Économie de la grossesse et de la petite enfance

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Par Jacques Bichot Modifié le 3 octobre 2019 à 4h15
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@shutter - © Economie Matin

Boris Cyrulnik, psychiatre bien connu, a donné au Figaro (édition du 2 octobre) une très intéressante interview sur ce qui se passe durant la grossesse et la petite enfance. Et comme son intelligence n’est pas limitée à la psychiatrie, il précise que (bien) « s’occuper d’un bébé, c’est une bonne affaire du point de vue financier. »

Un message que nos hommes politiques devraient méditer, à une époque où l’on a tendance à oublier que l’économie, ce n’est pas seulement les GAFA, le pétrole et les taux d’intérêt. En fait, chaque être humain, depuis la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde, est une sorte de start-up, et la formation de l’intelligence disons « naturelle », avec son accompagnement de caractère équilibré, est un enjeu encore plus important, et de beaucoup, que celui de l’intelligence artificielle, y compris au niveau économique.

L’importance de la gestation

Cyrulnik rappelle que le bébé in utero communique avec sa mère. Il réagit à sa voix et, dit le psychiatre pour imager et pimenter son propos, « si sa mère fume, il fume. Si elle mange de l’aïoli, il s’habitue au goût de l’ail. » Si la mère est insécurisée, la formation des connexions dans le réseau de neurones du bébé s’en ressent. Heureusement, les accrocs ponctuels sont le plus souvent réparés rapidement, car le cerveau de l’embryon est très résilient, mais encore faut-il que l’insécurité maternelle, qui entraîne celle du fœtus, ne soit que ponctuelle.

Ce constat scientifique a une importance capitale pour l’organisation de la grossesse au travail. Selon que l’employeur se préoccupe ou non d’éviter le stress maternel, de faire sentir à la femme enceinte que sa grossesse est la bienvenue, même si elle pose des problèmes d’organisation, le bébé n’aura pas les mêmes chances d’être « bien dans sa tête » comme enfant, puis comme adolescent, puis comme adulte. Pour avoir un quart de siècle plus tard une grande majorité d’hommes et de femmes équilibrés, et en conséquence productifs, il importe au plus haut point que la politique familiale mette le paquet pour améliorer la situation de la femme enceinte au travail. Il faut que l’employeur soit aidé, car ce n’est pas évident pour lui. Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer il y a quelques mois à des parlementaires européens qui avaient organisé un mini-colloque sur le sujet de l’harmonisation entre travail et maternité, les pouvoirs publics ont le devoir d’aider les employeurs à organiser au mieux cette période cruciale.

Autre problème, celui de la gestation pour autrui. L’accès des couples féminins à l’insémination artificielle sera suivi un jour ou l’autre par l’autorisation du recours aux mères porteuses : dans une société sans boussole presque tout ce qui est techniquement possible finit par être légalement autorisé. Or Boris Cyrulnik nous rappelle que le lien établi avec l’embryon durant la gestation est fondamental. L’adoption des orphelins présente des difficultés ; certes, quand les parents sont morts, elle constitue un second best, une formule qui donne souvent davantage de chances à l’enfant que ne lui en donnerait un orphelinat. Mais produire des orphelins artificiels, des enfants destinés à être ôtés à la femme qui les a portés pour être élevés par une autre, ou par un couple d’hommes, c’est faire l’impasse sur ce que la psychiatrie nous dit de l’importance du lien mère-enfant in utero. Les connaissances neurologiques et psychiatriques ne semblent donc guère en faveur de l’idée assez répandue selon laquelle on pourrait sans problème avoir recours à des « mères porteuses ».

Bien s’occuper de chaque enfant est une « bonne affaire »

C’est Boris Cyrulnik qui emploie cette expression, mais d’autres psychiatres, notamment, en France, Maurice Berger, font la même analyse : la période embryonnaire et la petite enfance ont une importance capitale pour le devenir du nouveau petit être humain, dans tous les sens du mot « capital ». Aux âges tendres le cerveau s’organise, et cette organisation est plus ou moins réussie selon l’environnement dans lequel vivent les enfants, à commencer par la façon dont les parents se comportent avec eux. Cela peut être merveilleux ; ce peut aussi être désastreux. Quelques ouvrages le montrent bien, en exposant non seulement la responsabilité des parents, mais aussi celle des pouvoirs publics, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne font pas correctement le – difficile, il faut le dire – travail qui serait nécessaire :

> Anne Tursz, Les oubliés, Enfants maltraités en France et par la France (Seuil, 2010)

> Violaine Guérin, Pédophiles et autres auteurs d’agressions sexuelles (Tanemirt éditions, 2016)

> Maurice Berger, Voulons-nous des enfants barbares ? (Dunod, 2013)

> Roland Coutanceau, Les blessures de l’intimité (Odile Jacob, 2014)

> Simone Chalon, L’enfance brisée (Le Pré aux clercs, 1988)

> Gérard Lopez, Enfants violés et violentés (Dunod, 2013)

Sans ramener en aucune manière ces drames humains à un phénomène purement économique, l’analyse économique doit apporter sa pierre à l’édifice que tous les êtres humains de bonne volonté contribuent à construire pour qu’il y ait moins d’enfances brisées, d’enfants maltraités, et d’adultes devenus barbares par suite d’une enfance vécue dans des conditions désastreuses.

Le législateur, le Gouvernement et les administrations ne peuvent pas tout, mais ils pourraient, s’ils n’étaient pas aveuglés par le « politiquement correct », faire beaucoup plus et surtout beaucoup mieux. Le capital humain est le facteur économique le plus important ; même si ce n’était pas le cas, il faudrait, par simple humanisme, avoir une politique de la procréation, de l’enfance et de la famille beaucoup plus intelligente que celle qui existe actuellement ; mais savoir qu’une telle politique serait aussi un formidable atout pour notre économie rend inexcusable de ne pas s’engager dans cette voie.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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