Approvisionner en terres rares les secteurs européens des hautes technologies

Un groupe de matières premières indispensables pourrait aider l’Europe à réduire les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement.

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Par Horizon Publié le 10 février 2024 à 8h00
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Le docteur Arne Petter Ratvik soutient la production de produits haute technologie en Europe à partir d’une source à basse technologie: les engrais.

Expert en métaux chez SINTEF, un organisme de recherche norvégien indépendant, M. Ratvik soutient que certaines matières premières dont ont besoin les secteurs européens de l’automobile, de l’informatique, de l’électronique, de l’énergie, etc. peuvent être extraites des engrais ordinaires.

Attraction magnétique

Prenons l’exemple des aimants industriels. Ils sont fabriqués à partir de matières premières appelées «terres rares» et qui constituent la croûte terrestre. Ils sont essentiels à la fabrication d’une multitude d’équipements, des smartphones et tablettes jusqu’aux réfrigérateurs et micro-ondes. 

«Les terres rares issues des engrais pourraient produire de très bons aimants», a déclaré M. Ratvik, chercheur principal au SINTEF.

Il a dirigé un projet de recherche financé par l’UE qui avait pour but de fournir une plus grande quantité de terres rares à l’Europe en les extrayant pendant la fabrication des engrais. Intitulé SecREEts, le projet a duré quatre ans et demi et s’est achevé en novembre 2022.

Garantir l’accès de l’Europe aux matières premières est devenu une priorité politique de l’UE alors que les difficultés géostratégiques mettent en évidence des vulnérabilités au niveau des chaînes d’approvisionnement européennes. 

Certains pays situés hors UE, comme la Chine, la République démocratique du Congo et l’Afrique du Sud, contrôlent certaines matières premières stratégiques. 

Par exemple, d’après la Commission européenne, la Chine raffine toutes les terres rares utilisées dans les aimants permanents du monde entier. 

En mars 2023, la Commission a proposé de fixer des objectifs européens d’au moins 10 % pour l’extraction, 40 % pour la transformation et 15 % pour le recyclage en Europe des matières premières stratégiques, parmi lesquelles figurent les terres rares.

Fabriquer des terres rares

Les terres rares sont constituées de 17 éléments métalliques dont les propriétés particulières sont à l’origine de progrès technologiques dans différents secteurs. 

SecREEts s’est concentré sur trois terres rares essentielles à la transition énergétique verte de l’UE: le dysprosium, le néodyme et le praséodyme, entrant tous dans la fabrication des aimants permanents qui équipent les véhicules électriques et les éoliennes.

Selon la production européenne d’engrais, la technique d’extraction mise au point par l’équipe du projet pourrait couvrir entre 5 et 10 % de la demande européenne en dysprosium, en néodyme et en praséodyme, selon M. Ratvik.

«Nous avons mis au point un procédé d’extraction au sein-même du procédé de production d’engrais afin d’isoler les terres rares», a-t-il déclaré. 

M. Ratvik a déclaré que, par exemple, les roches phosphatées utilisées pour fabriquer les engrais contiennent entre 0,3 % et 1 % de terres rares. Actuellement, ces éléments restent simplement présents dans le produit final sans présenter aucune utilité.

L’engrais phosphaté est produit en dissolvant des roches phosphatées dans de l’acide. Au cours des étapes suivantes, les éléments indésirables sont transformés en solides et filtrés, un processus chimique appelé «précipitation». 

Pour mettre au point sa technique, l’équipe SecREEts a inclus une étape de précipitation supplémentaire permettant d’éliminer les terres rares du flux de production d’engrais.

Dans le cadre du projet, les terres rares ont subi une transformation supplémentaire et été envoyées à des producteurs d’aimants d’Allemagne et du Royaume-Uni. 

D’après M. Ratvik, cette activité a conduit à la création d’aimants puissants et extrêmement performants.

Influences étrangères

Pendant qu’il réfléchit aux moyens de déployer la méthode d’extraction du projet SecREEts à l’échelle industrielle ainsi qu’aux obstacles induits par la guerre en Ukraine (la Russie et l’Ukraine étant tous deux d’importants fournisseurs de phosphate naturel, utilisé pour la production d’engrais), un autre chercheur européen étudie comment deux pays asiatiques partenaires de l’UE appréhendent les problèmes de chaîne d’approvisionnement. 

