La Cour des comptes pointe les dérives financières des projets du nucléaire français, notamment le coût astronomique de l’EPR de Flamanville et l’incertitude entourant le programme des EPR2. Entre retards, rentabilité douteuse et risques pour l’État actionnaire, le rapport appelle à la prudence avant tout nouvel engagement.
23,7 milliards d’euros pour Flamanville : les dérives du nucléaire
Le rapport de la Cour des comptes dresse un constat sévère des dérives financières du nucléaire en France. L’exemple le plus frappant est l’EPR de Flamanville, dont le coût total est désormais estimé à 23,7 milliards d’euros (contre 3,3 milliards prévus en 2007).
Des coûts qui explosent, une rentabilité compromise
Ce surcoût colossal s’explique par des retards, des réévaluations et des contraintes techniques. Malgré son entrée en production fin 2023, douze ans après la date initialement prévue, la rentabilité du réacteur reste très incertaine : pour atteindre 4 %, le prix de vente de l’électricité devrait excéder 122 euros par mégawattheure, bien au-dessus de l’objectif fixé à 70 euros.
Le programme des EPR2, annoncé en 2022 par Emmanuel Macron, fait face à des défis similaires. Le coût de construction de six réacteurs, initialement chiffré à 51,7 milliards d’euros, a grimpé à 79,9 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 30 %. La Cour des comptes s’inquiète de l’absence de devis finalisé et des incertitudes sur le financement, qui retardent la prise de décision finale, attendue au plus tôt en 2026.
Au-delà des coûts, la Cour alerte sur les conséquences pour l’ensemble de la filière nucléaire française. Les retards et l'absence de visibilité freinent l’engagement des acteurs industriels et menacent la compétitivité à l’export. EDF mise sur la production en série des réacteurs pour réduire les coûts et accélérer les délais, mais cela nécessite des financements et des garanties de l'État, encore en discussion avec la Commission européenne.
La filière nucléaire en quête de stabilité
La Cour appelle à sécuriser le financement et à avancer dans les études de conception avant tout nouvel engagement. Luc Rémont, PDG d’EDF, partage cette prudence : « Nous devons éviter de répéter les erreurs du passé, comme celles de Flamanville. » Cependant, EDF défend également ses ambitions internationales, estimant que l’exportation est essentielle pour la compétitivité de la filière. Cette position est critiquée par la Cour, qui recommande de prioriser le programme EPR2 en France avant d’investir massivement à l’étranger.
Enfin, le rapport souligne l’enjeu crucial de former de nouveaux ingénieurs et techniciens, alors que le secteur devra créer près de 100.000 emplois d’ici 2033 pour répondre aux besoins de ce vaste chantier.
Le rapport de la Cour des comptes met en lumière les multiples défis d’une filière nucléaire en quête de réinvention. Entre les coûts exponentiels des projets, les incertitudes sur leur rentabilité et la dépendance à des décisions politiques et européennes, l’avenir des EPR2 reste suspendu à de nombreuses conditions. Une prudence impérative, selon les sages de la rue Cambon, pour garantir la viabilité d’une énergie nucléaire française compétitive et durable.