Alcool : ce député RN veut détricoter la loi Evin

Alors que la loi Évin continue de polariser les débats en France, une proposition déposée à l’Assemblée nationale par le député Christophe Barthès (RN) soulève des interrogations. Est-il opportun de dissocier le vin des autres alcools pour en promouvoir une image distincte ?

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Modifié le 7 janvier 2025 à 7h36
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Alcool : ce député RN veut détricoter la loi Evin - © Economie Matin
50%L'alcool est impliqué dans 50% des féminicides.

Le 19 décembre 2024, Christophe Barthès, député Rassemblement National de l’Aude, a déposé une proposition de loi visant à assouplir les restrictions imposées par la loi Évin en matière de publicité pour le vin. Ce texte ambitionne de distinguer ce produit emblématique de la culture française des alcools forts, souvent perçus comme plus nocifs. Dans un contexte marqué par la campagne du "Dry January", cette initiative ravive les tensions entre préservation du patrimoine viticole et impératifs de santé publique.

Assouplir la loi Évin pour relancer la consommation d’alcool ?

Depuis son adoption en 1991, la loi Évin impose un cadre strict à la publicité des boissons alcoolisées. Le texte vise à réduire l’incitation à la consommation, notamment auprès des jeunes, en limitant les supports et les modalités de promotion. Toutefois, cette réglementation est régulièrement critiquée par les défenseurs du secteur viticole, qui dénoncent une approche uniformisante et punitive à l’égard du vin.

La proposition de loi de Christophe Barthès entend répondre à ces griefs en révisant plusieurs dispositions. Parmi elles, l’autorisation de la publicité pour le vin dans les stades et lors des événements sportifs, aujourd’hui interdite, fait figure de mesure phare. Le député argue que de telles restrictions freinent non seulement la viticulture, mais aussi le développement économique des clubs sportifs français. Il pointe également la perte d’opportunités lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, où le vin aurait pu jouer un rôle de vitrine internationale.

« Plus précisément, ma proposition tient en trois points. Le premier, faire retirer les campagnes publicitaires hostiles au vin. Autrement dit, tout ce qui fait croire que consommer raisonnablement du vin est mauvais pour la santé. Ensuite, qu’une enquête soit menée chaque année pour distinguer les décès liés aux alcools forts d’un côté et au vin de l’autre. Et enfin, permettre à nouveau la publicité sur le vin dans les enceintes sportives », détaille le député et viticulteur de formation auprès du Figaro.

À ces réformes s’ajoute la demande d’un rapport annuel au Parlement visant à différencier les impacts sur la santé du vin et des alcools forts. Christophe Barthès défend l’idée que ces deux catégories ne peuvent être traitées de manière équivalente, le vin étant, selon lui, un produit culturel ancré dans la tradition gastronomique française.

Une filière viticole fragilisée : l'urgence de réagir ?

Le contexte économique dans lequel évolue la viticulture française renforce l’écho de cette proposition. Depuis les années 1960, la consommation de vin a chuté de 70 %. À cela s’ajoutent les défis posés par le changement climatique, la concurrence internationale, et la hausse des coûts de production. Selon les chiffres du Comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine, ce secteur représente encore plus de 500 000 emplois directs et indirects, générant un chiffre d'affaires annuel de 20 milliards d'euros.

Pour les viticulteurs, la loi Évin constitue une barrière supplémentaire dans un paysage déjà contraint. L’argument central de leurs revendications repose sur la spécificité du vin, que le Code rural qualifie de patrimoine culturel. Ils dénoncent un amalgame systématique entre vin et alcoolisme, alimenté par des campagnes comme le "Dry January", accusées de stigmatiser exclusivement le vin dans leurs messages de prévention.

Christophe Barthès n’est pas le premier à plaider pour un assouplissement de la loi. En 2015, un amendement avait déjà permis de promouvoir l'œnotourisme, mais ses effets sont jugés insuffisants par les acteurs du secteur. Loin de relancer la consommation, les restrictions publicitaires auraient renforcé la marginalisation du vin, perçu à tort comme aussi dangereux que des alcools forts ou aromatisés destinés à un jeune public.

Santé publique, alcool et éthique : où tracer la ligne ?

Les défenseurs de la loi Évin rappellent que l’objectif premier reste la réduction des méfaits de l’alcool, responsable de 41 000 décès annuels en France selon Santé Publique France. Ils soulignent que le vin, malgré son aura culturelle, contient la même molécule psychoactive que les autres alcools : l’éthanol. À ce titre, son rôle dans les maladies chroniques, notamment les cancers et les affections cardiovasculaires, ne saurait être minimisé.

