Pour en finir avec 5 idées reçues autour des addictions

« Tu ne peux pas te passer de ton téléphone, tu es drogué ou quoi ? », « Allez, juste un verre … ». Qui n’a jamais entendu (ou prononcé) une de ces phrases ? À l’apparence anodines, elles sont pourtant caractéristiques du traitement accordé aux troubles addictifs en France, entre moralisation, banalisation et stigmatisation.

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Par David Labrosse Publié le 23 décembre 2023 à 9h00
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addictions, danger, alcool, drogue, santé - © Economie Matin
31%31% des Français ont une consommation d’alcool excessive.

La France compte d’ailleurs parmi les États les plus moralisateurs d’Europe dans le domaine1, alors même que plus de 120 000 décès sont imputables chaque année à l’alcool et au tabac, substances licites les plus consommées. Une situation tout à fait paradoxale qui couve plusieurs interrogations : où commence la conduite addictive ? Les addictions se résument-elles à la consommation de certaines substances dites illicites ? Les troubles addictifs sont-ils l’expression de troubles psychiques? L’interdiction serait-elle plus efficace que la prévention ? Brisons les idées reçues autour de l’addiction !

1 : Addiction à l’alcool : est-il suffisant de gérer les risques ?

Les chiffres sont implacables : 31% des Français ont une consommation d’alcool excessive. Pire encore, 45% des 18-24 ans2 ont admis boire au-delà des recommandations sanitaires. Officiellement, la faute est rejetée sur le mal-être psychique des Français ainsi que sur une méconnaissance de la toxicité de l’alcool. Sans pour autant faire fi de ces deux facteurs, nous arguons que le boom de la consommation d’alcool en France tient aussi à l’acceptation et la pression sociales à consommer, à la puissance des lobbies de l’alcool – qui a récemment conduit à l’annulation d’une campagne de santé publique de prévention – ainsi qu’à la négligence de l’État, qui préfère opter pour une approche de « gestion » plutôt que d’une véritable « prévention » des risques. Pourtant, l’alcool est le 2ème facteur de risque de cancers évitables et cause la mort de plus de 41 000 personnes par an. Il est grand temps d’arrêter de minimiser l’impact et de normaliser la consommation de certaines substances licites fortement addictives !

2 : Consommer avec modération : une fausse bonne idée ?

La doxa défend un comportement qui tend vers une consommation raisonnée et raisonnable. Or, la consommation de certaines substances (l’alcool et le tabac en première ligne) ou certains comportements (les paris sportifs, les jeux à gratter) ne sont pas sans conséquences. Sous couvert de formules telles que « à consommer avec modération » ou « jouer avec modération », c’est en réalité l’usage qui est banalisé voire encouragé. Qui saurait dire en effet où se situe précisément et universellement l’échelle de la modération ? De plus, la modération est loin d’être à la portée de tous. Elle est même plus difficile à maintenir que l’abstinence ! À titre d’exemple, la consommation modérée d’alcool réussit uniquement aux personnes qui n’ont pas d’ores et déjà développé de dépendance sérieuse ou n’ont pas de prédispositions à l’alcoolodépendance. Ainsi, pour lutter efficacement contre le développement de troubles addictifs, la répétition exclusive de la « modération » apparaît comme une fausse bonne idée.

3 : L’addiction, une responsabilité individuelle ?

La notion d’addiction pose indubitablement les questions de liberté et de responsabilité individuelle. Eu égard d’abord à une société qui tend à considérer que la personne dépendante est libre à tout moment de mettre fin à son addiction. Ce alors même que l’addiction tient précisément à la « perte de la liberté de s'abstenir”. Un argument somme toute simpliste, qui revient à omettre le caractère profondément addictogène de notre société ainsi que les déterminants sociaux, environnementaux et biologiques des troubles addictifs. La déstigmatisation et la prise en charge des addictions impose de se défaire de cette conception « individualiste » de l’addiction qui est, bien au contraire, multifactorielle, et relève d’une question sociétale.

4 : Les troubles addictifs, conséquence de troubles psychiques ?

