Coronavirus : du risque sanitaire aux risques psychosociaux – les travailleurs sacrifiés ?

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Par Nina Tarhouny Publié le 21 avril 2020 à 14h30
France Sante Innovation Telemedecine Economies
@shutter - © Economie Matin
6%Moins de 6% de la population a contracté le Covid-19.

Le coronavirus semble avoir des effets collatéraux (in)attendus : il frappe d’amnésie ! De certaines entreprises jusqu’au ministère du Travail, le droit du travail et de la santé au travail tombe lui aussi parmi les victimes de la guerre en cours.

L’état de guerre l’exigerait ! Cette sémantique choisie pour faire accepter des morts certaines est courante du langage politique.

Mais ne nous trompons pas d’ennemi. Le virus tue certes, et certains lui apportent des offrandes en sacrifiant les travailleurs, à commencer par les consignes officielles qui auront des conséquences juridiques graves pour les entreprises qui s’en contentent.

Les activités essentielles pour la nation ouvertes au public peuvent se poursuivre, mais également les activités non essentielles et non ouvertes au public, c’est-à-dire là où seuls les travailleurs – traités comme des citoyens de seconde zone – sont exposés pendant que le citoyen est protégé, confiné.

Mais que dit le droit ?

D’abord que l’employeur est responsable de la prévention des atteintes à la santé et à la sécurité des employés, ensuite qu’il encourt jusqu’à la faute inexcusable lorsque « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (C. Cass. 2002), et ce, peu importe que la faute commise soit déterminante ou non, il suffit qu’elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée. En d’autres termes, comment une entreprise dont les activités sont non essentielles – voire dont la poursuite indécente au regard du risque de mort encouru – va t’elle pouvoir justifier devant le juge la contamination, voire la mort, d’un employé ? Si de surcroît, l’employeur n’a pas mis en oeuvre les mesures de prévention essentielles, il peut également faire l’objet d’une condamnation pénale. Ce ne sont pas les « mensonges d’Etat » sur l’inutilité du masque ou la distanciation sociale de seulement un mètre (quand d’autres pays exigent a minima deux mètres !) qui serviront de justifications valables venant au secours de l’employeur devant le juge. Jouer à la naïveté ne berne que soi-même.

Les employeurs démunis ?

Certaines entreprises répondent à la nécessité de la prévention par le fait qu’elles seraient aujourd’hui encore démunies : pénurie de masques, de gel hydroalcoolique, configuration des lieux de travail ne permettant pas la distanciation requise, etc. Dans ces cas, que faire ? Il n’y pas d’autres réponses que l’arrêt total des activités.

La prévention, c’est d’abord du bon sens. Sans attendre de consignes, et ce, dès le début du confinement, certaines entreprises soucieuses de la santé de leurs employés ou de la continuité de leur business (peu importe) ont mis en place des mesures : marquages au sol, vitrines anti-postillons, prise de température des employés toutes les deux heures ou des clients avant d’entrer dans le magasin, mise à disposition de gel hydroalcoolique, etc. D’autres se sont orientées vers l’arrêt de leurs activités avant que le ministère du Travail ne les enjoigne de les poursuivre. Ainsi s’est joué un bras de fer entre le ministère du Travail et le secteur du BTP mais de nouvelles batailles sanitaires restent à venir avec l’annonce d’un déconfinement à partir du 11 mai prochain qui, s’il n’est pas réalisé dans les meilleures conditions organisationnelles, risque d’être catastrophique pour la santé des travailleurs.

Droit de retrait : arrêtez de tergiverser !

Le droit de retrait autorise les salariés à se retirer d’une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour leur vie. N’y est-on pas ? Les travailleurs seraient-ils immunisés par le profit économique ? L’entreprise peut-elle garantir qu’aucun salarié – y compris asymptomatique – présent dans son enceinte n’est porteur du coronavirus ? Peut-elle garantir que ses salariés ne croiseront aucune personne contaminée en se rendant au travail ?

En application du droit de la santé au travail et du code pénal, aucun travailleur n’est obligé de poursuivre le travail avec le risque manifeste d’atteinte à sa vie ou sa santé, y compris ceux qui ont une obligation de secours comme les soignants. Mais bien sûr, aucun soignant ne refusera jamais de travailler dans ces conditions – de sauver un être humain – même au péril de sa propre vie, voire celle de sa famille. L’engagement éthique des soignants est total, et c’est bien de cela que se jouent les cyniques depuis bien longtemps, ceux qui les ont regardés, comme des poissons rouges, faire grève depuis des mois, crier leur souffrance, se suicider, sans lever le petit doigt. Tout au plus ont-ils parlé pour ne rien dire, ne rien faire car, de toute façon, ils ne laisseront pas mourir les gens et si des patients meurent, c’est la vie, n’est-ce pas ?

Risques psychosociaux : l’hécatombe à craindre

Exposer au conflit éthique, à la qualité empêchée, à la peur, à des temps de travail inhumain, au sacrifice de leur vie privée, … tous ces travailleurs essentiels qui nous soignent, épuisés depuis déjà des années, mobilisent leurs dernières ressources parce que le corps humain est ainsi fait face à l’adversité, il se mobilise, oubliant ses besoins vitaux. S’ensuivront de graves décompensations, des épuisements professionnels, etc. Demain, qui soignera les soignants ?

Aujourd’hui, nous les applaudissons chaque soir à 20h, demain il sera de notre devoir moral de leur offrir la vraie reconnaissance qu’ils attendent désespérément depuis des années. Non pas des primes exceptionnelles qui ne sont que de la poudre aux yeux – il faudrait d’abord commencer par leur payer TOUTES leurs heures de travail au lieu de leur faire l’acte insultant de charité. Nous parlons de la reconnaissance qui les aidera à améliorer véritablement leurs conditions de travail (et à nous sauver quand notre santé aura besoin d’eux) : demain il faudra les soutenir, soutenir leurs revendications au droit à la santé au travail et exiger l’effectivité de ce droit. Serons-nous aussi nombreux que ceux qui applaudissent ?

N’oublions pas non plus ces « petites gens », ces invisibles, ceux qui exercent tous ces métiers qui nous nourrissent (agriculteurs, caissiers, métiers de la logistique, routiers, commerçants et tous les travailleurs de la chaîne alimentaire), ceux qui exercent les activités essentielles – hier gilets jaunes, Nuit Debout, grévistes de tout bord (la liste est longue) qui se battent pour défendre leurs droits fondamentaux au travail … tant décriés, et désignés par certains comme parias de l’économie – et qui aujourd’hui permettent à d’autres de continuer à vivre tranquillement confinés. Qui est aujourd’hui utile ? Mais surtout qui est aujourd’hui inutile ? Ne l’oublions pas demain.

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Docteure en droit, spécialiste de la prévention organisationnelle des risques psychosociaux et amélioration des conditions de travail, Nina Tarhouny – fondatrice du Cabinet Global Impact – exerce son activité en qualité d’experte indépendante auprès des entreprises et institutions en France et à l’international. Elle a récemment publié un ouvrage issu de ses travaux de recherche intitulé Les risques psychosociaux au travail : droit et prévention d’une problématique de santé publique (L’Harmattan, 2020).

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