De la carotte au bâton : cesser de fumer un enjeu de santé publique et économique

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Par Didier Castiel Publié le 23 septembre 2016 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
40 $L'Australie veut porter le prix du paquet de cigarettes à 40 dollars.

Le tabagisme est un fléau de santé publique, avec près de 2 milliards de fumeurs dans le monde. Quatre fumeurs sur cinq vivent dans des pays à niveau de vie moyen ou bas. La moitié des fumeurs réguliers sont tués directement par le tabac. En 2030, il y aura 10 millions de décès par an, dont 70 % portés par les seuls pays pauvres. Enjeu de santé publique ou enjeu économique ?

Depuis les travaux d’Hammond en 1964, qui fut le premier à établir une surconsommation hospitalière chez les fumeurs, la nocivité du tabac a été étudiée et confirmée, tout comme la surconsommation médicale portée par le tabagisme. Ainsi, les hommes fumeurs consultent plus les médecins que les non-fumeurs (+ 18%), consomment plus d’hospitalisation (+ 56%). Ces chiffres sont moins nets pour les femmes fumeuses (+ 8 % de consultations et + 6 % d’hospitalisation). Afin d’endiguer ce phénomène, la carotte a été de mise : adoption de mesures incitatives pour arrêter de fumer. Au regard du faible niveau de réussite, le bâton est maintenant envisagé, par un renforcement drastique de la politique de taxation.

La carotte : le programme « quit and win »

Ce programme fut développé dans les années 1980 par le Minnesota Heart Health Programm (Programme de prévention des maladies cardio-vasculaires du Minnesota). Depuis, 80 pays l’ont adopté.

Il s’agit d’inciter les individus à cesser de fumer, en organisant un concours dont les prix est varié selon les pays. Le vrai gain attendu pour la personne participant est, bien entendu, l’arrêt de la cigarette. Par exemple, en suède, le lancement du premier programme « quit and win » était accompagné d’un prix pouvant être vu comme stimulant : un voyage pour deux à Hawaï. Une grande campagne d’information avec un spot TV de 30 secondes avait été lancés ; des bulletins de participation étaient disponibles dans toutes les pharmacies et les bureaux d’assurance santé.

Les universités américaines proposent systématiquement à leurs étudiants, dans le cadre de ce programme, un mois sans tabac, en escomptant que les bonnes habitudes ainsi prises perdureront dans le temps. Ainsi, l’université du Minnesota prend en charge les aides nicotiniques et l’accompagnement médical. Si le participant est abstinent durant un mois, il a la possibilité de gagner l’une des trois cartes cadeau Amazon en jeu d’un montant de 1000 $ chacune. Bien moins exotique que le voyage à Hawaï… Quant à l’université de New York, elle n’offre aucun prix, mais se limite à accompagner les étudiants dans leur démarche volontaire de cessation de la cigarette.

Ce programme reste un échec relatif : le taux de fumeurs toujours abstinents à 12 mois s’établit entre 8 % et 20 %, selon les études. Certaines montrent une reprise de la cigarette seulement après 6 mois de cessation. Il y a donc un fort niveau de déception, puisqu’au final rien n’a été gagné. Une exception toutefois : l’Iran. Dans la province d’Ispahan, quatre campagnes ont été menées de 1998 à 2004 (10 gagnants tirés au sort parmi ceux qui ont arrêté de fumer durant au moins 4 semaines, cadeaux offerts par des sponsors allant jusqu’à 8000 $ à partager entre les 10 gagnants). Au bout d’un an de suivi, les taux d’arrêt autodéclarés variaient de 22,5 % (en 1998) à 91,2 % pour la campagne de 2004. Ce programme serait-il extraordinairement plus efficace dans les pays à revenus faibles ou moyens ? Ou s’agit-il d’une volonté politique… d’enfumage ?

En tout cas, dans les pays riches, la carotte porte peu de résultats positifs. Il en est ainsi dans la Carélie du Nord (Finlande) où seulement 0,3 % des participants étaient complètement abstinents 12 mois après leur inclusion dans le programme.

Supprimer le tabagisme : une nécessité économique ?

On le sait, le tabac génère des recettes fiscales conséquentes. Nul homme politique n’a intérêt, pour des raisons économiques, à endiguer le tabagisme. Par exemple, il a été estimé qu’en supprimant toute consommation domestique de tabac et toute production, dans un pays comme le Zimbabwe, il y aurait 90 000 emplois perdus et seulement la moitié pourrait être reconvertis dans l’agriculture, moyennant un accompagnement de cette reconversion par l’État.

La taxation n’est pas une meilleure solution. Il a été montré qu’une hausse du prix de 10 % n’induit une hausse de recettes fiscales que de 7 % : l’impôt tue l’impôt… Il n’y a donc aucune opportunité économique à lutter efficacement contre le tabagisme par une politique de prix plus élevé. Maintenant, si l’objectif reste un objectif de santé publique, et non plus un objectif économique, faut-il aller vers une politique de prix plus élevé ? Une étude intéressante, malgré tout un peu datée (1995), a montré qu’au niveau mondial une augmentation du prix du tabac de 10 % engendrerait 42 millions de fumeurs en moins, mais essentiellement dans les pays pauvres (38 millions sur 42) et 10 millions de décès en moins (dont 9 millions dans les pays pauvres). Une politique de prix élevé est donc efficace essentiellement dans les pays pauvres.

Une politique de prix élevé : le bâton

L’idée commence à faire son chemin : la politique du bâton s’impose comme suite à l’échec des politiques incitatives, mais coercitives. Si l’objectif reste bien celui d’un enjeu de santé publique, alors il n’y a aucune limite à avoir : l’augmentation drastique du prix du paquet est la solution. Un paquet à 25 € par exemple, aurait pour effet, dans un premier temps, de diminuer faiblement, la consommation des adultes, du moins dans les pays riches, mais surtout d’empêcher les enfants de commencer à fumer. Ainsi, en une génération, le problème du tabagisme serait réglé, puisque les enfants n’auraient pas pris de mauvaises habitudes. Mais le prix économique à payer pour la nation concernée serait considérable : extension du chômage, reconversion d’une industrie, baisse des recettes fiscales, etc.

Ainsi, le choix de l’Australie de frapper fort en portant le prix du paquet à 40 $ est donc un pur choix de santé publique, au détriment d’un choix économique, car il n’y a aucune rationalité économique à trop augmenter le prix du paquet, comme montré ci-dessus. Cela ne va pas tout régler, car l’action sur les prix protège avant tout les enfants de la cigarette. Les adultes, eux, moins sensibles au prix, pourront pallier la hausse de prix en allant sur les marchés parallèles qui ne manqueront pas de se créer. Un tel choix est donc bien uniquement commandé par un souci de santé publique et la volonté de changer les comportements des jeunes. En ce sens, la décision de l’Australie est unique aujourd’hui, mais surtout très courageuse. Enfin, un pays qui a une vraie politique de la santé publique ! Altruiste ?

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Didier Castiel est enseignant-chercheur en économie de la santé à l'Université Paris-Nord 13 (UFR Santé, Médecine et Biologie Humaine). Il s'intéresse plus particulièrement aux questions de solidarité et d'inégalités dans le système de santé. Ses derniers travaux de recherche portent sur l'allocation des ressources en faveur des plus défavorisés, dans une démarche de préservation de la solidarité. Site internet : www.castiel.eu

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