Santé : des nanobots contre les bactéries antibiorésistantes ?

Des instruments plus petits qu’un cheveu humain sont en train d’être élaborés pour éradiquer les bactéries résistantes aux antibiotiques et lutter contre le cancer.

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Par Horizon Publié le 17 février 2024 à 8h00
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nanobot, bactérie, danger, médecine, aide, antibiotiques - © Economie Matin
51%La consommation d'antibiotiques a grimpé de 51% chez les enfants en 2022.

Le docteur Ana Santos revient avec émotion sur une période marquante de sa vie: le décès il y a plusieurs années de son grand-père et d’un oncle des suites d’une infection urinaire, et celui d’une amie proche à cause d’une coupure infectée. 

Ces décès l’ont profondément choquée. À l’époque des antibiotiques, de tels malheurs n’étaient pas censés se produire.

Avènement et chute des antibiotiques

«Des membres de ma famille mouraient d’infections», a déclaré Mme Santos, microbiologiste à l’Institut de recherche en santé des îles Baléares, ou IdISBa, en Espagne. «J’ai commencé à réaliser que nous revenions en arrière: nos antibiotiques n’étaient plus efficaces.» 

C’est un problème mondial. En 2019, près de 5 millions de décès dans le monde étaient liés à des microbes résistants aux antibiotiques, selon la revue médicale The Lancet

Six types de bactéries résistantes font le plus de dégâts. D’après l’Organisation mondiale de la santé, les maladies résistantes aux médicaments pourraient être la cause directe de 10 millions de décès d’ici 2050. 

Mme Santos s’est attelée à lutter contre ces chiffres alarmants en dirigeant un projet de recherche financé par l’UE qui visait à mettre au point des machines microscopiques capables de tuer les bactéries résistantes. Intitulé REBELLION, le projet a duré 39 mois et s’est achevé en avril 2023.

«J’ai découvert ce concept de machines moléculaires qui percent des trous les cellules», a déclaré Mme Santos. «Nous devons commencer à faire preuve de créativité.»

En 1928, Alexander Fleming, un médecin écossais, a découvert le premier véritable antibiotique, la pénicilline, fabriquée par d’un certain type de moisissure. D’autres antibiotiques, souvent fabriqués par des microbes du sol, ont ensuite été découverts, sauvant des millions de vies. 

Mais dans ce qui était en fait une course aux armements, les micro-organismes sont parvenus à développer des défenses pour survivre aux antibiotiques. 

Des machines qui percent des trous dans les bactéries

Au moment où ses deux proches et son amie ont perdu la vie à la suite d’infections, Mme Santos était en train d’étudier comment les bactéries vivent et meurent dans des conditions de famine. Elle a alors décidé de réorienter ses recherches. 

«J’étais très frustrée car j’étais face à un problème urgent et je ne faisais rien pour y remédier», a-t-elle expliqué. «De plus en plus de gens meurent d’infections résistantes aux antibiotiques.»

Elle a demandé à des chercheurs spécialisés dans ce domaine de lui donner un coup de main et s’est associée à un groupe espagnol pour mener des essais sur la façon dont de minuscules machines moléculaires transpercent les bactéries. Les machines sont constituées de deux parties d’une molécule liées chimiquement. Sous l’effet de la lumière, la partie supérieure commence à tourner rapidement comme un foret.

Les antibiotiques s’accrochent souvent à une protéine bactérienne particulière, un peu comme une clé s’insère dans une serrure. Problème: les bactéries peuvent subir une modification physique pour que la clé ne rentre plus dans la serrure. Les antibiotiques restent à l’extérieur. 

Les nanomachines ont pour avantage d’être beaucoup plus difficiles à esquiver par les bactéries. 

Mme Santos a fait progresser ces machines tueuses de bactéries grâce au projet REBELLION.

Des machines qui tuent les superbactéries

Les deux parties de ces machines mesurent moins de 100 nanomètres, soit un millième de la largeur d’un cheveu humain. Leur taille est insignifiante par rapport aux bactéries. 

Dans son laboratoire, Mme Santos a libéré plusieurs millions de ses nanomachines dans des amas de bactéries. Les machines se sont liées aux bactéries et, une fois exposées à la lumière, ont commencé à tourner et à les transpercer. 

Devant son microscope, Mme Santos a alors jubilé: les cellules bactériennes étaient criblées de minuscules trous. 

D’autres expériences ont révélé que ces minuscules forets peuvent tuer tout un éventail de souches qui infectent couramment les humains. 

Elle a ensuite essayé autre chose: un plus petit nombre de machines contre le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, ou SARM, une superbactérie notoire particulièrement mortifère. Une plus faible concentration de machines réduirait le risque d’endommager les cellules humaines.

Les instruments ont fait suffisamment de trous dans le SARM pour qu’il soit à nouveau vulnérable aux antibiotiques. 

«Il est très difficile pour les bactéries de développer une résistance à cette action», a déclaré Mme Santos. «C’est comme si on les bombardait.»

Des machines qui guérissent les plaies

Pour déployer cette nouvelle arme contre les bactéries résistantes, les chercheurs devront s’assurer que les nanomachines sont sans danger pour les patients. Cela implique de cibler les bactéries de façon infaillible mais pas les cellules humaines. 

