Analyse ADN : récupérez vite vos données après la faillite de 23andME

L’entreprise américaine 23andMe, pionnière de l’analyse génétique grand public, a officiellement déposé le bilan le 23 mars dernier. Quelque 15 millions de profils ADN, collectés depuis 2006, se retrouvent désormais dans une zone grise, sans avenir clairement défini. L’entreprise a entamé une procédure de cession de ses actifs, y compris sa monumentale base de données généalogiques. De quoi nourrir toutes les craintes : piratage, revente, exploitation opaque.

Stephanie Haerts
Par Stéphanie Haerts Publié le 2 avril 2025 à 15h00
Analyse ADN : récupérez vite vos données après la faillite de 23andME
Analyse ADN : récupérez vite vos données après la faillite de 23andME - © Economie Matin

23andMe, la chute vertigineuse d’un colosse de l’ADN

Le mot-clé principal 23andMe revient comme un boomerang dans tous les cercles de la tech et de la bioéthique. Créée en 2006 à San Francisco, l’entreprise avait séduit grâce à une promesse simple, celle de retracer ses origines, explorer son héritage biologique, déceler des prédispositions génétiques. Moyennant l’envoi d’un échantillon de salive et quelques centaines de dollars, l’utilisateur recevait une analyse complète de son génome. Portée par Anne Wojcicki, ex-épouse du cofondateur de Google, et dopée par des investissements massifs comme celui de GSK (300 millions de dollars), 23andMe a connu une valorisation fulgurante, atteignant jusqu’à 6 milliards de dollars à son apogée.

Mais cette ascension masquait une faille structurelle, l’absence de modèle récurrent. Les clients payaient une fois, sans retour. Résultat, un effondrement de la rentabilité, aggravé par la perte de confiance après un piratage massif en 2023 qui avait déjà exposé les données de 6,9 millions de profils. En mars 2025, le couperet tombe : dépôt de bilan sous le régime du Chapter 11, avec une valorisation réduite à 20 millions de dollars selon Franceinfo.

Données ADN à vendre : un scénario de science-fiction devenu réalité

Mais que deviendront les données ADN en cas de cessation d’activité ? La réponse glaçante ne s’est pas fait attendre. L’entreprise a annoncé la mise en vente de sa base de données généalogiques, soit 15 millions de profils. « Ce n’est pas comme un mot de passe qu’on peut changer. Une fois qu’on a confié son patrimoine génétique à un tiers, on ne peut plus neutraliser les effets », alerte Nicolas Arpagian dans Sciences et Avenir. Pire encore, « la firme n’a pas communiqué sur une possible ventilation des données », alors même que « les autorisations des clients stipulent que les bases peuvent être données par des tiers ».

Dans un contexte aussi flou, le procureur général de Californie, Rob Bonta, a appelé, dans un communiqué, tous les utilisateurs, y compris français, à télécharger puis supprimer leurs données sur le site de 23andMe. Un communiqué officiel publié par l’État de Californie appuie cette démarche. Même message à New York où Letitia James, procureure générale, exhorte également à la suppression des comptes. CNN rapporte que 850 000 connexions ont été enregistrées en 48 heures sur les pages d’aide à la suppression des données de la firme.

L’inquiétude croissante autour des données génétiques

Les spécialistes du droit numérique et de la génomique sont unanimes, la faillite de 23andMe crée un précédent inquiétant. Les données ADN ne peuvent être modifiées. Elles sont immatérielles, persistantes et transmissibles. Si elles tombent entre de mauvaises mains, les conséquences peuvent être irréversibles. D’autant que la commercialisation a déjà commencé. Des accords de partage ont été signés avec GSK, Pfizer, Genentech, et d'autres laboratoires.

Des millions de profils ont servi à alimenter des projets pharmaceutiques, notamment en oncologie ou dans le traitement de Parkinson. La CNIL, en France, a publié un guide incitant à demander non seulement la suppression du compte mais aussi la destruction physique de l’échantillon. Cependant, comme le rappelle Sciences et Avenir, 23andMe précise dans sa politique de confidentialité que certaines « informations génétiques » pourraient être conservées malgré la fermeture du compte. On peut donc détruire un compte, mais pas ce qui a été dérivé de son ADN.

Une menace invisible, même pour ceux qui n’ont rien demandé

La dimension familiale de l’ADN complexifie encore les enjeux. « Ce risque est accru dans la mesure où les données génétiques peuvent concerner des personnes qui n’ont pas réalisé de test mais partagent les gènes de la personne qui en est à l’origine », alerte la CNIL. Un cousin curieux ou un parent soucieux de son passé peut, à son insu, exposer l’ADN de toute une lignée.

La législation française interdit depuis 2011 les tests ADN à visée récréative. Pourtant, des centaines de milliers de Français y ont eu recours en contournant la loi, simplement en commandant un kit sur Internet. Résultat, une vulnérabilité juridique et biologique inédite.

Le business du génome, une bombe à retardement

L’histoire de 23andMe révèle avec éclat la monétisation industrielle de l’intimité biologique. En silence, des bases de données ADN se sont constituées à l’échelle planétaire. Le cas de Golem, un hacker ayant ciblé des profils juifs ashkénazes et chinois en 2023, témoigne du risque de dérives ethniques.

Le dark web regorge déjà d’arbres généalogiques volés, de jeux de données mis en vente, parfois ciblés sur des populations précises. Nicolas Arpagian rappelle que « ces données ont une valeur sur la durée et ne périmeront pas avec le temps, même au-delà de la mort des utilisateurs ».

Stephanie Haerts

Rédactrice dans la finance et l'économie depuis 2010. Après un Master en Journalisme, Stéphanie a travaillé pour un courtier en ligne à Londres où elle présentait un point bourse journalier sur LCI. Elle rejoint l'équipe d'Économie Matin en 2019, où elle écrit sur des sujets liés à l'économie, la finance, les technologies, l'environnement, l'énergie et l'éducation.

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