Paris Photo, ou comment l’art contemporain cherche à phagocyter la photographie

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Par Philippe Herlin Publié le 10 novembre 2017 à 5h40
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cc/pixabay - © Economie Matin
6,5 MILLIONS $La photo la plus chère du monde a coûté 6,5 millions de dollars.

Paris Photo est incontestablement une belle édition, l’occasion de découvertes, cependant des questions se posent sur un plan plus "business"…

Nous avions été très inquiets à Paris Photo 2015 avec la nomination d’une nouvelle direction ne provenant pas du monde de la photographie : la nouvelle directrice générale (Florence Bourgeois) venait du design (le salon PAD) et le nouveau directeur artistique (Christoph Wiesner) de la galerie d’art contemporaine généraliste (Yvon Lambert). Ce choix était alors crânement assumé par Jean-Daniel Compain, directeur général du pôle culture de Reed, l’organisateur et le propriétaire du salon : "Justement, ce qui m’intéresse c’est qu’ils ne sont pas issus du monde de la photo". L’incompétence comme principe de gestion, voilà qui est original. Sur les 144 galeries retenues alors, seulement une minorité (40%) étaient des galeries de photographie stricto sensu.

Quel mépris pour la photographie ! Et aussi quel ennui, avions-nous noté tant l’édition 2015 s’avérait décevante, la photographie comme art en soi s’efface derrière la photo comme prétexte, signe, objet, "installation", autrement dit des choses souvent très ennuyeuses d’où l’originalité du regard a disparu. Si c’est pour retrouver à peu près les mêmes galeries qu’à la Fiac, qui a lieu un mois plus tôt, quel intérêt ? On a retrouvé le même ennui cet été aux Rencontres de la photographie d’Arles, dirigées depuis 2014 par Sam Stourdzé, qui semblent prendre une tendance identique.

Pour l’édition 2017, le contenu a été modifié, en bien : la volonté de mettre en avant deux siècles de photographie élargit le spectre, donne la place à de nombreux classiques, jusqu’à Gustave Le Gray (1820-1884) dont on peut voir plusieurs magnifiques œuvres. Cette rétrospective enrichit incontestablement la foire et fait de sa visite un vrai plaisir. Plusieurs artistes contemporains séduisent également (Thibault Brunet avec ses photographies au scanner, Stephen Wilkes où le jour et la nuit coexiste dans le même panorama, Yang Yongliang qui réinterprète la mégalopole au filtre de la peinture traditionnelle chinoise, Michael Wolf et ses architectures oppressantes, Valérie Belin et ses portraits troublants).

Cependant, pour cette édition 2017 la logique de base demeure identique, il y a toujours une minorité de galerie photo (40%) et une majorité de galeries généralistes. Une aberration. Mais cela n’exprime-t-il pas la volonté de l’Art contemporain (avec une majuscule, l’art officiel d’aujourd’hui) de mettre la main sur un secteur en forte croissance et dont les prix approchent celui des oeuvres d’art plastiques ? On peut d’ailleurs noter la même volonté d’accaparement envers le "street art", qui entre dans les galeries et dont la cote explose. Et l’objectif, en l’occurrence, consiste à écarter progressivement les galeries photo historiques, à récupérer leurs artistes les plus "bankables", et à juste leur laisser leur rôle de tête chercheuse.

Cette évolution s’avère très inquiétante pour la vitalité de la photographie comme art, où la France figure dans le peloton de tête international. Appelons les galeries photo à la révolte, ne vous laissez pas faire ! Et en attendant, on ne manquera pas de faire un tour à fotofever au Carrousel du Louvre, qui a gardé cette "culture photo" intacte.

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Philippe Herlin est économiste, Docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers, il a publié plusieurs ouvrages chez Eyrolles et rédige des chroniques hebdomadaires pour Goldbroker. Il écrit tous les vendredis un article sur l'art et la culture vus à travers l'économie, et intervient ponctuellement sur d'autres sujets. Son site : philippeherlin.com.

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