L’avenir économique de la France passe par des PME

Extrait du livre de Bernard COHEN-HADAD, L’avenir appartient aux PME, éditions Dunod, 2024. Préface de Jean-Marc Vittori Journaliste économique, éditorialiste aux Échos

Bernard Cohen Hadad
Par Bernard Cohen-Hadad Publié le 21 mai 2024 à 6h30
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L’avenir économique de la France passe par des PME - © Economie Matin
1 000 LILLIARDS D'€Le chiffre d'affaires annuel des PME a passé le cap de 1 000 milliards d'euros.

C’était en 2011. Barack Obama, président des États-Unis, rencontrait Steve Jobs, le célèbre fondateur de l’entreprise Apple qui fait fabriquer ses iPhones en Chine. Il lui posa une question simple : « Pourquoi ce travail ne peut-il pas revenir chez nous ? » Jobs ne lui a pas vraiment répondu. Peut-être n’a-t-il pas osé lui dire qu’il préférait les coûts salariaux et le droit du travail chinois.

Mais il y avait une autre raison. Les usines ne poussent pas dans le désert. Elles travaillent avec de nombreux partenaires. Des fabricants de machines, des fournisseurs, des organismes de formation et bien d’autres encore. Des grands et des petits, des locaux et des mondiaux, des tout récents et de vénérables anciens. Autrement dit, même les organisations les plus puissantes ne peuvent prospérer que dans un écosystème. Quand cet écosystème se délite, il devient très difficile de travailler.

Il faut aussi de tout pour faire une grande économie, comme il faut de tout pour faire un monde. Des grandes entreprises capables de se projeter dans le monde. Des petites et moyennes entreprises qui apportent souplesse, expertise, proximité. Des jeunes pousses qui stimulent l’innovation. Et cette diversité va devenir de plus en plus importante.

Il y a un siècle, l’usine Ford de Rouge, aux États-Unis, était la référence absolue. On venait du monde entier visiter ce site qui comprenait non seulement une usine d’assemblage automobile mais aussi un port, des hauts-fourneaux, une centrale électrique, une blanchisserie, un hôpital, une caserne de pompiers. L’entreprise possédait aussi des mines de fer et des plantations d’hévéas. Elle semblait contenir un monde à elle seule.

Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les entreprises ne cessent de se recomposer. Les frontières bougent sans cesse. Il y a bien sûr toujours des fusions. Mais il y a aussi des séparations, des externalisations où des tâches voire des pans entiers d’activité sont confiés à d’autres firmes. Les outils numériques, qui se sont généralisés ces deux dernières décennies, permettent d’organiser les liens avec beaucoup plus de facilité qu’autrefois.

Dans cette effervescence, la France est dans une situation particulière. Ses habitants ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent. Ou pour être plus précis, ils sont schizophrènes, ils ont l’âme fendue. Officiellement, ils n’aiment pas la grande entreprise, incarnation du grand méchant capital. En pratique, ils lui font plus facilement confiance, préfèrent acheter ses produits, se réjouissent d’aller travailler chez elle plutôt que dans « la PME du coin ». L’État et ses hauts fonctionnaires, eux, raffolent des « champions nationaux ». Ils ont d’excellentes raisons pour cela. Les grandes entreprises peuvent déployer des solutions à grande échelle, s’imposer sur la scène mondiale en entraînant d’autres firmes dans leur sillage, comme savent bien le faire les Allemands. Mais elles sont moins à l’aise sur d’autres plans, pour travailler à petite échelle, pour s’adapter à des terrains mouvants, pour réagir très vite.

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Les jeunes entreprises, elles, ont été mises en lumière ces dernières années après avoir été longtemps dédaignées. Les jeunes diplômés s’y précipitent. C’est la « Start-up Nation », une idée à laquelle tient beaucoup le président de la République Emmanuel Macron. À juste titre évidemment. Dans un monde qui bouge de plus en plus vite, où l’innovation est essentielle, de nouveaux venus sans passé ni passif sont souvent plus aptes à saisir les nouvelles opportunités, à déployer de nouvelles idées. Et pour devenir grand, il faut d’abord naître : certaines grandes entreprises de demain sont aujourd’hui toutes petites encore.

Mais ensuite, il faut grandir. Devenir une PME, avant peut-être de passer à une autre échelle. C’est parfois précieux, pas souvent indispensable. Une PME peut rester PME pendant des décennies, voire des siècles, au profit de tous. Ici comme ailleurs, la croissance n’est pas toujours une saine obsession. Les PME, justement, sont quelque part entre grands groupes et jeunes pousses. Au point d’en être parfois oubliées. De 2014 à 2017, elles ne figuraient plus dans le nom d’un ministère, pour la première fois depuis un demi-siècle. La mention d’un sujet dans l’intitulé d’un portefeuille ministériel n’indique certes pas que ledit sujet est bien traité par le gouvernement. Mais il indique au moins que le sommet de l’exécutif estime qu’il a quelque importance.

