L’Allemagne a entrepris d’ériger la production d’électricité intermittente en modèle. Ce qui ne manque pas de poser des problèmes de coût et de sécurité. Alors que son kWh reste l’un des plus sales et des plus chers d’Europe, un regard détaillé sur son objectif à long terme permet d’en clarifier les enjeux.
Le ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, Peter Altmaïer, en avait chiffré le surcoût à 1000 milliards d’euros à horizon 2022.
Et c’est à une facture bien plus considérable qu’il faut désormais s’attendre, car l’Allemagne est encore loin du bout de ses peines.
Repoussant sa sortie du charbon au moins à 2038, sans être encore parvenue à fermer un parc nucléaire pourtant modeste (21 GW en 2003).
L’étude (2019n° 01)* de l’Institut d’économie d’énergie de l’Université de Cologne (EWI), pour le Ministère de l’économie et de l’énergie de Rhénanie du Nord-Westphalie, permet de détailler l’usine à gaz dont cherche à accoucher cette Montagne, à horizon 2050.
Avec :
- Un parc éolien/solaire 4 fois plus puissant que notre parc nucléaire actuel
- Un recours accru au gaz quel que soit le scénario
- Des moyens mobilisables à tout moment quasiment inchangés
- Des émissions de CO2 de plus de 100 millions de tonnes par an
D’autre part, l’éolien, qui en est le fondement, semble déjà traverser une crise historique, tandis que les réserves mondiales de gaz laissent augurer de sérieuses tensions pour son accès avant 2050.
Une augmentation de la consommation électrique européenne
En premier lieu, l’étude d’EWI retient une augmentation significative de la demande allemande d’électricité, supposée passer de 600 TWh en 2020 à 800 TWh en 2050. Les pics de consommation passeraient de 83 GW en 2017 à 103 GW en 2050.
L’étude retient l’hypothèse, basée sur le scénario de l’UE 2016, que cette augmentation de la demande sera comparable dans les autres pays européens.
Un parc éolien/solaire 4 fois plus puissant que notre parc nucléaire
Le développement des énergies renouvelables est supposé atteindre 264 GW en 2050, soit plus de 4 fois la puissance électronucléaire française (63,13 GW).
Cette augmentation provient exclusivement du photovoltaïque et de l’éolien, appelés à doubler leur puissance, tandis qu’hydraulique et biomasse stagnent respectivement à 12 GW et 7 GW.
Un recours accru au gaz quel que soit le scénario
La Commission Croissance, Changement structurel et Emploi (WSB), à l’origine du plan Climat allemand, préconise d’évaluer régulièrement l’efficacité des mesures mises en œuvre (2023, 2026, 2029) afin de garantir le niveau de sécurité sans recourir aux importations.
Le scénario de sortie du charbon en 2038 fait état de 5 GW gaz supplémentaires pour remplacer les 6 GW de charbon en 2050 du scénario de référence.
Soit 39 GW de gaz au lieu de 34 GW dans celui-ci, contre 24 GW aujourd’hui.
Notons que le Fraunhofer Institut indique 29,8 GW de gaz à l’heure actuelle, mais de nombreuses centrales ainsi comptabilisées sont en réalité retirées du marché et subventionnées pour rester en réserve du réseau. Elles fonctionnent avec des taux de charge annuels inférieurs à 1%.
Des moyens mobilisables à tout moment quasiment inchangés
Le stockage par batterie est envisagé pour les seuls pics de consommation à court terme et une puissance de production complémentaire de réserve est prévue dans ce « backup » pour faire face aux épisodes prolongés sans soleil et sans vent.
Car « Il est supposé que les éoliennes ne contribuent qu’avec une très faible proportion de leur puissance installée à la performance garantie, tandis que les systèmes PV n'apportent aucune contribution »
En effet, dans leur bilan prévisionnel offre demande du 23 janvier 2019, les 4 responsables de réseau allemands avaient considéré une garantie de disponibilité de 0% pour le solaire et inférieure à 1% pour l’éolien.
Et le stockage n’est pas envisageable dans la durée.
Le report de consommation est également inclus dans la rubrique backup, dans le cadre de la gestion de la demande « Demand Side Management (DSM) »
Il est évident que la possibilité d’effacer, en cas de besoin, une puissance donnée lors d’un pic de consommation occasionnel permet d’éviter l’entretien de cette même puissance pour en assurer la production. Quel que soit le système de production.
Il faut en assumer les coûts dans les 2 cas.
La question du financement de ce backup est posée, rappelant que ces « capacités de secours se caractérisent par le fait qu'elles ne sont utilisées que quelques heures par an. La condition préalable est qu'il existe des mécanismes d'incitation appropriés pour la configuration et l'exploitation des capacités de secours ».
