Auto-entrepreneurs : La malédiction française ou l’art de se tirer une balle dans le pied

L’auto-entrepreneuriat est un excellent régime de création d’entreprises simplifié. Vouloir rabaisser les seuils d’exonération de TVA est la fausse bonne idée malheureusement trop classique. Pourquoi il faut, au contraire, tout mettre en œuvre pour continuer à favoriser ce régime qui booste la création d’entreprises en France.

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Par Pascal Ferron Publié le 14 février 2025 à 5h30
auto-entrepreneur, revenus, cotisation, augmentation, impôt, retraite, pension, complémentaire
auto-entrepreneur, revenus, cotisation, augmentation, impôt, retraite, pension, complémentaire - © Economie Matin
20%La TVA en France est de 20%.

L’auto-entrepreneuriat est l’un des meilleurs exemples de simplification jamais créé en France depuis des décennies et le meilleur régime tremplin de vocation entrepreneuriale simple. Pourtant, depuis sa création, et malgré son succès jamais démenti, y compris durant les périodes économiques les plus difficiles, il fait régulièrement l’objet de tentatives de destruction, de complexification progressive tentant de le rendre nettement moins attractif.

Parmi ces tentatives heureusement avortées, citons la hausse peu argumentée des taux, le découpage en plusieurs catégories d’auto-entrepreneurs avec des taux différents, le nouveau dispositif du bail réel solidaire d’activité, etc. La malédiction française consistant à détruire ce qui est simple et fonctionne parfaitement : le syndrome de la « balle dans le pied » !

Rappelons que le régime de l’auto-entreprise a été créé en 2008 pour encourager tous les futurs entrepreneurs, généralement excellents dans leur métier, qui ont envie d’entreprendre, mais qui sont des « phobiques administratifs » et qui procrastinent devant le mur des formalités ou « bricolent » plus ou moins légalement. Ils sont prêts à se lancer, mais avec des formalités administratives et des contraintes extrêmement allégées. L’une des mesures simplificatrices de ce régime concerne la franchise de TVA : en-dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires, l’auto-entrepreneur ne facture pas directement de TVA qui est incorporée à un taux global, mais ne la déduit pas non plus, ni sur ses achats, ni sur ses investissements en équipement et en matériel. D’ailleurs, le taux unique de prélèvement appliqué au chiffre d’affaires inclut à la fois des charges sociales, des taxes, etc. Pour rappel, le seuil de franchise de TVA est de 37 500 euros pour les prestations de services, et de 85 000 euros pour les activités de négoce depuis le 1er janvier (seuils déjà modifiés par des textes antérieurs pour application au 1er janvier 2025) et la moyenne du chiffre d’affaires annuel des auto-entrepreneurs actifs est, selon l’Urssaf, de l’ordre de 20 000 euros en 2023.

> Les auto-entrepreneurs sont le fer de lance de la création d’entreprises

La création d’entreprises se porte bien en France depuis de nombreuses années. En 2024, 1,1 million de nouvelles entreprises se sont créées, soit une forte augmentation de 5,7 %*, avec globalement un rythme moyen mensuel de 93 000 créations, contre 74 000 avant le Covid en 2019 et 48 000 de 2011 à 2016. Les auto-entreprises, avec 716 194 créations annuelles, représentent 64,5 % du nombre total de créations, niveau proche de celui des années précédentes, en progression de plus de 7 %, alors que celle des petites entreprises individuelles classiques et en baisse de plus de 3 % ! De 2009 à nos jours, la création d’entreprises dites « classiques » par mois n’a évolué que de 23-24 000 à 32 000, soit une progression proche de 25 %, quand celle des auto-entrepreneurs doublait presque.

Type d’entreprises créées en 2024 Pourcentage
Auto-entrepreneurs 716 194 64,5 %
Forme sociétaire (SARL, SA, SAS…) 284 564 25,6 %
Entreprises individuelles classiques 110 480 9,9 %
Total 1 111 238 100 %

Depuis sa mise en place, ce régime ne cesse de faire des émules. Le nombre d’auto-entrepreneurs représente 2,7 millions d’actifs fin 2023, prouvant l’engouement récent pour l’entrepreneuriat, n’en déplaise aux Cassandre patentées (petit rappel : ceux qui n’ont pas réalisé de chiffre d’affaires depuis deux ans sont automatiquement radiés. Ils sont plus de 5 millions inscrits ayant réalisé du CA sur cette période, à rapprocher du total des 30 millions d’actifs en âge de travailler dont 2, 3 millions de chômeurs).

Ce régime a, depuis plusieurs années, largement acquis ses lettres de noblesse et constitue une véritable évolution sociétale. Ce sont des jeunes qui créent leur activité parallèlement à leurs études, des salariés qui veulent tester leur projet d’activité et leur marché avant de se lancer, certains même conservant ce statut par choix, et également des retraités qui valorisent ainsi leur savoir-faire ou se font plaisir et gardent la santé en maintenant une activité. Tous créent de la richesse et symbolisent le dynamisme entrepreneurial et ont un critère commun : l’indépendance.