Les PME représentent pourtant un acteur majeur de l’économie. Un peu plus de 150 000 entreprises, dans tous les domaines, dans tous les territoires. Plus de 4 millions de collaborateurs (en « équivalent temps plein », donc davantage en réalité), soit 29 % des salariés du privé. Un chiffre d’affaires annuel qui vient de franchir le cap des 1 000 milliards d’euros.

Pendant longtemps, les relations entre grandes entreprises et PME ont été tendues, voire violentes. Elles le restent trop souvent, avec des clients qui prennent l’expression « donneur d’ordre » au pied de la lettre. Mais ces relations changent. Les patrons des grandes firmes prennent conscience de l’importance de soigner leur écosystème plutôt que de le piétiner, de travailler avec les PME plutôt que contre elles. C’est le cas depuis longtemps dans l’aéronautique, la plus performante des filières industrielles en France. Les constructeurs automobiles le redécouvrent à chaque crise, en 2009 puis à nouveau lors de la crise du Covid.

La transition énergétique va amplifier le mouvement. Car pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, les entreprises vont devoir prendre en compte non seulement leurs propres émissions, mais aussi celles de leurs fournisseurs. C’est le fameux « Scope 2 et 3 » des bilans carbone. En juillet 2023, des grands groupes ont lancé l’alliance Pacte PME qui vise à aider 3 500 firmes moins grandes à décarboner leur activité.

Un tissu d’entreprises moyennes et petites en pleine forme est de plus en plus une condition de réussite de l’industrie et de la réindustrialisation. C’est aussi, et encore plus, la condition de territoires vivants.

Quand le dirigeant d’une grande entreprise implante une usine, un entrepôt ou des bureaux ailleurs qu’au pourtour d’une grande ville, il se soucie d’abord de la bretelle d’autoroute et de la gare TGV les plus proches.

Sa contribution à la vie locale se limite souvent aux salaires payés, aux taxes versées et à ses éventuelles bonnes œuvres.

Seules les PME sont en mesure d’animer les espaces. Elles ont été à l’origine des villes européennes, à partir du Moyen Âge, à travers l’artisanat et les commerces. Elles irriguent encore les cités du XXIe siècle, non sans difficultés de toutes sortes, de la concurrence des banlieues qui rendent la voiture inévitable à l’entassement de réglementations parfois contradictoires et souvent ineptes. Et en milieu rural, elles ont un rôle que ne pourra jamais jouer une multinationale ou un État.

Dans les années à venir, les PME vont affronter de multiples défis. Bernard Cohen-Hadad en recense beaucoup dans les pages qui suivent. Trois d’entre eux me semblent essentiels, au-delà de la transition écologique déjà évoquée. Le premier est la numérisation. Les PME françaises sont en retard en la matière alors que c’est une étape essentielle de la vie des entreprises. Parfois pour produire, mais aussi pour vendre, pour faire de la veille technologique, pour acheter, pour transmettre des documents de toute nature, etc.

Le deuxième défi est la complexification, dont on sous-estime toujours le coût en France car ses élites sont largement sélectionnées sur leur capacité à maîtriser les univers complexes. Pour d’excellentes raisons, les règles s’accumulent dans tous les domaines, social, technique, environnemental, fiscal, etc. Les grandes entreprises ont les moyens de gravir cette montagne de contraintes qui peut facilement écraser des organisations moins bien outillées. Les autres ont plus de mal, au point d’être parfois submergées.

Le troisième défi est la transmission. Un dirigeant de PME sur cinq a plus de 60 ans. Dans la décennie à venir, le tiers des patrons de firmes familiales devront passer la main. Pour réussir ce passage déterminant dans la vie d’une entreprise, il y a une seule recette : la préparation en amont, qui n’a rien d’évident.

L’avenir économique de la France passe par des PME nombreuses, vivantes, capables d’attirer des talents, bien équipées, se remettent en question, cherchant la qualité. Cet avenir suppose que les PME soient enfin considérées comme une formidable chance. Par les pouvoirs publics bien sûr, par les très grandes entreprises évidemment, mais aussi et surtout par nous toutes et nous tous, quand nous pouvons choisir nos achats, notre épargne, nos emplois.

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Bernard Cohen Hadad

Bernard Cohen-Hadad est président de la CPME Paris Ile-de-France. Il préside aussi le think tank Étienne Marcel, qu’il a fondé, et la Commission du développement économique du Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) d’Ile-de-France.

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