L’une des premières raisons d’être optimiste est que les nanomachines sont chargées positivement. Par conséquent, elles préfèrent s’attacher aux bactéries chargées négativement plutôt qu’aux cellules humaines, plus neutres. 

Lors des expériences menées par Mme Santos sur des vers, les nanomachines n’ont pas altéré les cellules humaines après avoir été injectées. Soucieuse de rapprocher cette stratégie des patients, elle prépare la prochaine étape: réaliser des essais d’innocuité sur la souris. 

En cas de réussite, les premiers patients traités pourraient être ceux présentant des plaies infectées, en particulier les grands brûlés, sujets aux infections. 

Les nanomachines pourraient être placées sur leur peau et, activées par la lumière, transpercer les bactéries qui infectent la plaie.

Meilleure équipe européenne 

Les nanomachines sont régulièrement sous le feu des projecteurs. 

Le professeur Ben Feringa de l’Université de Groningen, aux Pays-Bas, a remporté le prix Nobel de chimie en 2016 pour ses nanomachines dotées de moteurs moléculaires pouvant être activés par un rayonnement ultraviolet. 

Les molécules changent de forme lorsqu’elles sont frappées par la lumière. Elles peuvent donc servir d’interrupteurs ou de déclencheurs. M. Feringa a même construit une nanovoiture constituée d’une seule molécule capable de se déplacer le long d’une surface de cuivre.

Il participe à la supervision d’un projet de recherche financé par l’UE qui forme de jeunes scientifiques aux machines moléculaires. Intitulé BIOMOLMACS, le projet s’étend sur quatre ans et demi et prendra fin en juin 2024.

Bien qu’elles ne soient pas encore disponibles dans les hôpitaux, les nanomachines présentent le potentiel nécessaire pour soigner les patients atteints d’un cancer d’une manière qui suscite l’enthousiasme chez les scientifiques et les médecins. Les médicaments anticancéreux actuels provoquent souvent des effets secondaires tels que pertes de cheveux, nausées, fatigue ou faiblesse immunitaire. Ceci est dû au fait que les médicaments peuvent altérer les cellules saines.

On peut imaginer qu’un jour des nanomachines délivreront des médicaments qui tuent les cellules en ciblant avec précision le cancer des patients, peut-être en se frayant un chemin jusque dans n’importe quelle tumeur.

Maria Vicent, professeure à la Fondation de recherche biomédicale de Valence, en Espagne, supervise le projet BIOMOLMACS qui conçoit de minuscules supports permettant d’administrer des médicaments dans les cellules du cancer du sein.

Jan van Hest de l’Université de technologie d’Eindhoven, aux Pays-Bas, supervise lui aussi le projet. Il élabore des matériaux qui peuvent être utilisés pour transporter des vaccins ou des nanomédicaments à l’intérieur des cellules, notamment celles qui sont cancéreuses.

M. Van Hest, Mme Vicent et M. Feringa peuvent compter sur l’aide d’autres chercheurs de premier plan venus d’autres pays d’Europe qui apportent leur propre expertise.

Le professeur Remzi Becer de l’Université de Warwick au Royaume-Uni crée des nanoparticules de polymère pour administrer de futures thérapies géniques à des endroits précis du corps des patients. Les particules sont souvent des sucres enrobés car ils ont la capacité d’agir comme une clé permettant d’ouvrir les cellules du corps. 

«Ces sucres synthétiques peuvent interagir avec les membranes cellulaires et fournir à la particule une clé permettant d’ouvrir la porte et d’introduire un gène à l’intérieur de la cellule», a expliqué M. Becer, qui encadre deux scientifiques débutants et coordonne l’ensemble du projet avec 15 doctorants. 

Toujours au Royaume-Uni, le professeur Robin Shattock de l’Imperial College de Londres travaille sur les nanoparticules lipidiques, qui sont de minuscules sphères constituées de graisses qui peuvent pénétrer en toute sécurité dans les cellules. Les nanoparticules lipidiques sont l’avancée qui a permis de mettre au point les vaccins contre la Covid-19. 

Nouveaux talents 

Les étudiants de ces chercheurs européens de premier plan seront peut-être la nouvelle vague de chercheurs en médecine. 

«Le prochain grand changement pour l’industrie pharmaceutique consistera à entraîner nos gènes pour qu’ils préviennent ou luttent contre le cancer», a déclaré M. Becer. 

Selon lui, le projet BIOMOLMACS peut préparer les scientifiques à embrasser des carrières dans certaines entreprises qui développent des nanomachines qui serviront à administrer de tels traitements biologiques dans des organes précis.

Pendant ce temps, Mme Santos, par le biais du projet REBELLION, espère que son travail pourra aussi faire une différence pour les patients atteints d’un cancer et plus vulnérables aux infections bactériennes à cause de leur traitement. 

«Mon amie a vaincu le cancer mais elle est décédée ensuite d’une infection», a-t-elle déclaré. «Je me souviens encore quand le médecin a dit que la bactérie résistait à tout et qu’il n’y avait rien faire.» 

Son objectif est que les médecins n’aient plus jamais à prononcer ces paroles. 

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE, par le biais des Actions Marie Skłodowska-Curie (MSCA). Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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