Les troubles addictifs sont communément considérés comme la résultante de troubles psychiques. Dans les faits, les liens de causalité entre addiction et troubles psychiques sont plus ambivalents qu’il n’y paraît. En réalité, le développement de troubles addictifs est lié à plusieurs facteurs de risques : individuels (génétiques, neurobiologiques, etc.) ; environnementaux (familiaux, sociaux, etc.) ; et directement liés à l’objet de l’addiction lui-même (licite ou illicite, avec substance ou non, potentiel de dépendance, acceptation sociale des substances ou des comportements, etc.). In fine, si les troubles addictifs peuvent masquer un trouble psychique préexistant, ou à l’inverse favoriser le déclenchement de certains troubles, l’on ne peut affirmer de manière univoque que trouble de santé mentale et addiction sont systématiquement liés. Sous peine de passer à côté du diagnostic tant de l’addiction que du trouble psychique, et d’empêcher leur juste prise en charge.

5 : L’usage des écrans, addiction ou solution ?

Parmi les comportements addictifs figure parfois l’usage des outils numériques et des écrans, qui a augmenté pendant la crise du Covid-19 et s’est accentué avec la démocratisation du télétravail. Bien que son usage ne soit pas sans risque sur le bien-être et la santé mentale des utilisateurs, ce n’est pas tant l’écran lui-même qui suscite l’addiction mais bien son contenu et son immuable disponibilité. Jeux vidéo, sites pornographiques, applications de rencontre, réseaux sociaux … Leurs contenus, et plus encore les modalités de conception intentionnelle et les algorithmes de recommandation qu’ils utilisent sont à l’origine de troubles addictifs car ils encouragent une utilisation compulsive et stimulent le circuit de récompense – tout comme les drogues.. Paradoxalement, c’est en comprenant les pratiques abusives du numérique et les mécanismes sous-jacents que l’on peut les employer à des fins vertueuses. Par ailleurs, les outils numériques se montrent d’une grande utilité dans la lutte contre les troubles addictifs, à l’instar des thérapies digitales de sevrage et de la thérapie d’exposition par réalité virtuelle. Ainsi, nous gageons qu’il nous faut davantage prêter attention aux pratiques des éditeurs de contenus, plutôt que de condamner le numérique dans son ensemble.

Les addictions sont l’affaire de tous ! Que ce soit dans les champs du comportement ou de la consommation de substances, leurs conséquences sont avérées (perte de contrôle, isolement, dégâts physiques et psychiques, etc?), et dramatiques. C’est pourquoi les troubles addictifs sont un enjeu majeur de santé publique. Ils doivent faire l’objet de campagnes de prévention ambitieuses et efficaces, indispensables pour éviter l’apparition de troubles et faire progresser l’état de santé général de la population. D’autant plus que la prévention ne devrait pas se penser à l’échelle d’un État (surtout quand celui-ci dispose de nombreuses frontières), mais bien à l’échelle d’un continent.

Signataires :

- Membres fondateurs :

HypnoVR - Nicolas Schaettel

Kwit - Geoffrey Kretz

moka.Care - Guillaume d'Ayguesvives

Petit Bambou - Vincent Bouton

Qare - Joséphine Arrighi de Casanova

Tricky - David Labrosse

- Membres adhérents :

Aphysia Développement - Martine Garreau

C2Care - Pierre Gadéa

EANQA - Jérémy Muratet

Holivia - Jérôme Crest

Imaba (Pédopsynet) - Peretz Assuied

Klava Innovation - Alexia Adda

mindDay - Boris Pourreau

Psynergy - Delphine Py

Dygie - Augustin Bergerot

Lislup (Massa Trails) - Sabine Allouchery

- Membres partenaires

Stimulus Care services - Emmanuel Charlot

We Talk - David Duprez

- Membres professionnels de santé et assimilés :

Dr Fanny Jacq

Dr Geoffrey Post

Dr Alexis Bourla

Dr Benjamin Pitrat

Dr Thomas Cantaloup

Marie Lourenço

Aline Beaudonnat

Evan Adeny

Arnaud Bressot

Hannah Poignon

1 Institut Molinari, 2023

2 Ligue contre le Cancer, 2022.

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Dlabrosse

Président du Collectif MentalTech et CEO de Tricky

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