Depuis quelques années, l’Assemblée nationale se transforme en un véritable théâtre émotionnel. Alors que la colère domine, les codes des réseaux sociaux, notamment ceux de TikTok, s’immiscent dans la vie politique. Cette mutation soulève des questions essentielles sur l’avenir du débat démocratique.
Assemblée nationale : A cause de TikTok, l’émotionnel prend le dessus sur le rationnel
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Publié le 13 janvier 2025 à 16h51
75 %75% des interventions émotionnelles à l'Assemblée nationale sont constituées de colère.
Entre 2007 et 2024, l’Assemblée nationale française a connu une évolution radicale. Autrefois lieu de débats argumentés et de médiation politique, elle s’est métamorphosée en une "Assemblée spectacle". Cette transformation, soulignée par Yann Algan (HEC-Cepremap), Hugo Subtil (Université de Zurich) et Thomas Renault (Paris-I-Cepremap) co-fondateur d'Economie Matin, dans leur étude publiée par le Cepremap, met en évidence le rôle croissant des réseaux sociaux dans l’hémicycle.
"Colère, polarisation et politique TikTok" à l’Assemblée nationale : une mutation profonde
Les chercheurs ont analysé, à l'aide de l'intelligence artificielle, deux millions de discours prononcés à l'Assemblée nationale. Ils révèlent une montée fulgurante des interventions émotionnelles, en particulier de la part de La France Insoumise (LFI) et du Rassemblement National (RN). En 2024, 40 % des discours étaient dominés par des émotions, contre seulement 22 % en 2014. La colère, en tête, constitue 75 % des interventions émotionnelles de ces groupes.
Le rôle clé de l’intelligence artificielle dans l’analyse
Pour mesurer ces transformations, les auteurs de l'étude ont mobilisé des outils d'analyse textuelle et émotionnelle. Ces algorithmes sophistiqués permettent de détecter dans les discours : tonalité, longueur, fréquence des interruptions, ou encore choix lexical.
Grâce à ces outils, les chercheurs ont pu identifier des tendances émotionnelles spécifiques et suivre leur évolution dans le temps, offrant une vue d’ensemble inédite sur la manière dont les réseaux sociaux influencent aujourd’hui le débat parlementaire.
Les résultats montrent une nette diminution des débats rationnels au profit d’interventions formatées pour des plateformes comme TikTok. Les discours se raccourcissent, se concentrant sur des punchlines percutantes, alignées sur les attentes des réseaux sociaux.
Une rhétorique émotionnelle pour séduire les réseaux sociaux
L’étude montre également comment les groupes parlementaires adaptent leurs stratégies de communication aux codes des réseaux sociaux. À l’Assemblée, les députés ne s’adressent plus à leurs collègues ou aux journalistes, mais directement à leurs "followers". La France Insoumise et le Rassemblement National se distinguent particulièrement par leur rhétorique émotionnelle.
En 2024, 53 % des interventions de La France Insoumise (LFI) sont qualifiées d’"émotionnelles", suivies de près par le Rassemblement National (RN) avec 46 %. En comparaison, les députés du groupe Ensemble affichent un taux à 25 %. Parmi ces interventions émotionnelles, 75 % des discours de LFI et RN sont dominés par la colère.
On observe que le nombre moyen de mots par intervention est de 150 pour LFI, contre 180 pour Ensemble. Les courtes prises de parole reflètent l'influence des formats courts utilisés sur les réseaux sociaux comme TikTok.
Ces données chiffrées renforcent l’idée d’une Assemblée où l’émotion et la performance scénique prennent progressivement le pas sur la délibération rationnelle.
Les résultats : une polarisation exacerbée
L’impact de cette mutation sur la politique française est indéniable. La polarisation des discours atteint des sommets, renforcée par les dynamiques propres aux réseaux sociaux.
Ces codes, comme les punchlines, les formats courts et les musiques entraînantes, ne se limitent pas aux interventions dans l’hémicycle. Ils sont également omniprésents sur les comptes TikTok des députés eux-mêmes, où des vidéos dynamiques et percutantes visent à maximiser l’engagement de leur audience, souvent composée de jeunes. On y retrouve des extraits de discours montés avec soin, des séquences de proximité mises en scène, ou encore des publications conçues pour susciter des réactions virales.
Cette tendance soulève des inquiétudes quant à l’avenir du débat démocratique. Les jeunes, principal public cible de ces vidéos, sont exposés à des discours simplifiés voire manipulatoires, qui privilégient la forme au détriment du fond.
L'avenir du débat à l'Assemblée nationale
La transformation de l’Assemblée nationale en un espace de rhétorique émotionnelle et de spectacle soulève des questions importantes. Alors que les réseaux sociaux redéfinissent les codes de la communication politique, il est important de réfléchir à l’impact de cette évolution sur la qualité du débat démocratique.