La figure ci-dessous illustre l’évolution de l’ensemble de ces moyens dans le scénario de référence. Dans le scénario de sortie du charbon en 2038, acté dans le projet de loi de cet automne, le charbon est donc remplacé par 5 GW de gaz supplémentaires.
La totalité des 95 GW actuellement mobilisables à tout moment est donc conservée en 2050, parallèlement au formidable développement des sources intermittentes.
Plus de 100 millions de tonnes de CO2 en 2050
L’étude prévoit que « La hausse du prix du CO2 dans l'EU ETS [système d’échange de quotas NDLR]et l'augmentation présumée des prix du gaz entraînent une hausse significative du prix de gros de l'électricité. Au fil du temps, les prix de gros de l'électricité augmentent continuellement de 34 EUR / MWh en 2017 à 77 EUR / MWh en 2045 »
Dans le scénario de sortie du charbon en 2038, l’augmentation des prix serait supérieure, entre 2,4€ et 3,3€/MWh supplémentaires selon les années.
Mais ce remplacement par le gaz sera loin d’être exempt d’émissions, avec un objectif de 102 millions de tonnes de CO2 en 2050 au lieu de 302 millions en 2020, ainsi que le détaille le graphique ci-dessous, dont la partie droite précise les gains par rapport au scénario de référence, selon lequel les émissions seraient de 108 millions de tonnes en 2050.
Pour mémoire, le parc électrique français n’a émis que 20 millions de tonnes de CO2 en 2018, grâce notamment à son parc nucléaire/hydraulique qui permet une production décarbonée à plus de 90% depuis un quart de siècle.
Deux observations de mi-parcours
Le cavalier seul allemand
L’Energiewende repose sur une forte dépendance au gaz à horizon 2050.
Avec 5,3% d’augmentation en 2018, c’est le gaz qui a connu la plus forte hausse de la consommation énergétique mondiale. On sait que la satisfaction des besoins d’hydrocarbures dépendra de la découverte, ou non, de nouveaux gisements, et qu’une faillite de sa disponibilité est à craindre à moyen terme, après un pic envisagé autour de 2040.
On sait enfin que le gaz est au cœur d’enjeux géostratégiques de nature à compromettre la souveraineté des États qui en dépendent.
Et l’Allemagne a tiré la couverture à elle pour son approvisionnement en menant à terme, seule contre tous, son projet Nord Stream 2 qui en fait la plate forme européenne du gaz à horizon 2035, alimentant directement la filiale privilégiée de Gazprom, qui en contrôlera les vannes, sous le nom de Gazprom Germania GmbH, servant ses clients européens et asiatiques.
Elle fragilise également le système électrique européen sur lequel les effets de son parc éolien actuels ne peuvent plus être masqués.
Le graphique ci-dessous illustre sa production éolienne (vert) et solaire (jaune) de novembre 2019. Ses exportations, en gris, en miroir sous l’horizontale, indiquent la corrélation entre la production éolienne et la quantité refoulée sur le réseau européen.
Les importations (violet) correspondent aux périodes sans vent.
(Source Fraunhofer Institut)
On se doute qu’un tel modèle n’est pas généralisable à l’échelle de l’Europe, dont on sait que les régimes de vent sont globalement synchronisés.
Et on imagine déjà les effets d’un parc éolien allemand de 144 GW en 2050 au lieu de 60 GW aujourd’hui.
Quand l’Energiewende n’est plus dans le vent
Mais surtout, l’année 2019 aura été une année noire pour l’éolien allemand, avec une chute historique de 82 % des raccordements au premier semestre par rapport à l’année déjà morose de 2018.
Les emplois dans la filière sont en chute libre et l’opposition de la population a entrainé un éloignement des machines à 1000 mètres des habitations dans le nouveau projet de loi. Mesure considérée comme un coup d’arrêt fatal à l’éolien terrestre.
L’abandon d’une grande quantité de projets dès la fin de la période de subvention avait déjà mis en lumière le casse tête du démantèlement des machines et de leur recyclage.
L’accélération exponentielle des progrès technologiques laisse imaginer que des découvertes de rupture pourraient révolutionner la production de l’énergie avant 2050.
Soit bien avant les retours sur investissement de la gigantesque usine à gaz allemande, dont « Energiewende » est le nom.
* https://www.ewi.uni-koeln.de/de/research-scenarios/studien-projekte/#studie-gesellschaft-2019-1 Etude 2019 n°1 Auswirkungen einer Beendigung der Kohleverstromung bis 2038 auf den Strommarkt, CO2-Emissionen und ausgewählte Industrien