La fin du 1er semestre 2023 approchant, tous les résultats sont connus et les investisseurs peuvent commencer à souffler. La probabilité que les taux terminaux américains soient déjà atteints devient de plus en plus forte et les données concernant l’inflation américaine en avril évoquent une potentielle pause qui devrait être annoncée lors de la prochaine de la Fed, le 14 juin 2023.
Bourse : Explorer les tendances de fond
Même si une certaine inquiétude demeure du fait que l’inflation de base sur un an dépasse de 50 points de base l’inflation globale, cette dernière n’ayant progressé que de 0.4% sur un mois, elle voit son taux trimestriel annualisé ramené de 4.07% à 3.66%. Par ailleurs, comme il faut s’attendre à une accalmie des prix du logement, l’inflation américaine devrait revenir aux alentours de 3% d’ici la fin 2023.
Pour l’heure, les performances des actions et des obligations progressent à un rythme régulier. Depuis le début de l’année, les performances des obligations évoluent entre +1,50 % et +5,0 % avec, en première position, les emprunts d'États émergents en devise locale. Les actions européennes affichent des hausses à deux chiffres. Aux Etats-Unis, les valeurs technologiques se redressent, bénéficiant de l'enthousiasme suscité par l'intelligence artificielle.
À l'avenir, l’essentiel du discours sera centré sur le niveau qu’atteindront les taux directeurs lorsque les différentes banques centrales tenteront d’établir un équilibre entre croissance, inflation et chômage. Quelqu’un est-il prêt à accepter des taux directeurs américains à long terme à 3% alors qu’ils se situeraient à 2% côté BCE ? La question est rhétorique, car au vu de la fragmentation géopolitique il paraît illusoire de penser qu’un tel équilibre puisse être atteint prochainement.
Alors, soyons réalistes et cherchons l’inspiration en examinant la situation de plus près. Cela pourrait permettre de rééquilibrer les portefeuilles, un exercice incontournable si le but est de battre les modèles traditionnels durant le cycle d’investissement à venir (en général, dans ces portefeuilles modèles européens, 50 à 75% des actifs sont investis en emprunts d’Etats de l’UE, en crédit IG et en actions européens).
Trois facteurs devraient avoir un impact à long terme. Le premier concerne l’allocation géographique : comment l’équilibre entre pays de l’OCDE et marchés émergents devrait-il évoluer dans la construction des portefeuilles ? Le deuxième facteur a trait à l’hégémonie du dollar, donc à la pondération des devises. Enfin, le troisième concerne l’aspect sectoriel de l’allocation et plus précisément, l’importance de sélectionner les « business models » gagnants dans des économies en phase d’adaptation au changement climatique.
Les investisseurs devraient également examiner attentivement les conséquences de la dépendance des pays de l’OCDE aux matières premières et à l’énergie ainsi qu’à la chaîne de création de valeur. Les perturbations au niveau de l’offre et de la demande et leur impact sur les déficits de la balance des paiements et de la balance commerciale pourraient avoir un impact sur le potentiel de croissance des pays de l’UE ainsi que sur l’industrie manufacturière américaine et le secteur des services américains.
Les politiques monétaire et budgétaire volontaristes, très utiles pour atténuer l’impact de la pandémie puis de la crise énergétique, pourraient perdre en efficacité dans un monde politiquement fragmenté où les flux commerciaux se trouvent déstabilisés. C’est la structure même des économies occidentales qui s’affaiblit, dès lors que les entreprises ne peuvent plus répercuter la totalité de la hausse des coûts des leurs intrants et de l’énergie sur les consommateurs. Les déficits des balances commerciales et courantes deviennent structurels.
Sur le plan budgétaire, la concurrence entre l’UE et les Etats-Unis qui se manifeste au travers du pacte pour l’Europe d’un côté et de la loi américaine sur la réduction de l’inflation de l’autre pourrait affecter les notations crédit de ces deux ensembles. Après réflexion, il s’avère donc que les marchés développés risquent de faire pâle figure par rapport aux marchés émergents, notamment en regard des opportunités offertes par ces derniers.
Les économies développées sont très dépendantes de l’Asie pour les semi-conducteurs, les batteries et les matières premières. En renonçant progressivement aux importations russes, l’UE a fortement accru sa dépendance énergétique vis-à-vis des Etats-Unis et du Moyen-Orient. Le protectionnisme gagne du terrain, ce qui signifie que la désinflation qui résulte du libre-échange des biens et services en perd. Les pays émergents pourraient donc disposer d’un certain nombre d’atouts, s’ils laissent leurs entreprises et institutions prospérer (la stabilité politique et fiabilité de l’Etat de droit local en étant des conditions essentielles). Les investisseurs devraient donc accorder une attention beaucoup plus soutenue à l’impact potentiel d’une augmentation de la pondération d’obligations (d’Etat + crédit) et d’actions émergentes triées sur le volet.
Un deuxième facteur moins visible, mais qui pourrait s’accélérer est la fin de l’hégémonie du dollar en tant que monnaie de réserve et d'échange au plan mondial. En termes réels, la proportion de dollars dans les réserves mondiales est passée d’environ 66% il y a 20 ans à 55% en 2021 puis à 47% fin 2022. En effet, les sanctions imposées par les Etats-Unis depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont amené de nombreuses banques centrales à se défaire de leurs actifs libellés en dollars. Cela n’a pas pour autant profité aux autres monnaies de réserve (euro, yen ou yuan), car c’est l’or qui est sorti grand gagnant de ces changements.
Même si le billet vert reste la principale devise pour les échanges commerciaux, sa suprématie s’érode progressivement. Diverses initiatives des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), pourraient déboucher sur la création d’une monnaie adossée aux matières premières. Ainsi, début 2023, la Chine et le Brésil ont accepté de remplacer le dollar pour le règlement de certains échanges commerciaux. L'Inde a également proposé à différents pays confrontés à un manque de liquidités en dollars d'opter pour des règlements en roupies. Affaire à suivre, donc !
Entreprises et gouvernements se doivent de transformer leurs stratégies ou l’orientation de leurs politiques afin de limiter l’impact du changement climatique et de s’y adapter. A cela s’ajoute le fait que l’approvisionnement en énergie propre deviendra un avantage comparatif déterminant pour toutes les industries, y compris celles des matières premières et des matériaux. Les matières premières « vertes », produites par des méthodes propres et neutres pour l'environnement, deviendront la règle et non plus l’exception. Du secteur du transport qui accélère sa transformation au secteur financier où l’on élabore des modèles de services destinés à la prochaine génération (instantanéité, fiabilité et facilité d’utilisation en étant les maîtres-mots), toutes les entreprises qui gèrent diligemment leurs actifs avec un horizon 10 à 20 ans devraient se démarquer.
Intégrer ces tendances de fond et les valorisations observées en surface sur les marchés des devises, des taux et des actions n’a rien d’un exercice facile et il peut aboutir à des résultats surprenants. Cependant, le temps est venu de réfléchir, voire de tester de nouvelles allocations d’actifs. Bonne chance !