Une première depuis plus de vingt ans. La Banque de France affiche un résultat dans le rouge pour l’année 2024, avec une perte nette de 7,7 milliards d’euros. Derrière ce chiffre inquiétant se cachent des choix monétaires contestés, une conjoncture internationale instable et une mécanique financière implacable.
La Banque de France dans le rouge : du jamais vu depuis 20 ans
Une chute vertigineuse pour la Banque de France
Mercredi 19 mars 2025, la Banque de France a officialisé une perte nette de 7,7 milliards d’euros pour l’exercice 2024. Une situation inédite, mais prévisible, tant la spirale négative s’est enclenchée depuis plusieurs années. L’institution avait déjà enregistré une perte opérationnelle de 12,4 milliards d’euros en 2023, compensée à l’époque par l’utilisation intégrale de ses réserves pour éviter une publication déficitaire. Cette fois-ci, même en puisant 10,1 milliards d’euros dans le Fonds pour risques généraux (FRG), le gouffre était trop profond pour être comblé.
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a tenté de rassurer lors d’une conférence de presse : « C'est un chiffre qui n'a pas existé dans l'histoire de la Banque de France, et qui n'existera plus non plus dans l'avenir prévisible. » Le problème ? Une perte opérationnelle totale de 17,9 milliards d’euros qui illustre une fragilité structurelle. À titre de comparaison, la Bundesbank allemande, pourtant réputée plus prudente, affiche une perte record de 19,2 milliards d’euros. Un simple accident de parcours ou la conséquence d’une stratégie monétaire désastreuse ?
Pourquoi un tel effondrement ?
Cette hémorragie financière repose sur un mécanisme bien connu : la hausse des taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale européenne (BCE). Pour mieux comprendre, il faut remonter à la double crise qui a bouleversé l’économie mondiale :
- 2020 : la pandémie de Covid-19 pousse la BCE à acheter massivement des obligations d’États et d’entreprises à des taux extrêmement bas, souvent autour de 0,7 %.
- 2022 : la guerre en Ukraine entraîne une flambée inflationniste qui contraint la BCE à relever brutalement ses taux, atteignant un sommet de 4 % en 2023.
Problème : la Banque de France rémunère aujourd’hui les dépôts des banques commerciales à ces taux élevés, tandis que les obligations à faible rendement qu’elle détient restent figées à des taux dérisoires. L’écart entre ces deux flux financiers creuse inexorablement le déficit.
Autrement dit, la Banque de France s’est retrouvée piégée dans un arbitrage défavorable : des actifs sous-performants face à des engagements financiers explosifs.
Une institution en péril ?
Malgré ce choc historique, la Banque de France se veut confiante. François Villeroy de Galhau insiste sur la solidité financière de l’institution, rappelant que ses capitaux nets et ses actifs latents atteignent 202,7 milliards d’euros. Autrement dit, pas de faillite en vue, et surtout pas de recapitalisation nécessaire par l’État. Un optimisme qui ne convainc pas tout le monde. Certains économistes pointent du doigt une situation comparable à celle de la BCE qui, elle aussi, enregistre une perte record de 7,94 milliards d’euros en 2024.
Les projections pour 2025 sont plus encourageantes, avec une diminution attendue des pertes grâce à l’assouplissement monétaire de la BCE et à l’échéance progressive des obligations souscrites à taux faibles. Mais une question demeure : cette crise était-elle évitable ?
Un système monétaire à revoir ?
Ce séisme financier met en lumière une problématique plus vaste : la gestion des politiques monétaires dans un contexte de crises à répétition. Depuis 2008, les banques centrales ont enchaîné les décisions radicales, passant du quantitative easing (rachats massifs d’actifs) à une politique de taux élevés pour freiner l’inflation. Le résultat ? Des institutions comme la Banque de France subissent aujourd’hui un effet de ciseaux redoutable, et la facture s’annonce lourde pour plusieurs années encore.
La prochaine étape sera donc cruciale. Si la BCE maintient sa trajectoire actuelle, les pertes des banques centrales devraient progressivement se résorber. Mais si un nouveau choc économique survient, la Banque de France pourrait à nouveau plonger dans l’abîme. La conclusion est amère : après des années de croissance artificiellement soutenue par des politiques monétaires ultra-accommodantes, l’heure du réveil brutal a sonné. La Banque de France, autrefois symbole de stabilité, se retrouve désormais dans une position inconfortable qui interroge sur l’avenir même du modèle monétaire européen.