La démission de Denis Baupin de la vice-présidence de l'Assemblée Nationale, après les accusations portées contre lui par plusieurs militantes et femmes politiques d'EELV, son parti, démontre à quel point certains hommes se croient autorisés à tout dire, tout faire. Comme si les femmes étaient des objets dont ils peuvent diposer à l'envi, afin d'assouvir leurs pulsions sexuelles.
Denis Baupin est évidemment, et conformément au droit, présumé innocent de ce dont il est accusé. Mais les femmes qui l'accusent, elles, sont d'ores et déjà définitivement des victimes ! Le fait d'avoir dénoncé le harcélement dont elles estiment avoir été l'objet, de la part de cet homme de pouvoir, les place en situation de fragilité. Entre les sceptiques (n'y a-t-il pas une vengeance personnelle derrière ?), les graveleux (elle a du le chercher pour que ca lui arrive à elle), les ignorants (ce qui ne se conçoit pas n'existe pas), et la très large majorité qui voudrait surtout ne pas en entendre parler, et les contraindre au silence, elles vont continuer à parcourir leur chemin de croix. Entamé quand elles ont croisé la route d'un homme qui pense que des gestes ou des propos sexuellement explicites font partie des relations normales entre adultes. Récemment, un sondage révélait que 19 % des hommes pensaient qu'une femme qui dit non, est une femme qui n'ose pas dire oui. Faut-il s'étonner ensuite que les pervers, les agresseurs sexuels, ne comprennent pas quand ils sont montrés du doigt, accusés, condamnés ? Et s'estiment victime d'une kabale ou d'une vengeance personnelle ?
Le harcélement sexuel, suite "logique" du harcélement moral
Ce qu'il faut savoir, en matière de harcélement sexuel, c'est qu'il est la conséquence quasi inéluctable d'un intense harcélement moral, comme l'explique Marie-France Hirigoyen, la spécialiste française du harcélement moral, dans son livre éponyme. Dans le cadre professsionnel, l'agresseur, souvent un supérieur hiérarchique, parfois un collègue, détruit les défenses psychologiques de sa proie, en passant son temps alternativement à la dévaloriser puis à la féliciter. Dans le vocabulaire des victimes, elles répétent souvent : "il soufflait le chaud et le froid en même temps".
A bout de nerfs, soit la victime sombre dans une profonde dépression, ou encore, développe des symptômes psychosomatiques (maux de tête, de ventre, troubles musculo-squelettiques (TMS)), soit, sombre dans l'alcool ou dans la drogue soit... se dissocie. La dissociation est un mécanisme de défense par lequel une personne se détache d'elle-même, et n'est plus que spectatrice de ce qu'elle vit. Une véritable marionnette dont l'agresseur peut disposer à l'envi ! C'est le même mécanisme de défense, naturel, qui permet à une victime d'agression physique, ou de viol, de survivre, en étant coupée de ce qu'elle ressent, à commencer par ses émotions.
Si les premiers signes (dépression, problèmes de santé, consommation d'alcool ou de drogue) sont visibles pour le monde extérieur, quand la victime sombre, la dissociation l'est beaucoup moins ! Seul le stress intense auquel la victime est soumise, en raison même de cette dissociation contre laquelle son "moi intime" lutte, comme enfermée à l'intérieur d'elle-même, et l'incohérence de ses actes et de ses propos, peuvent permettre à des personnes de son entourage, vigilantes, de lui venir en aide. Mais cela peut parfois prendre du temps : ce n'est pas un hasard si en psychologie, on appelle cela des "signaux faibles". Qu'il faut savoir capter, et interpréter... Sachant que par définition, ce n'est pas la victime qui donnera le lexique pour les comprendre, ces signaux étant émis à l'insu d'elle-même par son "moi réel", enfermé dans le corps de la marionette, manipulée par l'agresseur.
Par défaut, une femme qui dénonce des faits de harcélement doit être écoutée
La dénonciation de faits de harcélement sexuel au travail est tellement inconcevable aux yeux (et aux oreilles) du plus grand nombre, que pendant des décennies, dans notre "monde moderne", les victimes étaient donc contraintes au silence. Par le chef de service, par les collègues auxquels elles se confiaient, par le directeur (encore plus souvent, par la directrice) des ressources humaines. Mais aussi, par l'entourage, y compris des proches aimants, pensant bien faire, en lui disant de "tourner la page" ! Sans parler de l'agresseur lui-même, auprès duquel bien des victimes cherchent... des réponses à la question : pourquoi ? Et pourquoi moi ?
