Le 5 mars 2025, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français lors d’une allocution télévisée empreinte de gravité. D’une voix posée mais déterminée, il a voulu frapper les esprits en affirmant que l’Europe est entrée dans une nouvelle ère de menaces, où la Russie ne se contente plus de combattre l’Ukraine, mais s’attaque directement aux démocraties européennes.
L’allocution de Macron : discours de guerre ?
Avec une rhétorique martiale, Emmanuel Macron a averti que "face à ce monde de dangers, rester spectateur serait une folie" (20 Minutes), une déclaration qui donne le ton d’un discours où la France se positionne comme l’un des derniers remparts de l’Europe face aux ambitions russes. Mais derrière ces mots durs, quelle est la portée réelle du message présidentiel ? Le président engage-t-il véritablement la France et l’Europe dans une refonte stratégique, ou s’agit-il avant tout d’un discours destiné à occuper le terrain politique à un moment critique ?
Un diagnostic : la Russie, un ennemi déclaré ?
Si la menace russe est une constante dans la rhétorique occidentale depuis 2022, Macron a franchi un cap. Il ne parle plus seulement d’un affrontement militaire en Ukraine, mais d’un véritable choc frontal entre Moscou et l’ensemble des démocraties européennes.
Il a insisté sur la multiplication des agressions russes contre des pays européens, affirmant que la Russie "viole nos frontières pour assassiner des opposants, manipule les élections en Roumanie et en Moldavie, organise des attaques numériques contre nos hôpitaux et tente de manipuler nos opinions avec des mensonges diffusés sur les réseaux sociaux", relate Le Monde.
Le président place donc la France dans une posture de confrontation ouverte avec Moscou. Cette escalade verbale est inédite et ne laisse que peu de place à la négociation. Le Kremlin, pour sa part, a immédiatement dénoncé un discours belliqueux et "une tentative française d’attiser les tensions", selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères. La France et l’Europe ont-elles les moyens d’un affrontement direct, même hybride, avec la Russie ?
Washington et la fin des illusions : un divorce stratégique avec l’Amérique de Trump ?
Autre rupture marquante du discours : l’Europe ne peut plus compter sur les États-Unis comme protecteurs naturels. Si cette idée circulait déjà depuis plusieurs mois, elle prend une dimension concrète avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Macron l’a dit sans détour : "Je veux croire que les États-Unis resteront à nos côtés. Mais il nous faut être prêts si tel n’était pas le cas."
C’est une déclaration lourde de sens. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la sécurité du continent européen repose sur la puissance militaire américaine, via l’OTAN. Or, Trump remet en cause cet équilibre en conditionnant son soutien aux Européens à un effort budgétaire plus élevé de leur part. « Les Etats-Unis soutiennent moins l'Ukraine et laissent planer le doute sur la suite. (...) Le monde continue d'être sans cesse plus brutal. Nous rentrons dans une nouvelle ère. »
Mais l’Europe est-elle prête à assumer seule sa défense ? C’est le défi que Macron tente d’imposer à ses partenaires. Il a annoncé que l’Union européenne franchirait "des pas décisifs" pour investir "des centaines de milliards d’euros" dans sa défense.
Ce chiffre impressionne, mais pose question sur son financement. Comment l’Europe peut-elle injecter de telles sommes alors que ses finances publiques sont déjà fragilisées par les conséquences économiques de la guerre en Ukraine et les plans de relance post-Covid ? Macron se veut rassurant en affirmant que ces investissements seront réalisés "sans que les impôts ne soient augmentés". Ce qui signifie des coupures dans les services publics, alors qu’une taxation sur les fortunes des milliardaires pourrait largement permettre de financer l’effort de guerre demandé par le Président.
Dissuasion nucléaire : un changement d’ère stratégique ?
L’annonce la plus inattendue concerne la dissuasion nucléaire française. Depuis des décennies, la doctrine française repose sur une indépendance absolue : Paris n’a jamais partagé le contrôle de son arsenal avec aucun autre pays.
Mais Macron veut "ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen". Le chef de l’État ne va pas jusqu’à proposer une mutualisation complète, mais il envoie un signal aux partenaires européens qui s’inquiètent d’un désengagement américain.
La guerre économique avec Trump : un autre front à venir ?
Au-delà de la guerre militaire et stratégique, Macron a aussi abordé un nouveau bras de fer avec Washington sur le plan économique. Il a dénoncé les nouvelles taxes douanières américaines qui menacent les exportations européennes, les qualifiant de "décision incompréhensible tant pour l’économie américaine que pour la nôtre" rapporte Le Monde.
Cette déclaration marque une rupture. Paris semble prêt à répondre aux offensives commerciales de Trump, quitte à engager un conflit économique qui pourrait fragiliser l’industrie française et européenne.
Discours de guerre ou communication politique ?
À travers cette allocution, Macron a voulu incarner un leader européen fort, prêt à prendre des décisions historiques. Il se pose en rempart contre la menace russe, en défenseur de l’indépendance européenne face aux États-Unis et en garant d’une Europe stratégique et autonome.
Mais derrière ces ambitions affichées, les moyens restent flous.
Comment financer cette montée en puissance militaire sans peser sur l’économie ?
L’Europe a-t-elle réellement la capacité de prendre son indépendance stratégique ?
Le "parapluie nucléaire" français peut-il vraiment devenir européen ?