Big pharma menace : 100 milliards prêts à fuir l’Europe pour les États-Unis

Un vent de fronde souffle sur Bruxelles. Dans une missive inédite, les géants de l’industrie pharmaceutique mondiale interpellent la Commission européenne : si l’Europe ne réagit pas, la pharma pliera bagage. Où ? Aux États-Unis, évidemment.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 16 avril 2025 8h05
Big pharma menace : 100 milliards prêts à fuir l’Europe pour les États-Unis
Big pharma menace : 100 milliards prêts à fuir l’Europe pour les États-Unis - © Economie Matin
85%Jusqu’à 85% des investissements industriels des firmes pharmaceutiques prévus entre 2025 et 2029 pourraient être remis en cause en Europe.

Le grand ultimatum des titans de la pharma

Le 8 avril 2025, un événement rare secoue les instances européennes : une lettre signée par les dirigeants de 32 laboratoires pharmaceutiques est adressée à Ursula von der Leyen. Elle n'est pas seule : quelques jours plus tôt, un courriel envoyé par l’EFPIA (Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques) plantait déjà le décor. Alors que Donald Trump promet de taxer les médicaments européens, l’industrie bat du poing sur la table. Et menace de partir.

Ce n’est ni un caprice ni une gesticulation. Le 5 avril 2025, un sondage interne de l’EFPIA chiffre froidement l’ampleur du cataclysme : jusqu’à 85% des investissements industriels prévus entre 2025 et 2029 pourraient être remis en cause. Cela représente plus de 100 milliards d’euros, dont 16,5 milliards d’euros dès les trois prochains mois, potentiellement réorientés vers les États-Unis.

Dans une lettre manuscrite envoyée le 5 avril 2025, dont le quotidien Les Échos a obtenu une copie, les signataires – Albert Bourla (Pfizer), Pascal Soriot (AstraZeneca), Paul Hudson (Sanofi), entre autres – tapent fort : « Des actions fortes doivent être prises rapidement », préviennent-ils. Le document est aussi clair que cinglant : « La poursuite de tensions commerciales accélérera encore l’érosion des investissements en R&D et en production en Europe ».

Ursula von der Leyen a aussitôt réuni le secteur à Bruxelles pour une concertation. En coulisses, le ton monte. Les entreprises évoquent la possibilité de « retirer jusqu’à 113 milliards de dollars d’investissements » de l’Union pour se relocaliser outre-Atlantique.

Une Europe qui perd du terrain

Le constat est accablant : en 2004, l’Europe représentait encore 29,6% du marché pharmaceutique mondial. Vingt ans plus tard, ce chiffre est tombé à 22,7%, tandis que l’Amérique du Nord a bondi à 53,3%. Une hémorragie lente, mais inexorable. Le message des laboratoires est limpide : « Le marché américain est libre, rapide, rentable. L’Europe est lente, fragmentée, bureaucratique ».

L’EFPIA dénonce l'accumulation de réglementations contradictoires, une lourdeur administrative sur les essais cliniques multi-pays et des retards criants dans l’accès aux traitements. En 2022, le délai médian de mise sur le marché en France atteignait 461 jours. En Espagne ? 613 jours. Seuls le Danemark et l’Allemagne tiennent le cap réglementaire imposé par la directive transparence : 180 jours maximum.

big pharma Commission européenne

L’étranglement économique par les États

Sur le front économique, l’industrie grince des dents. Alors que les États-Unis laissent les prix libres, les laboratoires européens subissent des ponctions toujours plus lourdes. Le courrier aux institutions européennes souligne : « Dans plus des deux tiers des États membres, les contributions de l’industrie sont passées ces dernières années de 15% à 22% des dépenses publiques pharmaceutiques ». En clair, la pharma finance la hausse des dépenses de santé… sans retour sur investissement.

Autre contentieux majeur : l’écocontribution. Une directive impose à la pharma (et au secteur cosmétique) de financer la gestion des micropolluants médicamenteux dans les eaux usées. Inacceptable pour les industriels, qui dénoncent un ciblage sectoriel injustifié.

Ursula von der Leyen face à l’Amérique de Trump

Si la lettre des patrons est virulente, c’est que le contexte l’est tout autant. Donald Trump a annoncé début avril 2025 de futurs droits de douane spécifiquement sur les médicaments européens, après avoir épargné le secteur pendant un moment. À l’heure où l’Europe exporte pour 90 milliards d’euros de produits pharmaceutiques vers les États-Unis, la menace devient tangible. Les PDG préviennent : il sera bientôt plus rentable, plus sûr, plus rapide de produire aux États-Unis.

La pharma exige sa part du gâteau réglementaire

Dans leur lettre, les PDG égrènent leurs exigences comme autant d’avertissements :

- rémunérer l’innovation à sa juste valeur, avec des prix qui ne soient plus sous pression permanente ;
- protéger la propriété intellectuelle : ils exigent douze années de protection au total, contre dix actuellement, et moins dans la directive pharmaceutique en cours de révision ;
- harmoniser les législations environnementales, chimiques et sanitaires ;
- simplifier les processus de mise sur le marché en instaurant un cadre européen unique.

Le ton est grave, mais le message se veut encore diplomatique : « Nous espérons travailler ensemble dans les semaines à venir pour assurer une transformation de ces propositions en réalité ».

Le compte à rebours est donc lancé. Bruxelles dispose de trois mois pour sauver 16,5 milliards d’euros d’investissements. Faute de réponse, ces milliards prendront l’avion. Destination : Washington. La pharma n’attendra pas que l’Europe se décide à défendre ses champions. Car pendant qu’elle discute, d’autres agissent. Et attirent.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

No comment on «Big pharma menace : 100 milliards prêts à fuir l’Europe pour les États-Unis»

Leave a comment

* Required fields