Récession des bénéfices ? Lire entre les lignes des rapports des entreprises

La saison des résultats du quatrième trimestre s’est avérée faible dans l’ensemble des régions du monde, en raison du ralentissement de la demande et de l’augmentation des coûts de production, notamment de l’énergie, des matériaux et de la main-d’œuvre. Cependant, les ventes ont continué à croître, avec des surprises positives aux États-Unis, en Europe et au Japon. Nous examinons ici le message que les bénéfices des entreprises adressent sur la santé – ou le déclin à venir – de l’économie, et où investir sur les marchés actions.

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Par Stéphane Monier Publié le 9 mars 2023 à 5h04
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Récession des bénéfices ? Lire entre les lignes des rapports des entreprises - © Economie Matin
0,2%La Zone Euro pourrait éviter la récession en 2023 avec une croissance de 0,2%.

Aux États-Unis, pour la première fois depuis la pandémie, les bénéfices des entreprises du S&P 500 ont baissé par rapport à l'année précédente avec, comme vecteurs de ce déclin, les secteurs des matériaux, des services financiers, de la technologie, des services publics et des télécommunications. Les marges bénéficiaires nettes ont fléchi pour le sixième trimestre consécutif. Il y a eu cependant quelques signes encourageants. En effet, les entreprises des secteurs de l'énergie, de l'industrie et de la consommation discrétionnaire ont enregistré une forte croissance de leurs bénéfices. Le glissement des dépenses affectées aux biens vers les dépenses affectées aux services soutient les actions de petite capitalisation. Néanmoins, de manière générale, le pessimisme a dominé.

En Europe, les trois quarts des entreprises ont publié leurs résultats à ce jour. Les bénéfices par action (BPA) des sociétés de l'indice Stoxx600 ont, selon les estimations, augmenté de 4% au quatrième trimestre, grâce aux entreprises du secteur de l'énergie et des services financiers, et aux secteurs défensifs tels que les services publics, les biens de consommation de base et les produits industriels. La croissance de 15% des revenus s'est avérée supérieure aux prévisions. Les agences de publicité ont vu leurs ventes augmenter après plusieurs années de croissance anémique – une bonne surprise. Toutefois, le secteur de l'énergie a faussé le tableau, les grands groupes énergétiques ayant enregistré des bénéfices records en 2022. Si l'on exclut les entreprises du secteur de l'énergie, le BPA des entreprises européennes a chuté de 3%. Et il y a eu d'autres mauvaises nouvelles. Les banques britanniques ont déclaré que la forte augmentation des bénéfices due à la hausse des taux d'intérêt était possiblement terminée, décevant les investisseurs.

En Asie, où la saison des bénéfices bat son plein, les entreprises voient leurs marges se réduire. Selon les indications les plus récentes, les entreprises indiennes et japonaises ont augmenté leurs revenus au quatrième trimestre, mais ont vu leurs bénéfices chuter en glissement annuel. La fin des restrictions pandémiques et le redémarrage du tourisme entrant et sortant ont aidé certains pays. Une partie des agences de voyage ont vu la demande revenir à son niveau d'avant la pandémie. Les entreprises japonaises ont augmenté leurs dépenses consacrées aux usines et aux équipements pour le septième trimestre consécutif, soutenues par la dynamique de réouverture en cours et la diversification continue des chaînes d'approvisionnement. Les rapports des entreprises indiquent à ce jour que les bénéfices nets ont reculé en Corée du Sud, en Thaïlande et à Taïwan, et augmenté à Singapour et en Malaisie.

En Chine, la saison des bénéfices n'a pas encore sérieusement commencé. Les résultats préliminaires de certaines entreprises cotées sur les bourses de Shanghai et de Shenzhen ont été conformes ou légèrement inférieurs aux niveaux attendus. Les résultats des grandes sociétés internationales de l'Internet ont été globalement positifs. Les analystes attendent de pouvoir examiner l'impact de la réouverture au fur et à mesure que les entreprises publieront leurs résultats dans les semaines à venir. Nous pensons que les prévisions de bénéfices pour 2023 pourraient être revues à la hausse.

Évidemment, les bénéfices des entreprises possèdent un caractère rétrospectif, alors que les investisseurs ont tendance à se concentrer davantage sur les orientations pour l'année à venir. Les révisions à la baisse des prévisions de bénéfices pour 2023 par les analystes ont été les plus significatives depuis la crise financière mondiale. La plupart des analystes s'attendent désormais à ce que les bénéfices du S&P 500 restent globalement stables en 2023. Pourtant, même cette perspective aussi modeste soit-elle, pourrait s'avérer optimiste : en moyenne, depuis 1960, les bénéfices ont chuté de 17% durant les récessions. Cependant, les prévisions du marché sont désormais beaucoup plus proches de notre scénario de base, à savoir une contraction des bénéfices de 5%, qui intègre des épisodes récessifs aux États-Unis durant le second semestre de 2023.

