Une candidate, une affaire, une élection : le casse-tête moral de la BAD

La Banque africaine de développement s’apprête à désigner sa nouvelle présidence. À première vue, l’évidence semble s’imposer : une candidate expérimentée, ambitieuse, saluée pour sa maîtrise technique. Mais à y regarder de plus près, certaines questions ne cessent de flotter, entêtantes, sur les couloirs impeccables de l’institution.

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Par La rédaction Publié le 3 avril 2025 à 10h19
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Une candidate, une affaire, une élection : le casse-tête moral de la BAD - © Economie Matin
2,32 MILLIARDS $Les revenus de la Banque africaine de développement ont atteint 2,32 milliards de dollars américains en 2023

Le 11 février 2025, le Comité directeur de la Banque africaine de développement (BAD) a officialisé la liste des cinq prétendants à sa présidence. À la clé, une élection programmée pour mai, et une bataille feutrée où se jouent bien plus que des titres honorifiques. Dans cette compétition feutrée, une figure se détache : Swazi Tshabalala, Sud-Africaine, ancienne directrice financière de la BAD, seule femme parmi les candidats. Soutenue par une partie du continent, elle cristallise aussi critiques et réserves.

Une ambition claire à la tête de la banque africaine de développement

Dans un entretien accordé le 29 mars 2025 à Financial Afrik, Swazi Tshabalala déroule une vision ambitieuse de son futur mandat. « Je me présente pour diriger une banque qui avance avec l’urgence de nos défis », affirme-t-elle, défendant une transformation « plus audacieuse, plus rapide et plus inclusive » de la BAD . Elle promet notamment de réduire de moitié les délais d’approbation des projets, de mobiliser des capitaux privés et d'intégrer les enjeux climatiques à tous les niveaux de financement.

Ses priorités ? Infrastructures stratégiques, soutien massif au secteur privé, développement du numérique, promotion de l’intégration régionale. Pour elle, l’Afrique ne doit plus attendre. Elle doit agir. Et elle insiste : « La Banque africaine de développement doit devenir le meilleur endroit pour bâtir l’avenir de l’Afrique ».

Rien à redire sur le fond. Une ligne claire, des objectifs mesurables, un CV en béton. Mais l’image de rigueur qu’elle projette peine à effacer une affaire judiciaire embarrassante pour la BAD, dont les retombées, bien que passées, semblent rattraper sa trajectoire.

Quand la banque se heurte à la justice : l’affaire Nseera, un précédent oublié

En 2018, la Haute Cour de Pretoria a infligé un revers retentissant à la Banque africaine de développement dans une affaire aussi simple qu’explosive : l’application d’une ordonnance de saisie sur le salaire d’un employé de la BAD pour pension alimentaire. La banque refusa. Motif : immunité juridictionnelle.

La justice sud-africaine rejeta cet argument : « Une convention internationale non intégrée par la législation sud-africaine n’a aucune valeur contraignante. La BAD ne peut se soustraire à une décision judiciaire sous couvert d’immunité alors qu’il s’agit d’une obligation alimentaire » (African Development Bank v Nseera, Haute Cour de Pretoria, 15 juin 2018).

Le jugement établit que les privilèges de la BAD ne sauraient s’exercer au détriment de droits fondamentaux, en particulier ceux d’un enfant. Au-delà du fond, c’est l’attitude de la banque — et de ses dirigeants de l’époque — qui pose question. Swazi Tshabalala occupait alors des fonctions exécutives de premier plan. Son silence prolongé sur cette jurisprudence demeure un point d’interrogation pour nombre d’observateurs. Surtout que la décision de la Haute Cour de Pretoria soulève une autre question : comment Swazi Tshabalala peut-elle continuer de profiter des privilèges de la BAD, des immunités et avantages ou vouloir devenir Présidente de la BAD alors que l’Afrique du Sud n’a pas intégré la Charte de la banque ?

Une banque, une candidate, et l’ombre d’une culture d’opacité

La banque, rappelons-le, ne s’est jamais excusée ni exprimée publiquement sur le jugement de Pretoria. Et Swazi Tshabalala, interrogée à de nombreuses reprises ces dernières années sur des sujets de gouvernance interne, a souvent privilégié l’esquive diplomatique à la parole tranchée. Ce choix de stratégie, jugé prudent par ses partisans, est dénoncé par ses détracteurs comme une preuve de continuité avec une tradition de non-responsabilité. Peut-on diriger une banque de développement sans affronter de face les controverses qu’elle porte ?

À ce stade, les critiques ne relèvent pas du procès d’intention. Elles interrogent une trajectoire. D’aucuns rappellent que Swazi Tshabalala, alors vice-présidente, était une des rares figures à pouvoir infléchir la doctrine de la BAD sur ses immunités — doctrine invalidée par une cour souveraine. Elle ne l’a pas fait. Elle ne l’a même pas commentée.

Une phrase de l’interview du 29 mars 2025 résonne à ce titre avec une ironie involontaire : « Sous ma direction, la Banque africaine de développement ne sera pas un nom sur un bâtiment. Elle sera une présence dans la vie des gens. » Encore faut-il que cette présence ne se réduise pas à une politique de vitrine.

Une élection sous tension dans un contexte géopolitique fragmenté

Le vote prévu pour mai 2025 s’annonce disputé. La banque compte 54 membres régionaux africains, mais aussi 27 membres non-régionaux, dont les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Chine et le Japon. Or, Swazi Tshabalala, bien que soutenue officiellement par Pretoria, peine à fédérer un consensus clair parmi les pays francophones et plusieurs États d’Afrique centrale. Certains redoutent une hégémonie anglo-saxonne sur une institution historiquement façonnée par des équilibres fragiles. La candidate sud-africaine reste néanmoins favorite capitalisant sur son expérience de la gestion des crises, notamment durant la pandémie de COVID-19.

Swazi Tshabalala ne manque ni d’expertise, ni d’audace, ni de vision. Mais l’élection à la présidence de la Banque africaine de développement ne peut reposer sur le seul bilan technique. Elle engage aussi une éthique, une capacité à faire face, une disposition à reconnaître les erreurs d’hier pour construire la crédibilité de demain.

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