Le classement établi en 2010 par l’épidémiologiste britannique David Nutt place l’alcool parmi les drogues les plus dangereuses, à la fois pour l’individu et pour la société. Cette hiérarchisation, qui ne distingue pas les types de boissons alcoolisées, justifie selon les spécialistes une approche uniforme. Toute dissociation législative entre vin et alcools forts pourrait, selon eux, brouiller les messages de santé publique et réduire l’efficacité des campagnes de prévention.

Les critiques de la proposition de Christophe Barthès s’inquiètent également des potentielles dérives qu’elle pourrait engendrer. En autorisant la publicité dans les stades, ne risque-t-on pas d’exposer davantage les jeunes à des messages incitatifs ? Alors que les épisodes d’alcoolisation aiguë connaissent une recrudescence chez les adolescents, ces préoccupations ne sont pas à négliger.

L’alcool : la pire drogue qui soit selon les spécialistes

Le classement établi par David Nutt et son équipe, publié en 2010 dans The Lancet, évalue les substances psychoactives selon deux critères principaux : les dommages causés à l'individu (ex. : toxicité, dépendance) et les dommages causés à la société (ex. : criminalité, impact économique, atteintes à l'entourage). Les scores sont sur une échelle de 100 points, où un score élevé indique une substance particulièrement nocive.

Voici le tableau complet des substances classées :

Substance Score total Dommages à l'individu Dommages à la société
Alcool 72 26 46
Héroïne 55 34 21
Crack (cocaïne fumée) 54 37 17
Méthamphétamine 33 32 1
Cocaïne (poudre) 27 15 12
Tabac 26 11 15
Amphétamines 23 17 6
Cannabis 20 10 10
GHB 18 13 5
Benzodiazépines 15 9 6
Kétamine 15 12 3
Méthadone 14 13 1
Méphédrone 13 10 3
MDMA (ecstasy) 9 4 5
Anabolisants 9 3 6
Solvants 7 4 3
LSD 7 5 2
Champignons hallucinogènes 6 5 1

Ce tableau démontre que la question de l’alcool est largement sous-estimée dans les politiques publiques françaises. En termes de lutte contre les drogues, le gouvernement se concentre sur le cannabis et les drogues dures, oubliant voire en faisant en même temps la promotion de l’alcool.

  1. L'alcool est classé comme la substance la plus nocive globalement, dépassant des drogues illégales telles que l'héroïne et le crack, en raison de ses effets sociétaux très importants (accidents, violences, coût économique).
  2. L'héroïne et le crack sont les substances les plus dommageables pour les individus, causant une forte dépendance et des dommages physiques et mentaux graves.
  3. Le cannabis et l'ecstasy (MDMA) ont des scores relativement bas, reflétant des dommages individuels et sociétaux plus modérés.
  4. Les substances licites, comme le tabac et l'alcool, causent un impact sociétal disproportionné par rapport à certaines drogues illégales.

Ce classement est une référence pour illustrer les priorités en matière de santé publique et de régulation des substances psychoactives.

Alcool : faut-il préférer la culture française à la santé de la population ?

Cette proposition de loi reflète une tension profonde entre deux visions de la société. D’un côté, le vin est défendu comme un symbole de l’art de vivre à la française, un pilier économique et culturel qu’il convient de protéger. De l’autre, les impératifs de santé publique imposent une vigilance accrue face aux dangers de l’alcool, quels qu’en soient les supports.

Dans ce débat, la question dépasse le simple cadre législatif. Elle touche à des enjeux identitaires, économiques et sanitaires qui transcendent les clivages politiques traditionnels. Alors que la proposition de Christophe Barthès attend encore d’être discutée en commission, il est clair que les discussions autour de la loi Évin sont loin d’être terminées.

Faut-il protéger la viticulture en assouplissant les restrictions publicitaires ou maintenir une ligne stricte face aux dangers de l’alcool ? Le dilemme reste entier. Alors que la France entame son "Dry January", l’opportunité de repenser la place du vin dans la société semble plus que jamais d’actualité.

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Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint Après son Master de Philosophie, s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

1 commentaire on «Alcool : ce député RN veut détricoter la loi Evin»

  • eric6181310

    le tableau brut maque totalement de transparences
    valeur relatives ou absolues?
    si ce sonts des valeurs absolues ( ce que je pense) c est quasiment de la désinformation.
    exemple % de la population ayant consommé de l alcool / % de la population ayant utilisé du GHB
    ne pas donner ces info sur le tableau est de la malhonnêteté intellectuelle

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