Mondialisation et arbitrages investisseurs/Etats : le rapport de l’ONU qui remet les pendules à l’heure.

Le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres, a récemment envoyé à l’Assemblée Générale de l’ONU, c’est à dire à tous les Etats du monde, un rapport sur les systèmes d’arbitrage investisseurs /Etats. Ce document démontre que ces systèmes d’arbitrage sont des « obstacles majeurs » à la liberté des élus de voter les Lois nécessaires à leurs pays.

Par Bertrand de Kermel Publié le 19 février 2024 à 5h30
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arbitrages, justice, loi, réglementation, onu - © Economie Matin
11902 EUROSUn arbitrage pour un litige à 50.000 euros coûte 11.902 euros.

Ce rapport demande à tous les Chefs d’États du monde de sortir rapidement de ces systèmes d’arbitrages, pour retrouver leur souveraineté.

D’abord comprendre le phénomène et les raisons de la création de ces systèmes d’arbitrage

Ces systèmes d’arbitrage dénommés RDIE (règlement des différends entre investisseurs et États) sont des tribunaux privés et opaques. Ils ont la capacité de condamner un Etat (donc ses contribuables) à des amendes pharaoniques au bénéfice d’investisseurs étrangers s’estimant lésés par une mesure d'intérêt général prise par cet Etat. (Loi de transition énergétique par exemple). Les arbitres n’ont aucune obligation de respecter le droit et la jurisprudence des Etats, de l’Union Européenne ou encore le droit international. Cet aspect est souligné dans le rapport au point 33 page 14.

En signant les accords d’investissements au bénéfice des multinationales étrangères, les Etats s’engagent à comparaître sans discussion devant ces systèmes d’arbitrage. Ils acceptent la limitation de leurs marges de manœuvre : ils ne peuvent que se défendre. Ils ne peuvent pas engager de demande reconventionnelle, aussi justifiée soit-elle. Enfin, ils acceptent que les arbitres ne soient liés par aucune loi ou aucune jurisprudence. Le déséquilibre au détriment des Etats est saisissant. Aucun garde fou n’est prévu dans les accords.

Le phénomène est apparu dans les années 1950. Il s’est généralisé vingt ans plus tard.

En quittant les pays qu’ils avaient colonisés (années 1950 – 60) les pays occidentaux leur ont imposé la mise en place de systèmes d’arbitrages permettant aux investisseurs de faire condamner les nouveaux pays libres, en cas d’abus de leur part. L’idée était d’empêcher des vengeances contre les entreprises de l’ancien pays colonisateur, dans des pays où les systèmes judiciaires étaient naissants. Il n’en reste pas moins que c’était une très forte atteinte à la souveraineté de ces pays nouvellement indépendants. En pratique, il y a eu très peu de litiges à cette époque.

À partir des années 80 – 90 les lobbies ont eu l’idée de développer ces systèmes à l’encontre de tous les pays du monde. Aujourd’hui il existe environ 3000 accords d’investissements sur la planète. Ils contiennent tous une clause d’arbitrage. Étant donné le flou de ces accords, et les multiples abus qu’ils ont engendrés, la Cour de justice de l’Union Européenne, saisie par les ONG, a jugé en 2018 que ces systèmes étaient incompatibles avec l’esprit et la lettre des traités ayant créé l’Union européenne. Elle a exigé leur suppression immédiate.

Rappelons que, selon le rapport, « les demandes de RDIE avec des réclamations se chiffrant en milliards de dollars deviennent monnaie courante dans les affaires liées au climat et à l’environnement ».

La Commission européenne n’a jamais voulu céder. Elle a trouvé un biais.

Face à la décision de la Cour de Justice, la Commission Européenne a eu l’idée de transformer ces systèmes d’arbitrage en un pseudo tribunal international, qui aura les mêmes défauts mais dont l’existence ne pourra plus être contestée lorsqu’il sera créé. Pour cela, elle a saisi l’ONU.

Les travaux avancent au sein d’un organisme de l’ONU dénommée CNUCDI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international) Voir ici.

Quand on compare les travaux de la CNUCDI, et le contenu du rapport envoyé par Monsieur Guterres à tous les chefs d’Etats du monde, on reste sans voix. La contradiction est intenable.

Le message du rapport de l’ONU de juillet 2023 est le suivant : « Les Etats doivent éliminer leur exposition à de futures demandes de RDIE. »

Pour permettre aux Etats de sortir rapidement de ces accords, le rapport propose plusieurs mesures (page 28). Il propose enfin de désigner «les tribunaux nationaux comme l'instance appropriée pour régler les différends entre investisseurs et États et, le cas échéant, en renforçant l'indépendance , le mandat et les compétences des juges."

Voici pourquoi : prenons l’exemple d’un pays en litige avec un investisseur étranger. Celui-ci saisira le fameux tribunal international. Que se passera t-il ?

Soit ce tribunal voulu par l’Union Européenne sera lié par le droit et la jurisprudence de cet Etat, et alors son existence apparaîtra inutile, puisque chaque pays possède sa réglementation, sa jurisprudence et ses tribunaux, comme le souligne le rapport de l’ONU.

Soit ce tribunal ne sera pas lié par la réglementation de l’Etat. Alors, comme dans les RDIE, quelques juges pourront remettre en cause des lois votées par des peuples souverains, donnant aux grandes entreprises mondiales le pouvoir de contrôler les législations de tous les pays du monde.

En outre, cela conduira à deux jurisprudences différentes dans un même Etat, selon que l’investisseur est national ou étranger. Cette disparité est inacceptable.

Tout cela est-il bien démocratique ?

En conclusion, la sagesse est d’appliquer la proposition du rapport de l’ONU, celle-ci ne faisant que remettre les « pendules à l’heure ». La souveraineté et la démocratie sont nos biens les plus précieux. Ils ne sont pas négociables.

Il est essentiel qu’un débat sur ce sujet ait lieu pendant la campagne des européennes, faute de quoi l’Union Européenne entraînerait les 500 millions d’européens dans ce système toxique.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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