Pour construire le monde économique bienveillant post-Covid 19, nous avons besoin de nouvelles idées, de récits qui nous inspirent pour sortir des sentiers battus et qui dessinent le monde auquel on aspire, où il fait bon vivre. Et pour cela, comme l’évoquait récemment le président Macron, il faut se réinventer, se remettre en question. Pour ce faire, l’auteure propose de laisser derrière nous un mode de pensée économique qui date du 19ème siècle.
Nous sommes à un moment charnière entre une vieille et une nouvelle logique économique. L’ancienne logique c’était le néolibéralisme, une idéologie qui prône la croissance économique à tout va, la privatisation et la logique de commercialisation et de rentabilité. Ces croyances sur le fonctionnement du marché et de l’économie, sont le fait d’une poignée d’économistes dont le lobby impressionnant a permis d’installer ces idées dans la société via le réseau de think-tank « Atlas », comme l’indique entre autres Marie-Laure Salles-Djelic, directrice de l’école du management et de l’innovation de SciencesPo. Aujourd’hui cette logique du productivisme s’invite dans toute la société, et même à l’échelle individuelle ; nous sommes toujours à la course pour être plus productif, plus efficace, pour faire plus en moins de temps.
Cette logique s’est également invitée dans la gestion de nos hôpitaux et de nos domaines publics. Sous la devise du « New Public Management », l’Etat a délégué des activités d’intérêt général à la main invisible du marché en supposant que la compétitivité des entreprises et l’efficacité des marchés financiers aideraient à améliorer nos conditions de vie. Les médias, les décideurs économiques et politiques diffusent encore largement cette idée selon laquelle la croissance économique est impérative pour lutter contre le chômage, les entreprises doivent être compétitives, maximiser leurs profits pour créer des emplois et satisfaire les actionnaires pour attirer des investissements.
Or, tout ceci relève du monde des idées.
Il faut d’abord reconnaître que le Taylorisme et le management scientifique ont nettement augmenté la productivité de nos organisations au 20ième siècle : le progrès économique et social qu’a apporté ce système de production de masse est indéniable. C’est probablement la raison pour laquelle nous sommes toujours à la course à la croissance économique et à l’augmentation de notre productivité.
Mais aujourd’hui c’est une course contre la montre, et il faut reformer le capitalisme, si on veut le sauver, car notre logique économique actuelle révèle ses failles béantes, avec les inégalités sociales qu’elle creuse d’une part et avec le dépassement des capacités de notre planète d’autre part. Ainsi deux mouvements alternatifs se confrontent : le populisme qui trouve son terreau dans les inégalités sociales qui se voient aggravées par la crise du Covid-19, et l’environnementalisme qui devient de plus en plus visible pour nous faire comprendre la gravité de la crise climatique et de biodiversité que nous avons déclenchées.
Les scientifiques qui travaillent sur les idéologies et les nouveaux récits du 21ème siècle avancent que le néolibéralisme est voué à l’échec et certains affirment qu’il serait déjà mort. A la place, il y a de nouveaux récits qui émergent, portés par la crise actuelle, et qui valorisent le progrès social et le développement durable. Le panel international pour le progrès social nous a récemment invité à repenser la société pour le 21ème siècle et propose l’avènement de l’Etat émancipatoire. A ce stade nous ne savons pas encore quel nouveau modèle va émerger, mais on peut déjà déchiffrer quelques éléments :
Un élément important serait de remplacer le PIB.
La plupart des économistes reconnaissent que c’est un indicateur très réducteur basé sur une vision simpliste de croissance économique. L’inventeur même du PIB n’est pas favorable à son utilisation dominante d’aujourd’hui, comme l’explique Kate Raworth dans son livre bestseller « doughnut economics », ou « la théorie du donut ». Dans le monde actuel on valorise quand on produit un Nème modèle de sac à main, mais on ne compte pas les heures qu’on investit dans l’éducation de nos enfants. La crise du Covid-19 nous a démontré ce qui est essentiel : la santé, l’alimentation, le logement, l’éducation. Il y a des indicateurs alternatifs qui prennent en compte ces domaines, comme l’index du progrès social ou l’index du bonheur qui commencent à être appliqués par certains pays comme la Nouvelle Zélande. Les plans de relance économique devraient mettre l’économie du bien-être (p.ex. wellbeing economy) au cœur des objectifs. L’agenda 2030 qui traduit les objectifs du développement durable de l’ONU en France y prendrait tout son sens. Mais attention, même dans les ODD de l’ONU« pour sauver le monde » s’invite l’idéologie néoliberale avec l’objectif 8, « travail décent et croissance économique » qui retient l’idée que le travail décent serait intimement lié à la croissance économique. Et le ministère de la transition écologique et solidaire peine encore à pousser cet agenda en France, étant donné que nos élites économiques et politiques restent ancrées dans l’idéologie néolibérale.
Un 2ème élément c’est la démocratie participative.
Nous avons vu les revendications des gilets jaunes, pour davantage de participation et de justice sociale dans la transition écologique. Depuis 2019 la convention citoyenne du climat émet des propositions au gouvernement. Ce sont 150 citoyens tirés au sort qui participent donc directement à l’écriture d’une loi. L’implication des citoyens dans les décisions qui les concernent au premier plan était une demande forte qui est ressortie lors des municipales récentes. Cette logique de participation se développe aussi dans le monde économique avec des plateformes d’innovations ouvertes et des projets qui impliquent les salariés, les clients et autres parties prenantes de l’entreprise.
Le 3ème élément c’est la valorisation de l’économie locale, des circuits courts ou circulaires.
Les deux tendances du populisme et de l’environnementalisme qui sont si opposées ont pourtant une chose en commun ; c’est la valeur qu’ils donnent à l’économie locale. La revitalisation de l’économie locale, des circuits courts ou circulaires présente de nouvelles opportunités. Les TPE/PME représentent la moitié des emplois salariés en France, ils sont au contact local avec leur clients et connaissent le territoire pour innover et trouver les meilleurs solutions, adaptées à leur contexte. Ils ont un savoir-faire local et peuvent être gage de qualité, d’artisanat et renouer un lien social avec la communauté locale.
Et enfin un 4ème élément, c’est la neutralité carbone qui face à la crise climatique est un impératif, avec certainement un rôle plus intrusif de l’Etat pour transformer l’économie dans le futur.
La crise du Covid-19 nous a probablement fait atteindre le pic pétrolier ce qui devrait nous pousser davantage vers les énergies renouvelables. Même si l’accord de Paris n’est pas engageant et si certains pays sont plus en avance que d’autres, les lois contraignantes ne manqueront pas d’être votées. Mais ce qui serait vu comme une contrainte pour certains sera une opportunité pour ceux qui l’auront anticipé.
Pour résumer nous vivons un moment historique qui se présente comme une opportunité unique de remettre nos activités économiques au service de notre société. Prenons un tournant économique pour innover et inventer de nouveaux modèles bienveillants et plus résilients, afin de préparer au mieux les décennies à venir, incertaines sur le plan sociétal et pour un futur plus durable.