Bruno Vallayer, président de Bertin Technologies : « en matière NRBC, la France dispose de toutes les ressources pour être souveraine et indépendante »

La Commission européenne a récemment attribué un budget de 150 millions d’euros à la France afin qu’elle soit capable de faire face aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Une manière de souligner le savoir-faire français en matière de lutte contre ces menaces, et plusieurs entreprises participent à cette renommée. Parmi ces dernières, Bertin Technologies, acteur français historique reconnu pour son savoir-faire technique et technologique. Bruno Vallayer, son Président, a accepté de nous présenter son activité et de répondre à nos questions.

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Par Rédaction Publié le 8 septembre 2023 à 6h00
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150 MILLIONS €La France dispose d'un budget européen de 150 millions d'euros pour faire face aux menaces NRBC.

Bertin Technologies a construit une partie de sa notoriété sur l’excellence de ses produits à destination de la défense. Comment cette activité s’articule-t-elle aujourd’hui avec les autres ?

Nous proposons à nos clients des solutions d’instrumentation dédiée aux marchés dits critiques ou scientifiques. Les marchés de la défense et de la sécurité sont à mettre clairement du côté « critique ». Nous y proposons en particulier des solutions et des équipements de détection et de surveillance des menaces permettant aux opérationnels de se protéger eux-mêmes ou de protéger leur environnement proche. Toujours dans ces domaines défense et sécurité, nous sommes devenus, avec l’acquisition du Finlandais Environics, l’un des plus gros fournisseurs européens de systèmes de détection des menaces NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). Et en parallèle, nous sommes aussi le leader mondial des réseaux de capteurs déposés et nous sommes en forte croissance sur des capteurs optiques et optroniques.

Bertin est aujourd’hui un industriel français à dimension européenne, produisant dans toute l’Europe avec un quart de nos collaborateurs hors de France (Finlande, Suède, Allemagne, Grande-Bretagne, etc.). Nos clients sont donc autant nationaux qu’internationaux, ce que révèlent les 70% du chiffre d’affaires du groupe provenant de l’export. Bertin vend dans le monde entier des capteurs, permettant aux pompiers, aux forces de l’ordre, aux soldats, d’opérer dans un environnement complexe, d’anticiper un risque à proximité et de s’en protéger. De nombreux pompiers américains sont par exemple équipés de produits Bertin-Environics pour leur permettre de réduire le risque d’intoxication par des gaz toxiques après un feu. Il faut réaliser que les sujets NRBC, civils comme militaires, touchent à la sécurité nationale ; la maitrise des technologies dédiées est donc aussi une question de souveraineté. Avec Bertin, en matière NRBC, la France et l’Europe disposent de toutes les ressources pour être souveraines et indépendantes.

La guerre en Ukraine a-t-elle changé la perception des menaces NRBC ?

Les risques NRBC de type militaire sont effectivement revenus sur le devant de la scène récemment. Mais la guerre en Ukraine n’est pas la seule crise qui a permis de remettre le sujet un peu sur le devant de la scène budgétaire. Avant elle, la Syrie avait déjà permis de réaliser que les armées occidentales sont globalement sous-dotées. Nous proposons des savoir-faire et des solutions en service dans de nombreuses armées dont le monde, y compris l’armée française dont Bertin est un partenaire de longue date en matière de détection des risques biologiques. C’est à ce titre que nous participons par exemple à la sécurisation des Jeux Olympiques de Paris 2024. Nos produits sont les seuls à proposer des capacités de détection sur l’ensemble du spectre des menaces NRBC. Ils jouent un rôle d’assurance qui ne doit pas être négligé dans le processus d’équipement de nos soldats. Il gagnerait à être reconsidéré, notamment dans les politiques d’acquisition de matériel par les autorités publiques nationales.

Justement, le risque NRBC, civil ou militaire, est-il suffisamment pris en compte par les autorités publiques ?

Il y a eu un certain relâchement ces dernières années, durant lesquelles ces systèmes de détection ont été vus comme une assurance devenue facultative. Malgré cela, la Défense a toujours essayé de maintenir un certain niveau de cohérence opérationnelle en dépit des contraintes budgétaires. Ce n’est pas la cas en revanche du côté du ministère de l’Intérieur où les investissements en la matière sont très faibles. Faute de budget, les forces de sécurité civile partent d’encore plus loin, les moyens « feux » des pompiers étant jugés prioritaires la plupart du temps sur les moyens NRBC.