Le docteur Jewellord Nem Singh, expert en minéraux essentiels et en politique industrielle aux Pays-Bas, s’est rendu au Japon et en Corée du Sud pour aborder la question avec des représentants du gouvernement et de l’industrie. 

Basé à l’Institut international d’études sociales de La Haye, M. Nem Singh dirige un projet de recherche financé par l’UE sur les répercussions géopolitiques des terres rares. Intitulé GRIP-ARM, le projet s’étend sur cinq ans et prendra fin en janvier 2026. 

L’initiative se concentre sur la Chine, le Brésil et le Kazakhstan en tant que pays producteurs de minéraux, ainsi que sur l’UE, le Japon et la Corée en tant que consommateurs de terres rares. 

Les chercheurs du projet GRIP-ARM étudient comment l’UE pourrait pérenniser son approvisionnement en terres rares tout en réduisant les coûts socio-environnementaux associés à leur extraction.

«Nous essayons notamment de comprendre les conditions qui ont conduit les gouvernements et les entreprises à prendre des décisions spécifiques concernant la façon de s’approvisionner en minéraux stratégiques», a déclaré M. Nem Singh.

Puissance de transformation

Il a déclaré que l’avantage économique de la Chine dans le domaine des terres rares ne vient pas seulement du fait qu’elle contrôle environ 60 % des réserves mondiales connues, mais aussi de l’extraction et de la transformation.

«Depuis les années 70, la Chine investit beaucoup d’argent dans les technologies de raffinage, de séparation et de transformation», a déclaré M. Nem Singh. 

Les terres rares du monde entier doivent être envoyées en Chine car c’est elle qui possède les usines de transformation et l’expertise nécessaires.

Elle a, par ailleurs, mis en place de longues chaînes d’approvisionnement allant de l’exploitation minière jusqu’à la transformation et la fabrication de produits finaux tels que véhicules électriques, dispositifs médicaux et panneaux solaires. Ceci ne fait qu’améliorer le levier économique du pays, y compris sur les prix des terres rares. 

Toutefois, d’après M. Nem Singh, la Chine dépend toujours d’autres pays pour produire les versions les plus technologiquement avancées de certains produits. Par exemple, selon lui, les entreprises japonaises continuent de fabriquer des aimants permanents plus performants.

«La Chine essaie de mettre en place une boucle complète, depuis l’extraction minière jusqu’aux produits finaux manufacturés haute technologie et avancés», a-t-il déclaré.

Juste équilibre

Cela signifie que les autres pays ont la possibilité de rééquilibrer leurs relations avec la Chine tout en acceptant son rôle d’acteur majeur du secteur industriel.

«L’UE voit déjà un partenaire stratégique en la Chine», a déclaré M. Nem Singh. «Mais c’est aussi un concurrent de l’UE. Nous devons donc déterminer comment bâtir une relation avec elle dans ces conditions.»

Et de citer l’exemple des efforts actuels déployés par l’Allemagne, avec le soutien de l’UE, pour développer la fabrication de semi-conducteurs après trois décennies de déclin de sa part de marché face à une concurrence mondiale accrue. 

Même si ces efforts pourraient déboucher sur la création en Europe d’un secteur des hautes technologies dissocié de la Chine, l’Allemagne n’en devrait pas moins conserver l’accès aux minéraux chinois essentiels utilisés par ses constructeurs automobiles. 

La question fondamentale à laquelle l’UE est confrontée (et à laquelle M. Nem Singh espère contribuer à répondre par le biais du projet GRIP-ARM) est la possibilité pour l’Europe de se passer de la Chine à des étapes clés de la chaîne d’approvisionnement liée aux technologies fondamentales.

«Il convient de déterminer s’il est possible de produire ces segments de la chaîne d’approvisionnement en Europe», a-t-il déclaré.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE, notamment par le biais du Conseil européen de la recherche (CER) dans le cas du projet GRIP-ARM. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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