L’empowerment, ce néologisme anglo-saxon tient son radical dans le mot power (pouvoir) auquel il adjoint implicitement les notions d’autorité et de puissance. Du coup, et même si les mots pouvoir, autorité et puissance sont voisins, l’empowerment est difficilement traduisible en français.
Certains proposent autonomisation, d’autres capacitation les troisièmes préfèrent garder l’anglicisme, dont on retiendra comme définition, au sens qui nous intéresse dans notre série d’articles sur la souffrance au travail : ensemble des actes managériaux consistant à faire monter en puissance les collaborateurs, de façon à ce qu’ils se sentent autorisés et aient tout pouvoir de répondre aux besoins et attentes des clients.
En d’autres termes, l’empowerment incite chaque salarié à s’approprier son travail, à agir et décider au niveau qui est le sien. Dès lors l’équivalent en français pourrait être subsidiarité.
Mais quelle que soit l’appellation choisie, on a là une idée qui consisterait à faire de chaque salarié un mini-entrepreneur. C’est-à-dire une idée qui oublie un peu vite de considérer que si salariat et entreprenariat recouvrent des concepts, des modalités, des intentions, des moyens par vocation complémentaires, ils n’en sont pas moins fondamentalement différents en termes de risques encourus, d’intérêts poursuivis et bien souvent aussi en termes de rémunération effective des uns et des autres.
Pourtant à en croire les chants de l’empowerment, tel qu’il s’est progressivement imposé dans nos entreprises à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, les choses se passeraient dorénavant en douceur et nous serions (enfin !) tous égaux et en réseau.
A ceci près que, non seulement la vie professionnelle n’a jamais été un long fleuve tranquille, pas même quand existait encore le soutien des collègues et que l’on ne souffrait pas seul, mais de plus , une fois encore, nous allions nous retrouver face à une contradiction, et pas des moindres. Ce qui n’a cependant pas ému grand monde. Quelques voix se sont bien élevées pour voir dans l’empowerment un retour insidieux au taylorisme à partir du moment où les organisations, grandes ou petites, publiques ou privées se sont mises à « Écrire ce qu’elles font et à faire ce qu’elles ont écrit », comme le disent (souvent avec un brin de fierté ?!) les qualiticiens eux-mêmes.
Pour autant la certification qualité n’en oublie pas moins de nous dire que cette norme ne représente jamais que le seuil minimum en deçà duquel le produit ou le service ne serait plus commercialisable parce que devenu dangereux, nocif ou périmé. En un mot, devenu non-conforme.
En vérité se faisaient jour des regrets d’autant plus forts que la combinaison réingénierie et empowerment laissait entrevoir l’apparition de salariés « jetables » n’ayant qu’à se conformer aux exigences du système qualité. Un système à propos duquel nous voyons maintenant les employés nous expliquer : On a perdu notre autonomie, on a des outils automatisés qui nous disent ce qu'il faut faire, et nous donnent l'impression d'être des pions.
En fait, s’il est vrai que le management est aujourd'hui apparemment moins directif, moins hiérarchisé, que l’on est plus « copains » et que l’on se tutoie plus facilement, souvent, sous des aspects complètement superficiels, la fausse bonne humeur et l'apparente liberté ne font que favoriser le stress et camoufler la souffrance.
Dans la réalité du quotidien les techniques managériales de mutation organisationnelle permanente et de travail en mode projet, conjuguées à celles de réingénierie et d’empowerment, ont conduit le salarié à se débrouiller seul pour gérer les contradictions, avec peu de moyens et de moins en moins d’effectifs. Les employés, passé une certaine euphorie consécutive à leur nouvelle liberté, ont alors découvert le véritable poids des responsabilités. Celui d’être plus visible et de s’exposer aux critiques, à l’envie et à la jalousie.
Et ce n’est pas la rémunération variable individuelle qui allait arranger les choses.
Ceci est un extrait du livre « Encadrer une équipe » écrit par Alain Astouric paru aux Éditions Chronique Sociale. (ISBN-10 : 2850089540, ISBN-13 : 978-2850089541). Prix : 14,50 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Chronique Sociale.