Pour autant, avant l’Ukraine, la crise Syrienne et ses éventuelles prolongations terroristes dans nos pays ont montré que le risque est toujours présent et que de plus en plus d’organisations malveillantes s’y intéressent. La décision de la commission européenne est donc une bonne chose car elle concerne le financement de moyens de réaction à une crise, destiné à acquérir, stocker et envoyer des moyens NRBC dans le pays où une crise NRBC surviendrait. Il est intéressant de voir qu’une telle crise peut avoir plusieurs origines et être en conséquence de natures très diverses : elle peut être la conséquence d’un acte de guerre d’un pays proliférant, venir d’une organisation terroriste ou faire suite à un accident industriel.

Précisément, dans un domaine très conservateur, où les normes et les technologies évoluent peu, et contraint par des budgets serrés, comment innover ?

Par rapport à nos concurrents, qui sont souvent des PME, notre taille et notre positionnement international nous permettent d’innover et de financer de la R&D. C’est notamment le cas avec notre filiale finlandaise, qui a récemment sorti un équipement de détection chimique individuel, un appareil de la taille de deux téléphones portables empilés, capable de vous dire s’il y a un gaz de combat dans l’atmosphère autour de vous. L’innovation porte sur la fiabilité, la performance analytique, la simplicité d’utilisation, l’intégration dans un réseau de communication et de commandement… Autant de sujets auxquels les armées sont sensibles. Même si je le juge insuffisant, la France a heureusement su maintenir toutes ces années un flux de financements de l’innovation dans ce domaine, en particulier via la DGA.

Peut-on réellement maintenir une production industrielle sur le territoire national ? Faut-il se concentrer sur du très haut de gamme à forte valeur ajoutée ou sur la recherche ?

On ne parle pas de production de masse à la chinoise. Dans le domaine NRBC, ce sont quelques centaines d’équipements par an, une production centrée sur des produits à forte valeur ajoutée. Donc oui, il est tout à fait possible d’avoir pour ces produits une production nationale française ou européenne comme avec notre filiale finlandaise. C’est donc non seulement possible mais c’est surtout souhaitable pour des questions de souveraineté et de réindustrialisation : nous voulons faire partie des entreprises sur lesquelles les gouvernements peuvent compter en cas de crise.

Bertin est une entreprise qui a l’innovation gravée dans son ADN. Le Bertin « historique » concentrait son activité sur des projets de « développement technologique », essentiellement via la fabrication de prototypes. Mais à force d’investissement commerciaux technologiques et industriels depuis dix ans, nous sommes passés majoritairement sur une production en série de produits industriels de haute technologie, cette activité industrielle représentant maintenant plus de 60 % de notre CA, avec des produits que l’on fabrique désormais dans en usines, achetables « sur étagère », mais toujours avec le même niveau d’exigences en termes de fiabilité et de performances.

Bertin Technologies exporte beaucoup. Vos clients étrangers n’ont pas de problème à travailler avec un industriel français ? Sentez-vous une perception positive et une reconnaissance du savoir-faire français à l’étranger, dans le domaine industriel et technologique ?

Nous sommes en effet une entreprise à capitaux majoritairement français qui, à notre modeste niveau, peut tout de même racheter des entreprises étrangères. C’est une chance car cela permet à la France à travers Bertin d’acquérir des compétences et des savoir-faire que nous n’aurions pas sinon. De fait, à l’international, nous sommes maintenant considérés avant tout comme un industriel européen par nos clients étrangers.

En fonction de l’objectif recherché, le client peut être un acteur étatique, une entreprise nationale comme EDF, une entreprise privée, une PME/ETI, etc. Mais nos clients se divisent globalement en deux catégories : ceux qui vont utiliser nos produits pour créer/fabriquer leur produit scientifique, et ceux qui vont les utiliser pour surveiller et préserver la sécurité (environnementale, humaine, etc.). Dans ces deux domaines, être Français n’est pas un inconvénient, au contraire : le savoir-faire français en matière de produits de défense est largement reconnu, de même que la « science » française et la qualité des équipements scientifiques français. Après, les fondamentaux de notre secteur d’activité restent les mêmes qu’ailleurs : si vous avez le bon produit, pour un besoin bien défini, livrable à temps au prix du marché, peu importe la nationalité. Le fait que nous soyons d’origine française sera important, mais restera la plupart du temps au deuxième plan.

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