 Les raisons de l'optimisme

Jusqu'à présent, les entreprises ont fait du bon travail en matière de gestion des coûts. Les principales entreprises technologiques ont été rapides à licencier et les grandes sociétés manufacturières suivent désormais leur exemple. Aux États-Unis et en Europe, les entreprises du secteur des biens de consommation de base sont parvenues à défendre leurs marges en augmentant les prix et en réalisant des gains d'efficience, sans décourager leurs clients jusqu'à ce jour. En effet, la demande des consommateurs américains s'est avérée étonnamment résiliente, comme en témoigne la vigueur des ventes au détail en janvier. Même si, aux États-Unis et en Europe, la demande devait ralentir plus tard dans l'année, ainsi que nous nous y attendons, la réouverture de la Chine pourrait donner un coup de pouce à un certain nombre d'entreprises. Les producteurs de matières premières et les détaillants du secteur du luxe devraient en bénéficier. Dans le même temps, la normalisation des chaînes d'approvisionnement pourrait aider d'autres secteurs durant l'année 2023 – notamment les constructeurs automobiles et les fabricants de jeux vidéo, qui souffrent de la pénurie de puces électroniques.

Les raisons du pessimisme

Cela dit, les bénéfices du quatrième trimestre ont aussi été impactés par le recours aux stocks accumulés durant la pandémie et par l'utilisation de l'épargne des consommateurs constituée durant la même période – une situation qui ne durera pas indéfiniment. Dans un contexte de ralentissement de la demande et d'inflation toujours élevée, les entreprises pourraient être confrontées à une baisse continue de leurs marges en 2023. Les perspectives sont exceptionnellement difficiles à prédire. Les grands détaillants américains affirment que les dépenses en matière d'habillement et d'électronique ont fléchi ces derniers mois. Parallèlement, il y a une limite à la capacité des entreprises à répercuter les augmentations de coûts sur les acheteurs.

Après une augmentation de 15% l'année dernière, le géant de l'alimentation Kraft-Heinz ne prévoit pas de nouvelle hausse des prix en 2023. La pression sur les salaires se poursuit, avec un taux de chômage proche d'un niveau bas record aux États-Unis et en Europe. Un problème qui ne touche pas que les banques centrales. Aux États-Unis, Home Depot a déclaré qu'il s'attendait à une baisse de ses bénéfices en 2023 après avoir augmenté les salaires de ses employés pour un montant d'un milliard de dollars. La Pologne et la Hongrie connaissent une croissance des salaires à deux chiffres. Même au Japon, pays de la modération salariale, les principaux constructeurs automobiles ont annoncé les plus fortes hausses de salaires depuis 20 ans.

Projections pour le S&P 500

Quelles en sont les conséquences pour les marchés boursiers ? En 2022 et au début de 2023, ce sont les perspectives en matière de taux d'intérêt qui ont joué le rôle de moteur, bien plus que les bénéfices des entreprises. Les marchés ont eu tendance à progresser en réaction à de mauvaises nouvelles concernant l'économie américaine – dans l'anticipation d'une baisse des taux d'intérêt – et à reculer lorsque les données étaient bonnes, dans l'attente de nouvelles hausses ou d'un maintien des taux à un niveau élevé. Des taux durablement plus élevés plafonneront probablement toute hausse des valorisations, tandis que des rendements obligataires élevés réduisent les incitations relatives à détenir des actions pour les investisseurs multi-actifs. Néanmoins, nous pensons que les taux des fonds fédéraux américains culmineront à quelque 5,5% en juin et que l'inflation se rapprochera progressivement de 3% d'ici la fin de l'année.

Notre analyse historique suggère que les actions américaines peuvent enregistrer de bonnes performances après la dernière hausse des taux (voir graphique). Nous modélisons un éventail de scénarios pour le S&P 500 en 2023. D'une hausse à 4'500 dans le meilleur des cas (avec une croissance du chiffre d'affaires de 5%, et des marges et des valorisations maintenues globalement aux niveaux actuels), à 3'200 (où une inflation obstinément élevée porte les taux à 6% ou plus). Nous estimons que le plus probable est que l'indice finira l'année quelque part au milieu de ces scénarios, autour du niveau actuel de 3'900.

Dans ce contexte, nous privilégions une exposition neutre aux actions et une approche patiente, en recherchant des opportunités plus nuancées en dehors des États-Unis. Nous préférons les zones les mieux protégées du ralentissement conjoncturel et/ou affichant des valorisations plus faibles. Cela se traduit par une surpondération des actions chinoises, émergentes et des valeurs japonaises de petite et moyenne capitalisation – ces dernières bénéficiant d'une forte demande intérieure – par rapport aux États-Unis et à l'Europe. Dans nos allocations, nous privilégions également les titres de style valeur par rapport aux actions de croissance, ainsi que les secteurs défensifs, plus résilients, notamment ceux de la santé et des services financiers.
eurs de la santé et de la finance.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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