Longtemps attendues, mille fois repoussées, elles semblent cette fois imminentes : les baisses de taux directeur de la Réserve Fédérale américaine (Fed) devraient enfin s’enclencher à l’issue de la réunion du comité de politique monétaire, le 18 septembre prochain. Le marché attend avec certitude une baisse d’au moins 25 points de base, diminuant la borne supérieure de la fourchette de taux à 5,25%, contre 5,50% actuellement. Une baisse de 50 points de base est même sérieusement envisagée.
Baisse des taux directeurs : pourvu qu’elle soit douce
Cet acte inaugural devrait en outre être suivi, selon le marché, par une série de 2 ou 3 nouvelles baisses de 25 points d’ici fin 2024, puis de 4 d’ici l’été 2025, soit 200 points de base au total d’ici un an.
Mais pourvu que ces baisses soient douces ! Car dans le cas contraire, si les baisses de taux devaient s’avérer fortes ou rapides, cela ne pourrait être dû qu’à deux facteurs, tous deux problématiques. Soit un reflux très rapide de l’inflation, aujourd’hui difficilement envisageable – qui lui-même devrait avoir pour origine une instabilité dans le système économique, par exemple un tassement de la demande, une forte baisse des marges des entreprises, une brutale appréciation du dollar ou encore une compétition acharnée des produits chinois. Soit un fort ralentissement de l’économie. Dans tous les cas, des baisses de taux à marche rapide signeraient la fin de l’euphorie dans laquelle baigne le marché depuis plus d’un an, se réjouissant d’un « atterrissage en douceur » jusqu’ici impeccablement réalisé.
Pour qu’elles soient douces, il faudrait surtout que plusieurs tendances préoccupantes ne s’amplifient pas. En particulier la hausse du chômage américain, passé de 3,7% en janvier à 4,3% en août – même si le niveau surprenant de juillet pourrait en partie être dû à des conditions météorologiques dégradées. Ou encore, la baisse du rythme de création d’emplois qui décroit, pour atteindre en juillet 170 000 par mois (moyenne lissée sur 3 mois), soit le niveau le plus faible de cette moyenne depuis fin 2019 – hors crise du Covid.
Rien de très inquiétant jusque-là, mais cette évolution rapproche mécaniquement l’économie américaine de la frontière séparant « l’atterrissage en douceur » d’un « atterrissage précipité ». Or, maintenir l’économie dans cette zone douce est particulièrement ardu avec des taux réels (corrigés de l’inflation) aussi élevés qu’aujourd’hui. L’inflation lissée sur 3 mois s’établissant à 3%, les taux réels se montent en effet à près de 2,5% sur le court terme, et toujours à plus de 1% sur le long terme, puisque le taux nominal à 10 ans est lui-même proche de 4% sur le dernier mois. Autrement dit, la Fed freine toujours fortement l’économie alors que la dynamique de l’emploi et de l’inflation s’affaiblit. Le risque d’un resserrement excessif est manifeste.
Malgré cela, le marché conserve une grande sérénité, à peine troublé par un épisode de volatilité très temporaire début août, totalement effacé depuis. Il compte donc sur le fait que la Fed renouvelle indéfiniment l’exploit consistant à n’appuyer sur le frein que dans la proportion strictement nécessaire. Les exploits de ce genre peuvent-ils durer éternellement ? Certains champions olympiques légendaires, mis au défi une millième fois cet été, pourraient le laisser croire. Jerome Powell pourra-t-il intégrer leur rang, en décrochant la médaille du ralentissement le plus doux ?