Alors que nous célébrons les 30 ans du rapport Théry, retour sur comment la France a failli inventer l’iPhone avant l’heure avec le Minitel, tout en sous-estimant l’essor d’Internet. Une histoire de vision manquée qui aurait pu changer le monde numérique.
Insolite : l’iPhone est né en France il y a 40 ans !
Il y a 30 ans, le gouvernement ne croyait pas au potentiel d’Internet
Il y a quarante ans, la France lançait le Minitel, un petit terminal qui a connecté des millions de foyers bien avant l'arrivée d'Internet. À l'époque, c'était une révolution : annuaire électronique, messageries, achats en ligne, tout était possible depuis son salon. On pourrait dire que c'était l'ancêtre de l'iPhone, un appareil permettant d'accéder à une multitude de services numériques.
En 1994, alors que le Minitel était à son apogée avec 23.000 services et près de 90 millions d'heures de connexion, le gouvernement français commandait le rapport « Les autoroutes de l'information » à Gérard Théry, l'un des pères du Minitel et Directeur général des Télécommunications de l’époque. Ce rapport célébrait le Minitel comme l'avenir des communications numériques et minimisait l'importance naissante d'Internet.
Trop ouvert, pas assez sécurisé et inadapté aux services commerciaux : tel était l’avis du gouvernement français sur Internet en 1994
Le rapport Théry soutenait que le Minitel était supérieur à Internet, soulignant que ce dernier était trop ouvert, pas assez sécurisé et inadapté aux services commerciaux. Il affirmait que « les limites d'Internet démontrent ainsi qu'il ne saurait, dans le long terme, constituer à lui tout seul, le réseau d'autoroutes [de l’information] mondial ». Ironiquement, c'est précisément cette ouverture qui a permis à Internet de devenir le géant que nous connaissons aujourd'hui.
Les critiques du rapport Théry, tels Philippe Silberzahn, pointent du doigt trois erreurs majeures. Premièrement, l'extrapolation : en se basant sur le succès actuel du Minitel, le rapport prédisait que cette tendance se poursuivrait indéfiniment, sans considérer le potentiel d'évolution d'Internet. Deuxièmement, le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » : il ignorait que la technologie évolue et que les limitations d'Internet à l'époque pouvaient être surmontées. Troisièmement, le biais identitaire : en étant l'un des inventeurs du Minitel, Théry était naturellement porté à défendre sa création.
Pendant que le rapport Théry dénigrait Internet, des pionniers comme Marc Andreessen et Jim Clark lançaient Netscape, et Jeff Bezos fondait Amazon. Ces visionnaires voyaient le potentiel qu'Internet offrait pour les services commerciaux, contrairement à ce que le rapport suggérait. Malheureusement, cette vision manquée a retardé l'adoption d'Internet en France, qui a dû rattraper son retard par la suite.
Retrouvez ci-dessous l'interview de Gérard Théry par Jean-Baptiste Giraud, directeur de la rédaction d'EconomieMatin :
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