Alerte rouge sur les fleuves : les microplastiques partout, tout le temps

Ils sont invisibles, insaisissables et pourtant omniprésents. Leur prolifération n’épargne aucun cours d’eau, aucune région, aucune espèce. Des scientifiques alertent aujourd’hui sur un phénomène longtemps ignoré mais désormais impossible à nier.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 7 avril 2025 à 7h00
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100%En 2024, une étude a détecté du plastique dans 100 % des placentas humains analysés

Le 6 avril 2025, une série de 14 études scientifiques a été publiée dans la revue Environmental Science and Pollution Research, révélant une pollution massive et homogène par les microplastiques dans les principaux fleuves d’Europe. Cette publication coordonnée marque une étape charnière dans la compréhension de l’ampleur du phénomène.

Tous les fleuves sont pollués par les microplastiques

Sous l’impulsion de la mission Tara Microplastiques, une expédition de grande envergure lancée dès 2019, les chercheurs ont sillonné l’Elbe, l’Ebre, la Garonne, la Loire, le Rhône, le Rhin, la Seine, la Tamise et le Tibre, en remontant chaque cours d’eau depuis son embouchure jusqu’à sa première grande agglomération. Jean-François Ghiglione, directeur de recherche au CNRS et coordinateur du projet, le résume sans détour sur BFMTV : « La pollution est dans tous les fleuves européens étudiés ».

En moyenne, trois microplastiques par mètre cube d’eau ont été recensés. Un chiffre apparemment modeste… jusqu’à ce que l’on calcule les débits : à Valence, le Rhône charrie ainsi près de 3 000 particules plastiques chaque seconde. La Seine ? 900 par seconde, selon les chercheurs.

Microplastique : une menace pour la santé et l’écosystème aquatique

Le terme « microplastique » désigne des particules inférieures à 5 millimètres, souvent invisibles à l’œil nu, mais dont les effets sont tout sauf anodins. Ces fragments proviennent de textiles synthétiques, de pneus, de bouteilles, de produits cosmétiques, ou encore des fameux granulés industriels vierges, surnommés « larmes de sirène ».

Alexandra Ter Halle, physico-chimiste du CNRS ayant dirigé les analyses, précise : « Les microplastiques sont plus petits qu’un grain de riz ». Et ce sont précisément les plus petits qui s’infiltrent le plus profondément : ils ne flottent pas en surface, mais traversent toute la colonne d’eau, rendant leur filtration pratiquement impossible.

Pire : certains transportent des agents pathogènes. Une étude a ainsi identifié dans la Loire une bactérie virulente capable de provoquer des infections humaines, rappelle Libération.

Pollution diffuse, sources multiples : la pollution de l’eau aux microplastiques un fléau structurel

L’un des constats les plus préoccupants de l’expédition Tara est l’absence de corrélation directe entre les villes et la concentration de microplastiques. En clair : la présence humaine, industrielle ou agricole n’explique pas à elle seule la diffusion de ces particules. Selon Jean-François Ghiglione, « les résultats en amont et en aval d’une ville ne sont pas très différents ». L’explication ? Une pollution diffuse, installée, omnidirectionnelle, où chaque ruissellement, chaque tempête, chaque lavage de vêtement synthétique contribue à l’accumulation plastique dans les fleuves.

Autre choc : 25 % des microplastiques détectés ne proviennent pas de déchets, mais de plastiques primaires issus de l’industrie. Ces granulés, acheminés en vrac et souvent perdus en route, se retrouvent dans l’environnement sans jamais avoir été utilisés.

La vaste opération participative “Plastique à la loupe”, menée dans 350 établissements scolaires en France, a permis de valider ces données sur le terrain. Près de 15 000 élèves ont collecté des échantillons sur les berges. Résultat : un maillage inédit de preuves incontestables.

Eau et microplastiques : Une crise mondiale documentée par les Nations unies

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) dresse un portrait encore plus inquiétant à l’échelle globale. Selon le rapport Microplastics: The Long Legacy Left Behind by Plastic Pollution, 430 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde, dont les deux tiers deviennent des déchets rapidement. Ces déchets se fragmentent, se dispersent et s’infiltrent dans les écosystèmes comme dans les organismes humains.

Les effets sur la santé ne sont plus hypothétiques : des microplastiques ont été retrouvés dans les poumons, le foie, le sang, voire dans le placenta de nourrissons. Les risques évoqués incluent des altérations génétiques, des perturbations neurologiques et des troubles respiratoires. Selon Leticia Carvalho, responsable du pôle marin et eau douce du PNUE : « Les impacts des microplastiques sur la physiologie humaine et marine doivent devenir une priorité scientifique de cette Décennie de la science océanique ».

Vers une réduction de la production plastique : une urgence planétaire

La solution ? Les scientifiques sont unanimes : réduire la production de plastique vierge. Selon la coalition scientifique internationale engagée dans les négociations onusiennes sur la pollution plastique, « la production de plastique est complètement reliée à la pollution ».

En parallèle, le PNUE appelle les gouvernements à légiférer sur les microplastiques ajoutés volontairement, à renforcer le traitement des eaux usées, et à encadrer l’usage industriel des granulés plastiques. Des initiatives comme Clean Seas Campaign (UNEP) cherchent à fédérer les citoyens et les industriels autour de pratiques plus durables.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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