Ces auto-entrepreneurs génèrent un chiffre d’affaires global annuel de près de 30 milliards d’euros, et, selon l’Urssaf, progressent dans toutes les régions.

> Rabaisser les seuils : pourquoi c’est une fausse bonne idée

Certains décisionnaires envisagent aujourd’hui de rabaisser les seuils ; l’idée émise étant un seuil unique abaissé à 25 000 euros. C’est une spécificité française : entraver ce qui fonctionne bien. Au fil des ans, ces fameux seuils d’exonération ont été augmentés, justement pour favoriser ce statut et lui donner encore davantage de souplesse. Après la dernière augmentation significative (doublement des seuils pour l’accès au statut d’auto-entrepreneur en 2018, première Loi de Finance suivant l’élection d’Emmanuel Macron), la croissance de leur création s’était littéralement envolée.

Pourquoi créer une contrainte nouvelle pour nos chers « phobiques administratifs » ? Arrêtons de nous tirer des balles dans le pied !

Les deux arguments prônés par les tenants de la réduction des seuils ne tiennent pas.
Le premier consiste à penser que cet abaissement permettrait à l’Etat, en récoltant la TVA, de faire rentrer beaucoup d’argent dans les caisses. Cette mesure est estimée à quelques centaines de millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires par an (400 millions selon certaines sources). C’est sans compter sur la baisse d’activité que cette mesure entraînerait : soit une bonne partie des 250 000 auto-entrepreneurs concernés risqueraient de limiter leur chiffre d’affaires d’eux-mêmes pour ne pas faire payer 20 % de plus à leurs clients (taux de TVA en vigueur), soit ils retourneraient dans le bon vieux cercle du paiement en cash sous le manteau. Un entrepreneur, ça s’adapte !

Mais surtout, cela représente une goutte d’eau dans les besoins de financement de l’Etat qui, rappelons-le, connaît un déficit de 170 milliards qui ne sera pas comblé avec des bouts de chandelle. Les solutions réelles et avec un fort impact, tout le monde les connaît mais aucun de ceux qui pourrait agir efficacement n’ose bouger le petit doigt. Alors, envisager de casser le dynamisme de l’entrepreneuriat français pour cela est une aberration totale. Si l’on veut récupérer de l’argent, la pire idée est bien d’en trouver au détriment de la vitalité d’entreprendre ! Heureusement, Bercy vient de réagir, en suspendant la mesure. Mais seulement en la suspendant, pas en l’annulant : les mauvaises idées contreproductives ont la vie dure !

Un autre argument couramment usité consiste à dire que les auto-entrepreneurs concurrencent les artisans par exemple, avec des tarifs qu’ils peuvent fixer plus bas puisque non soumis à TVA. C’est manquer totalement de pratique du terrain. Prenons l’exemple d’un jardinier auto-entrepreneur : il va faire du « petit jardinage », alors qu’une société pourra se charger des travaux plus conséquents. L’auto-entrepreneur ne peut pas recruter ; comme son nom d’origine l’indique, il travaille seul. Et lorsque son activité va grandir, il va avoir besoin d’investir, d’acheter du matériel, ou de recruter, et le calcul sera alors vite fait : pour pouvoir récupérer la TVA sur les machines achetées, il va devoir également la récolter (la facturer), et donc passer en société !

> Priorité absolue à la liberté et à la facilité d’entreprendre

Il n’est pas nécessaire de produire de nombreux dessins ou graphiques complexes pour comprendre que dans l’environnement économique actuel, la priorité absolue doit être de favoriser, d’encourager, de financer et de booster l’entrepreneuriat sous toutes ses formes !

Dans le paysage économique français, les auto-entrepreneurs ont toute leur place et sont la preuve vivante de l’enthousiasme et de l’envie d’entreprendre qui habitent nos concitoyens. Alors arrêtons même d’envisager des mesures inefficaces et nocives.

e rabaissement des seuils a été « suspendu » par nos gouvernants. Grand bien leur fasse d’y renoncer définitivement, et d’ouvrir grand, au contraire, toutes les voies qui mènent à la création d’entreprise, à la créativité, à l’innovation et à l’audace ! De grâce, motivons au lieu d’entraver ce qui est simple et fonctionne, et les résultats ne se feront pas attendre, au contraire !

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Expert-comptable et commissaire aux comptes, diplômé de l’ESC Poitiers. Actuellement et depuis plus de 25 ans, il dirige les sociétés d’audit et de conseil FIMECOR Walter Allinial et FIMECO Walter France, membres du réseau Walter France dont il est vice-président en charge des grands comptes et des partenariats.Il effectue des missions pour le compte d’entrepreneurs, qu’ils soient chefs d’entreprises ou directeur de BU dans des grands groupes internationaux et de leurs filiales. Spécialisé en reprise d’entreprises depuis plus de 20 ans, il mène environ 30 à 40 missions d’audits d’acquisition ou d’évaluation par an, sur toute taille d’entreprise pour le compte de groupes en stratégie de croissance ou d’anciens cadres souhaitant devenir chefs d’entreprises, dispose d’une chronique dans la newsletter « L’Entreprise » sur la reprise d’entreprise, « coache » plusieurs dizaines de repreneurs et participe aux formations sur la reprise d’entreprises au CRA, à HEC entrepreneur, à la CCIP ainsi qu’à l’exécutive MBA d’HEC. Il dirige également des missions de restructurations administratives, financières, ou organisationnelles.

