Le débat autour de la dénomination des produits végétaux s’est retrouvé une nouvelle fois au cœur de l’actualité en France, suite à une décision relativement inattendue du Conseil d’État. Alors qu’un décret prévoyait d’interdire certaines dénominations, et était présenté par le gouvernement comme une victoire, le Conseil d’État a émis de sérieux doutes quant à sa légalité…
Alimentation : les « steaks » végétaux de nouveau autorisés
L’interdiction des « steaks végétaux » et autres dénominations
Le gouvernement français, répondant à une requête de longue date des acteurs de la filière animale, avait publié un premier décret en juin 2022, visant à interdire l'usage de termes tels que « steak », « escalope », ou « bacon » pour désigner des produits végétaux. Les industriels de la viande estimaient qu’utiliser les mêmes dénominations pour des produits carnés et des produits végétaux, depuis la multiplication des divers steak, jambons et autres saucisses à base de végétaux, pouvait porter à confusion pour le consommateur.
Cette initiative avait pour but de limiter la confusion chez les consommateurs et de protéger les appellations traditionnellement associées à la viande. Toutefois, cette mesure a rapidement été contestée, menant à sa suspension en référé par le Conseil d'État, soulignant un « doute sérieux sur la légalité de cette interdiction ».
Dénomination des produits végétaux : le nouveau décret également suspendu
Face à cette première suspension, un second décret fut promulgué fin février 2024, dans le même esprit que le précédent. Ce nouvel essai du gouvernement a également été suspendu en urgence par le Conseil d'État le 10 avril 2024, sur les mêmes fondements juridiques que la première tentative. Les mêmes causes donnent les mêmes conséquences, dit l’adage… mais il semblerait que le gouvernement ne le sache pas.
La haute juridiction administrative a estimé que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) devait d'abord se prononcer sur la possibilité pour un État membre d'adopter des mesures réglementant ou interdisant ce type de dénominations. Selon le Conseil d’État, le nouveau décret, qui devait entrer en vigueur le 1er mai 2024, « porterait une atteinte grave et immédiate aux intérêts des industriels ». Et d’autres problèmes ont été soulevés : le décret ne s’applique qu’aux produits fabriqués en France (mais non dans l’UE et importés).
Le Conseil d'État souligne que le même doute subsiste quant à la légalité du décret
« Le juge des référés estime qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de cette interdiction. Ce doute avait déjà conduit le Conseil d’État, dans le cadre de l’examen d’un recours contre un premier décret ayant le même objet, à interroger, en juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la possibilité pour un État membre d’adopter des mesures nationales réglementant ou interdisant ce type de dénominations. Dans l’attente de la réponse de la CJUE, le juge des référés du Conseil d’État suspend le nouveau décret, car il porterait en outre une atteinte grave et immédiate aux intérêts des industriels vendant exclusivement ce type de produits », explique le Conseil d'Etat dans son communiqué publié le 10 avril 2024.
Mais que va décider la CJUE ?
La décision de suspendre le décret a été accueillie comme une victoire par les fabricants de produits végétaux, qui ont vu dans cette suspension une protection de leur liberté commerciale et une reconnaissance de l'importance de leur secteur. Désormais, il faudra répondre plus globalement à la question plus large de l'harmonisation des réglementations au sein de l'Union européenne et sur les défis de la communication autour des alternatives végétales à la viande.
Le point central de cette affaire réside désormais dans l'attente d'une réponse de la CJUE. Cette décision est cruciale, car elle déterminera non seulement l'issue du débat en France mais pourrait aussi influencer la régulation des dénominations des produits végétaux à l'échelle européenne. La CJUE a ainsi l'opportunité de clarifier les limites entre la protection des consommateurs et la liberté du marché intérieur.
Une promesse aux agriculteurs… toujours pas tenue
Pour le gouvernement, en tout cas, c’est un petit camouflet de plus à quelques semaines des élections européennes dans lesquels il est loin d’être donné vainqueur. Peut-être aurait-il fallu attendre la décision de la CJUE, saisie dès 2022 sur la question, avant de retenter d’interdire les dénominations ?
Surtout, il aurait été préférable de ne pas faire la promesse d’une telle interdiction aux agriculteurs après la vague de manifestations, parfois violentes et émaillées de dégradations, qui a eu lieu au début de l’année 2024.