Pire encore : une forme de syndrome de Stockholm se crée, entre la victime, et son bourreau. Le syndrome de Stockholm décrit la situation inédite de victimes d'enlévement qui prennent la défense de leur ravisseur, une fois libérées, lui trouvant des excuses. "Logique", quand on sait que pendant la durée de leur séquestration, leur ravisseur ou leur(s) gardien(s) étaient leur seul horizon, ce dernier lien qui les ratachait à l'Humanité. Mais dans le cas du harcélement, moral ou sexuel, ce syndrome est provoqué par un autre mécanisme de défense du cerveau de la victime. Pour lui permettre de supporter l'agression (des propos sexuels dégradants, des attouchements, à longueur de journée), le cerveau de la victime libère des endorphines... qui vont la droguer ! Et amplifier un peu plus la dissociation... Mais qui dit drogue, dit manque. Quand le harcélement s'arrête, la victime se retrouve rapidement en état de manque, et... retourne chercher auprès de son bourreau sa dose, sans avoir conscience d'être entrée dans une spirale infernale, dont seul un tiers bienveillant, ou un problème de santé grave, une dépression, ou une tentatvie de suicide, peuvent la sortir.
Retenez donc bien ceci : quand une femme se plaint de harcélement, moral, sexuel, il y a forcément une part de vérité dans ce qu'elle dit. Et souvent, la vérité est bien au delà de ce que l'on peut imaginer, ou de ce qu'elle même peut exprimer ! Car en effet, son cerveau, toujours en "mode de protection", ne mémorise que partiellement ce qui lui arrive. On parle de "mémoire traumatique" pour qualifier ces situations extrêmes que le cerveau n'arrive pas à analyser et digérer, tellement elles sont abominables : C'est vrai de l'inceste, du viol, d'une agression physique, et donc, du harcélement sexuel. Ces faits, les gestes et les mots de l'agresseur, restent alors stockés dans l'hypothalamus, sans passer dans la "mémoire biographique" de la victime, cette mémoire qui fait de nous ce que nous sommes, avec nos souvenirs.
Des millions de victimes de harcélement en France
Seule la parole permet de libérer la victime de ce carcan qui l'enferme. Avec des proches, bienveillants, mais surtout si possible, et dès que possible, avec un psychologue spécialisé (par exemple, en EMDR), ou encore avec un psychiatre, dont les consultations sont remboursées par la Sécurité Sociale. Quant à la justice, aujourd'hui, en 2016, seuls 12 % des victimes de viols porteraient plainte. Un chiffre forcément extrapolé, puisque par définition, les victimes qui ne portent pas plainte sont inconnues des services de police, mais vont parfois voir des associations, ou suivent une thérapie, pour surmonter ce qui leur est arrivé ! Surtout, une immense majorité, silencieuse, tente de surmonter seule ce qui lui est arrivé. 80 % des victimes de violences sexuelles et de harcélement y parviennent, avec le temps. Mais les 20 % restants vont développer des syndrômes de stress post traumatique (SPT), faisant d'elles des proies idéales pour d'autres agresseurs sexuels, qui savent détecter inconsicemment ces fragilités... Soumises alors à des situations analogues (on parle de réactivation de la mémoire traumatique), elles vont se dissocier, pour survivre, une fois de plus, et faire alors n'importe quoi à leur insu. Ce que l'entourage et parfois, le corps médical, n'arrive souvent pas à comprendre....
En matière de harcélement sexuel, les victimes se comptent malheureusement par millions. Et le viol n'est souvent pas loin... Dans plusieurs affaires de harcélement, la procédure a évolué en viol, donc, en crime, même si la tendance lourde, en France, est de paradoxalement requalifier des viols en agressions sexuelles, qui ne sont "que" des délits jugés par le tribunal correctionnel. En tout cas, 100 % des femmes, interrogées dans un sondage récent, déclaraient avoir été victimes au moins une fois dans leur vie de propos sexuellement dégradants, ou de gestes déplacés. Par défaut, il faut donc désormais partir du principe que 100 % des femmes qui prennent le risque de dénoncer des faits de harcélement sexuel disent probablement la vérité, car elles ont trop à perdre à enfiler le costume dégradant de victime d'agression sexuelle. Depuis 2003, la jurisprudence a d'ailleurs évolué. Les victimes n'ont plus à prouver qu'elles ont été harcelées, ce qui est souvent très dur à faire, faute de "traces" laissées par l'agresseur, parfaitement conscient de ce qu'il fait. C'est désormais à l'agresseur de justifier son comportement, sur la base des accusations de sa, ou de ses victimes présumées.
A ce sujet, quand un agresseur est dénoncé, puis poursuivi, par plusieurs victimes, ses "chances" de passer entre les mailles du filet judiciaire sont infimes. Et même si la prescription est de trois ans, des victimes plus anciennes qui portent plainte sont obligatoirement entendues, pour servir à étayer les autres procédures en cours et non prescrites.
Une affaire comme celle de Denis Beaupin, dramatique pour les victimes, a donc au moins cet "intérêt" : celui de permettre à toutes les autres victimes de pervers polymorphes de se dire qu'elles aussi, peuvent dénoncer leur agresseur, et exiger réparation.
Pour en savoir plus : Des violences sexuelles sur le lieu de travail : quelques exemples sur le site de l'AVFT, association européenne contre les violences faites aux femmes au travail : 01 45 84 24 24, accueil téléphonique de 9h30 à 15h00 du lundi au vendredi.