Lignes transfrontalières : le couple franco-allemand à l’épreuve du rail

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Par Michel Delapierre Modifié le 3 août 2021 à 11h33
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@pixabay - © Economie Matin

L’Europe, et à son cœur le couple franco-allemand, n’a de cesse de chercher à prouver son efficacité et sa pertinence, en particulier pendant cette crise sanitaire et économique. Les bons exemples existent, certes, mais le doute demeure : est-il possible, dans des projets concrets, de faire fonctionner des pays différents, des cultures différentes et surtout des systèmes économiques, fiscaux et juridiques différents ? Le projet commun de lignes ferroviaires transfrontalières entre la Région Grand Est et trois Länders allemands est, de ce point de vue, un cas d’école.

Un projet historique

Ce projet de nouvelles lignes ferroviaires transfrontalières concerne la Région Grand Est et les trois Länders allemands du Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et de la Sarre. Même s’il en est encore qu’à la première phase, c’est-à-dire que seul l’avis de pré-information a été publié[1], ce projet s’inscrit dans un contexte plus large de développement de la coopération transfrontalière. En effet, le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, signé en janvier 2019 pour compléter le traité de l’Élysée de 1963, prévoit un rapprochement entre les deux pays sur des terrains variés comme la défense, l’écologie, la culture mais aussi l’économie et les territoires. Parmi les projets phares, figure celui de l’ouverture à la concurrence du marché des trains express régionaux (TER). « Dans toute l’Europe, il n’y a pas d’autres exemples de deux agglomérations de 200.000 habitants pour Colmar et 300.000 habitants pour Freiburg, séparées de seulement 40 kilomètres et qui ne soient pas reliées par une liaison ferroviaire », expliquait[2] à l’époque le département du Haut-Rhin.

Mais aussi nécessaire que ce projet puisse paraître, il n’est pas sans ses défis.

L’épineuse question de l’ouverture à la concurrence

A en croire certains syndicats et politiques, les Français restent très attachés à leur système actuel, où la SNCF est en charge de tout ce qui concerne le transport ferroviaire en France. Mais si l’on se fie aux sondages qui se succèdent depuis plusieurs années sur le sujet, les usagers sont en réalité bien plus disposés à accepter l’ouverture à la concurrence des lignes ferroviaires, régionales notamment : 7 Français sur 10[3], 3 Français sur 4[4], 68% des sondés[5] etc.

Et ça tombe bien, nous rappelle un fonctionnaire en charge du dossier à la Région Grand Est, puisque c’est la loi. « De toute façon on a une obligation, au plus tard en 2033, d’avoir organisé la mise en concurrence de toutes nos lignes ferroviaires » précise-t-il. Mais, continue-t-il, « présenter la chose uniquement sous l’angle de la mise en concurrence, c’est avoir une vision très partielle de la réalité. » En effet, dans le cadre d’une ouverture à la concurrence, le niveau de service n’est pas déterminé par la société qui emporte le contrat. Ce sont les élus, réunis en assemblée qui décident de créer des lignes, du nombre de trains par jour, des horaires, de la tarification etc. Ensuite les pouvoirs publics choisissent, parmi les candidats, celui qui sera le mieux à même de réaliser la prestation élaborée par les élus. La mise en concurrence n’est donc pas une privatisation du service public dans laquelle les logiques de rendement deviendraient les seuls critères de décision. Au contraire, la collectivité, c’est-à-dire les élus, retrouve un contrôle encore plus important en élaborant un cahier des charges précis et exigeant, pour confier à des concessionnaires l’exploitation commerciale des trains ainsi que les remises en état et la maintenance du réseau local concerné (signalisation, voies, ballast, haltes).

