épargne défense, sur le modèle du Livret A, mais cette option a été abandonnée pour éviter une concurrence directe avec les dispositifs d’épargne réglementée, qui financent déjà le logement social et certaines infrastructures stratégiques.

L’hypothèse d’un emprunt national a également été étudiée. Ce dispositif, historiquement utilisé en temps de guerre, aurait permis aux citoyens de souscrire volontairement pour soutenir l’effort de défense. Toutefois, cette solution soulève de nombreuses interrogations. Attirer suffisamment de souscripteurs tout en offrant un rendement attractif serait difficile, et l’État ne peut pas se permettre de trop alourdir la charge de sa dette.

Assurance-vie et épargne-retraite : une manne financière convoitée

Face à ces contraintes, le gouvernement a choisi d’exploiter l’assurance-vie et l’épargne-retraite, qui constituent les principaux supports d’épargne des Français. L’encours de l’assurance-vie atteint 2 000 milliards d’euros, tandis que celui de l’épargne-retraite s’élève à 260 milliards d’euros. Chaque mois, entre trois et quatre milliards d’euros sont placés en assurance-vie, faisant de ce dispositif le levier pour canaliser des investissements vers les entreprises de la défense.

Pour capter une partie de cette épargne, le gouvernement envisage la création d’un fonds national de défense sous forme d’unités de compte intégrées aux contrats d’assurance-vie. Ce mécanisme permettrait aux épargnants d’investir directement dans des entreprises du secteur de l’armement, tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse. Selon Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, l’assurance-vie représente le premier vecteur d’épargne en France, avec un encours atteignant 2 000 milliards d’euros.

Ce levier financier permettrait de financer efficacement le réarmement français sans alourdir la dette publique. Éric Lombard, ministre de l’Économie, a d’ailleurs exprimé sa volonté d’orienter une partie de ces flux vers des placements patriotiques, en garantissant un rendement attractif pour les investisseurs.

Une mesure qui divise 

L’utilisation de l’épargne privée pour financer la défense présente plusieurs avantages. Elle n’entraîne aucun coût direct pour l’État, contrairement à un emprunt national, et sa mise en place est rapide puisque les infrastructures financières existent déjà. De plus, les entreprises de défense étant en pleine expansion, ces investissements pourraient générer des profits intéressants pour les épargnants.

Certains économistes restent sceptiques. Olivier Lendrevie, professeur à HEC, met en garde contre les risques d’un tel mécanisme et souligne que l’investissement dans la défense est une initiative stratégique, mais qu’il faut veiller à ne pas forcer les ménages à prendre des risques inconsidérés sur leur épargne longue.

L’opinion publique, elle aussi, est partagée. Selon un sondage IFOP réalisé en mars 2025, seuls 37 % des Français se disent prêts à investir dans un fonds d’épargne militaire, tandis que 45 % y sont opposés et 18 % restent indécis. Certains citoyens évoquent des préoccupations éthiques quant à l’utilisation de leur épargne pour financer des industries d’armement. D’autres doutent de la rentabilité à long terme d’un tel investissement.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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