La réingénierie, que l’on pourrait tenter de traduire par « écrasement de la pyramide hiérarchique » ou encore « création d’organigrammes en râteau », nous a été présentée, vers le milieu des années quatre-vingt-dix sous des aspects particulièrement alléchants : repenser les processus de l'entreprise dans l’optique d’une efficacité optimale à coût réduit. Rien de plus !
Du coup les dirigeants des grandes entreprises ont vu dans cette promesse une recette magique apte à améliorer en un temps record la gestion des ressources humaines. Apte aussi, et surtout, à réduire les coûts du travail et accroître la productivité.
L’hypothèse posée par la réingénierie étant somme toute de supprimer la plupart des agents de maîtrise et des cadres moyens, ce qui donnerait aux cadres supérieurs l’occasion de plus et mieux déléguer, il fallait pour cela abandonner l'organisation verticale (pyramidale), en faveur d'une structure horizontale. Ce fut rapidement chose faite par la mise en place d’une nouvelle organisation, dite matricielle. C’est-à-dire, pour l’essentiel, par le raccourcissant significatif de la ligne hiérarchique censé déplacer de lui-même la décision vers les personnes qui côtoient le client. Et donc, un raccourcissement censé offrir aux opérationnels une plus large marge de manœuvre baptisée pour l’occasion empowerment, nous y reviendrons.
Comme il fallait s’y attendre, les problèmes typiques de l’organisation matricielle sont vite apparus :
- Tout d’abord la multiplication d’organigrammes dans lesquels un responsable encadre directement un nombre important de collaborateurs (jusqu’à trente, voire plus, d’où l’image du râteau). Ce qui a mécaniquement eu pour effet d’accentuer la distanciation entre encadrant et encadré, et donc de dégrader la communication ;
- Puis, deuxième difficulté, s'est vite posée la question jusque là escamotée de la véritable volonté de délégation, c’est-à-dire de confiance, des « nouveaux » responsables envers leurs « nouveaux » collaborateurs. Il faut en effet savoir que pour tout hiérarchique accepter de « prêter » une partie de ses prérogatives en délégant c’est s'en priver soi-même. Ce qui signifie que la délégation ne se décrète pas mais se choisit. En réalité la délégation est non seulement une technique qui se choisit, mais elle se prépare, s’explique, se négocie et se suit dans le temps.
- En troisième lieu est venue s’ajouter un autre inconvénient tenant à la création même d’une organisation de type matriciel : l’un des buts de la réingénierie étant de réduire significativement le nombre de cadres de proximité, ces disparitions ont rapidement laissé planer sur l'ensemble de la nouvelle organisation une inquiétude plus ou moins diffuse de type, à qui le tour ?
- De son coté l’information, pourtant très officiellement démultipliée par des outils électroniques (conférence téléphone, vsioconférence, plateformes de formation, systèmes d'information interne, terminaux de poche) prétendant se substituer à la relation humaine entre manager et managé, a rapidement commencé à manquer. On avait une fois de plus singulièrement oublié l’histoire en oubliant la différence entre quantité et qualité de l’information ;
- A l’inverse, l'informatique s’est rapidement imposée comme le moteur d’une organisation néotaylorienne truffée de reporting et autres outils de traçabilité qui ont vite frisé l’agression en accroissant considérablement la visibilité sur le travail de chacun, et donc le contrôle central.
Au début des années deux mille, alors que la réingénierie avait considérablement élargi son emprise, en réponse à ces graves inconvénients des études commencèrent à confirmer l'importance fondamentale de l'affectif dans les situations de changement ainsi qu’à mettre en garde contre l'inflation du discours managérial qui tourne à vide et cède aux pressions de l'idéologie ultralibérale.
Dans le même temps certains se mirent à pointer du doigt le vide préjudiciable laissé par la disparition progressive du management intermédiaire que l’empowerment, cette « nouvelle nouveauté » qui venait tout juste d’être mise à l’ordre du jour du cercle des décideurs, ne suffirait pas à combler.
Ceci est un extrait du livre « Encadrer une équipe » écrit par Alain Astouric paru aux Éditions Chronique Sociale. (ISBN-10 : 2850089540, ISBN-13 : 978-2850089541). Prix : 14,50 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Chronique Sociale.