L’expérience allemande

De l’autre côté du Rhin la question de l’ouverture à la concurrence n’en est plus une depuis des années. Werner Schreiner est conseiller spécial auprès de la ministre présidente de Rhénanie Palatinat, Malu Dreyer, pour la coopération transfrontalière. Avec plusieurs décennies d’expérience dans le domaine ferroviaire et de nombreux appels d’offres à son actif, l’ancien directeur du transport public fait office de sage dans ce projet. « Quand j’ai fait mon premier appel d’offres, le gagnant était une entreprise française » se souvient-il. Or, des entreprises détenues par le Lander ou l’État fédéral existent en Allemagne. Mais les pouvoirs publics jouent le jeu de la concurrence en acceptant qu’une entreprise française puisse remporter le contrat local. Bien évidemment, la contrepartie attendue est que l’entreprise allemande puisse, à son tour, emporter un contrat en France, en Espagne ou en Italie. Schreiner insiste : « Si nous n’avions pas ouvert à la concurrence, il n’y aurait plus de transport régional parce que cela a donné la chance de revaloriser ce transport qui n’existait quasiment pas avant. »

Une coopération complexe

Quand une région française décide de lancer un appel d’offres pour opérer certaines de ses lignes ferroviaires, la procédure est assez claire. La hiérarchie est établie et le processus de décision inscrit dans la loi. Pour la Région Grand Est par exemple, des fonctionnaires spécialisés dans les affaires ferroviaires, juridiques, administratives etc. mettent en place le cahier des charges et font office de conseillers pour une Commission de Délégation de Service Public qui propose les candidatures au Président de Région, en l’occurrence Jean Rottner réélu en juillet dernier[6], qui présente le ou les finalistes retenus au Conseil Régional pour approbation. Aux yeux du non initié, cela pourrait sembler suffisamment compliqué. Mais lorsqu’il s’agit de coordonner ce travail et ce circuit de décision avec trois autres partenaires, à savoir des Länders allemands, l’ouvrage prend une tout autre ampleur.

Ainsi, des représentants de la Région Grand Est, du Bade-Wurtemberg, de la Rhénanie Palatinat et de la Sarre se réunissent régulièrement et abordent tous les sujets. Volker Heepen, directeur de la société publique ferroviaire du Bade-Wurtemberg nous détaille ainsi le fonctionnement : « Nous nous répartissons le travail en différents groupes qui traitent chacun d’un sujet différent comme les horaires, les trajets, les tarifs etc. Au-dessus de cela il y a un groupe de coordination composé d’une dizaine de personnes qui discutent des recommandations des différents groupes de travail et qui décident des grandes directions qui seront ensuite soumises aux élus qui décideront. »

Un projet à suivre

On l’aura compris, l’appel d’offres qui sera bientôt lancé pour l’exploitation des nouvelles lignes transfrontalières entre les Landers allemands Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre d’un côté et la Région Grand Est de l’autre, est très ambitieux sur le plan technique mais également institutionnel. Ce projet a du sens à bien des niveaux et il sera intéressant de suivre son avancement, en particulier la façon dont les éléments techniques, comme les horaires ou la tarification, seront coordonnés entre ces différents acteurs. Reste aussi à savoir quelles seront les entreprises, françaises, allemandes ou autres groupements, qui se positionneront sur ce nouveau marché.


[1] https://ted.europa.eu/udl?uri=TED:NOTICE:560262-2020:TEXT:FR:HTML

[2] https://www.banquedesterritoires.fr/cooperation-transfrontaliere-lest-du-nouveau

[3] https://www.deplacementspros.com/SNCF-7-Francais-sur-10-soutiennent-l-ouverture-a-la-concurrence_a49051.html

[4] https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/sondage-3-francais-sur-4-jugent-positive-l-ouverture-a-la-concurrence-des-lignes-sncf_AN-201804050200.html

[5] https://www.tom.travel/2018/06/27/trainline-que-pensent-les-francais-de-louverture-a-la-concurrence-du-marche-ferroviaire/

[6] https://tout-metz.com/election-jean-rottner-president-region-grand-est-2021-965352.php

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