Par son principe même, la rémunération variable individuelle se heurte vite à l'une ou plusieurs des cinq limites suivantes : risque de dévoiement par le salarié lui-même à son strict profit ; exacerbation de la compétition entre collaborateurs ; accroissement de l’individualisme dans les équipes ; confiscation du sens du travail et, enfin, risque de détournement en tant que moyen de pression.
La première limite touche au fait que le système peut amener le salarié à effectuer des actions servant davantage ses propres intérêts que ceux de l’entreprise. Une situation devenue possible depuis que la plupart des gens ont à effectuer un travail multitâche, qui demande pour être correctement accompli une relative satisfaction plutôt que de la résignation et qui, à ce titre, peut permettre de traiter préférentiellement les aspects de la performance qui seront récompensés. On a là un comportement inverse à celui recherché par la rémunération variable individuelle. En voici l’exemple type : Mal conseiller le client pour arracher une vente supplémentaire.
La deuxième limite apparaît lorsque l’on constate que la rémunération variable peut littéralement exacerber la compétition entre collaborateurs. Il n’est en effet pas rare que certains, obnubilés par l'atteinte de leurs objectifs personnels, ne s'intéressent qu’à leur propre succès au détriment des collègues et, le cas échéant, de la performance globale de l'entreprise.
La troisième limite s’inscrit en tant que conséquence directe de l’individualisme et des jalousies dont nous venons de parler. C’est-à-dire que même en conservant la participation et l'intéressement comme variables collectives servant de garde-fou à certaines dérives, on observe des effets pervers directement liés à la part individuelle : montée de l’agressivité dans les équipes, parasitage de la communication interpersonnelle, rétention d’informations, effondrement de l'esprit d'équipe.
Nous situerons la quatrième limite au niveau de la confiscation du sens du travail que le système de rémunération variable individuelle a tendance à réduire au statut de simple chiffre. En se bornant à mesurer les écarts vis-à-vis des résultats attendus, il ne prend pas suffisamment en compte la complexité du travail. Il mesure, au mieux, non pas le travail mais les résultats de celui-ci. Tout le reste est oublié : les impondérables ; les indispensables ajustements quotidiens ; les solutions à inventer pour surmonter la résistance du réel ; la nécessité journalière d'interpréter certaines règles et aussi, les pannes, incidents et anomalies.
Enfin, ultime limite du système de rémunération variable individuelle, on observe des cas de dévoiement dans lesquels la part individuelle n’est plus utilisée comme objet récompensant une performance réussie mais, à l’exact contre-pied, comme un moyen de pression. Par exemple, pour inciter un senior à accepter un départ anticipé en faisant en sorte que sa rémunération globale soit systématiquement inférieure au coût de la vie.
On le voit bien ici, les limites du système de rémunération variable individuelle ne sont ni rares ni anodines. C’est probablement en lui que l’on trouve l’archétype de tous les individualismes qui font la souffrance au travail.
Ceci est un extrait du livre « Encadrer une équipe » écrit par Alain Astouric paru aux Éditions Chronique Sociale. (ISBN-10 : 2850089540, ISBN-13 : 978-2850089541). Prix : 14,50 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Chronique Sociale.