4 commentaires on «Auto-entrepreneurs : La malédiction française ou l’art de se tirer une balle dans le pied»

  • Julien

    Merci pour cet article qui montre la bêtise de ceux qui nous dirigent, nous voulons l’abrogation de cette loi injuste et violente pour des centaines de milliers de petits entrepreneurs qui se lèvent le matin pour travailler…qu on nous laisse tranquille…

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  • Gosset

    Bonjour,

    Dans mon secteur de l’achat revente de biens d’occasion, aucunement concurrentiel aux artisans du BTP, il est impossible de répercuter ne serait-ce que quelques % de la TVA sur mes prix.
    Quand on fait de l’achat-revente en e-commerce, il faut le faire sur les marketplace. Qui dit marketplace, dit concurrence des particuliers. Oui, les markeplace sont ouvertes aux particuliers. Certaines comme Vinted, leur sont même dédiées et la plupart pratiquent des frais sur les professionnelles. Pour ma part je paye déjà 5 à 6 % de commissions. Pire encore, les marketplace proposent de plus en plus d’outils pour tirer les prix vers le bas afin d’attirer le plus de consommateurs possible sur leur plateforme. La marketplace, où je vends mes produits, propose un outils dit « achat automatique » qui va rechercher la combinaison de vendeurs la moins chers possible pour une liste d’articles établie. Combinaison de vendeurs qui peuvent être aussi bien professionnels que particuliers. Autrement dit, en tant que pro, je dois constamment faire une veille de mes prix en fonction de ceux des particuliers pour apparaitre dans les résultats de recherches. Cette marketplace propose même un autre outils, payant cette fois, qui permet de mettre à jour ses prix automatiquement et quotidiennement en fonction des autres vendeurs, en mettant par exemple une règle : je veux être 0.01 € moins cher que tel, tel ou tel autre vendeur…
    Comment voulez vous augmenter les pris dans ce contexte ? C’est déjà très difficile de survivre !

    Donc pour être tout à fait clair, faire facturer la TVA au auto entrepreneur comme moi (mais il n’y a pas qu’eux, la franchise de TVA concerne toute forme d’entreprise, EURL, SARL, SASU, EI et même associations et collectivités) revient à augmenter leur charge de 20% !
    Insurmontable.

    Mes charges sont déjà de :
    – 13 % pour l’URSSAF
    – 5 à 6 % pour la marketplace (commissions sur ventes)
    – 3 à 5 % de petites fournitures, déplacements, fdp sur les achats,
    – 50 % sur le rachat de marchandises. Oui, personne nous donne ce que l’on revend. Quand on négocie à la moitié du prix de revente, on est content.
    – Mise à jour des prix pour rester compétitif, et invendus qu’on garde longtemps en stock
    – Mutuelle, prévoyance pro, frais bancaires.

    A tout cela il faudra ajouter 20 % pour la TVA qu’on ne peut pas répercuter sur les prix ?

    Mon entreprise ne sera plus viable !
    Je vais devoir arrêter, retourner au RSA après 11 ans d’auto entreprise. Ce même RSA que j’avais avant de vouloir m’en sortir par moi même. Je n’ai même pas le droit au chômage.
    Et tout ça, du jour au lendemain. Avec une famille, un crédit immobilier, un prévisionnel,…

    L’état compte-t-il vraiment récupérer de la TVA avec moi ? Mais je vais devoir m’arrêter ! Non seulement il n’y aura pas de TVA collectée, mais il n’y aura plus non plus de cotisations sociales et surtout je vais dépendre de prestations sociales le temps de me retourner car on ne m’en laisse même pas le temps…

    Belle stratégie !
    Et je suis loin, très loin, d’être un cas isolé.

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    • Entrepreneur inquiet

      Très bel article qui résume parfaitement bien la situation, pourvu que nos ministres à qui nous avons fait confiance ne nous déçoivent pas avec cet article de loi dévastatrice.

  • REMY Stéphane

    Bravo pour cet article, qui résume vraiment ce que la majorité des auto-entrepreneurs pensent et ce que nos dirigeants devraient penser. Il y a, comme vous dites en France une bureaucratie qui ne pense qu’à compliquer la simplification et ce depuis toujours et quelques lobbies qui pourtant sont des grandes entreprises ont peur petit artisan leur prenne un chantier, par contre embaucher et travailleur en situation irrégulière ça ne pose aucun problème pour eux. Ici le BTP ne fonctionne pas correctement ce n’est pas la faute aux petits artisans qui eux prennent bien souvent les chantiers délaissés par les grosses entreprises.

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