Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas

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Par Hervé Goulletquer Publié le 28 février 2020 à 13h58
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10%Du 19 au 27 février l'indice actions Euro Stoxx 50 a reculé de plus de 10%

Sur le front de la crise du coronavirus, la vague chinoise se fait moins haute, tandis que d’autres se forment ailleurs dans le monde ; en Asie-Océanie hors Chine, au Moyen-Orient et en Europe. Quelles seront leurs forces ? Et puis, de nouvelles vont-elles apparaître dans les Amériques et en Afrique ? Le marché s’en inquiète profondément (ainsi du 19 au 27 février l’indice actions Euro Stoxx 50 a reculé de plus de 10%). Pourtant, ne faut-il pas tout de même considérer que le « mieux » en Chine est une condition nécessaire, à défaut d’être suffisante, d’une amélioration de la situation économique mondiale. En n’oubliant pas l’hypothèse crédible que ce sont les Chinois qui formeront in fine les « gros bataillons » des victimes de la maladie.

Le marché continue de faire grise mine, très grise mine même. La raison principale est à rechercher dans la dynamique d’élargissement de la crise du coronavirus de la Chine à d’autres régions du monde. De fait, l’inflexion haussière est tout à fait visible dans le reste de l’Asie-Océanie dès le 18 février, au Moyen-Orient à compter du 22 et en Europe à partir du 23. Comment alors ne pas imaginer que l’Afrique, l’Amérique du Nord et l’Amérique latine vont suivre à échéance probablement rapprochée ? La perspective d’une pandémie généralisée inquiète évidemment la communauté financière. Au minimum, le moment de normalisation des conditions de la croissance mondiale est retardé ; au pire, il faudrait se préparer à un repli de l’activité économique.

Le point est évidemment recevable. Il n’empêche que ce regard « séquentiel » devrait être complété. Deux autres aspects sont à prendre en compte.

  • D’abord, il ne faut pas omettre le double rôle de la Chine. Au 26 février, 96,5% des cas ont été diagnostiqués dans le pays. Concernant les décès, la proportion atteint 98,5%. L’épidémie est avant tout chinoise. Il est donc important de suivre au plus près sa dynamique. Sans qu’il soit hélas possible d’être plus précis, pour des raisons de changement par les autorités de Pékin des modes de comptabilisation des malades, le point d’inflexion baissier est dorénavant atteint. Il a été atteint, soit un peu plus de deux semaines après le moment de l’accélération, soit un peu moins de quatre semaines après. Comment ne pas conclure que depuis au moins une semaine, la perspective apparaît au minimum moins défavorable ?

Si en termes de santé publique, la tendance est à l’amélioration relative, alors il faut probablement considérer que les perspectives économiques vont devenir plus favorables. Ne dit-on pas que dans plusieurs secteurs l’activité redémarre ; même si ce n’est qu’à un rythme encore modeste ? Si on garde à l’esprit le statut de fournisseur du reste du monde, attribué à la Chine, les approvisionnements des clients pourraient progressivement redémarrer.

  • Ensuite, les évolutions mondiales, bien sûr sous l’influence déterminante de celles observées en Chine, montrent une amélioration. Premièrement, depuis un peu plus d’une semaine, il y a quotidiennement plus de guérisons que de nouveaux cas. Deuxièmement, et dans le sillage du constat précédent, le nombre de personnes toujours malades décroit. Il est passé par un point haut à 59 000 le 17 février, pour se positionner à 46 500 le 27.

Que conclure de ces différents regards ? Que le « grand tout » est encourageant, mais que le jeu des parties reste difficile à articuler, avec du mieux en Chine et une inévitable dégradation ailleurs pour encore au moins quelques semaines. Probablement pas plus de trois ou quatre, en ne retenant que les réalités en cours en Asie hors Chine, en Europe et au Moyen-Orient (le temps que les points d’inflexion à la baisse ne s’enclenchent) ; plus que cela si la maladie se répand en Afrique et en Amérique.

Il n’empêche qu’il est assez probable que l’épisode de coronavirus en cours restera très majoritairement chinois. A titre d’indication, rappelons qu’au final près de 90% des personnes touchées par le SRAS en 2003 l’ont été en Chine et à Hong Kong. Si là-bas, les choses s’améliorent sur le front de la santé publique, alors l’économie repartira. La condition n’est peut-être pas suffisante pour que la conjoncture s’améliore ailleurs dans le monde ; elle est cependant nécessaire. Ne devrait-on pas alors dire que « quand la Chine se réveillera, le monde se réjouira » ?

Et puis ne doit-on pas intégrer au raisonnement l’hypothèse qu’une politique économique, à la fois volontariste et bien construite, apportera sa pierre à ce processus de retour à meilleure fortune sur le front de la croissance et des marchés mondiaux ? On en discutait il y a quarante-huit heures. Je n’y reviens pas.

Il faut pourtant s’arrêter un instant sur la décision prise hier par la Banque de Corée. Le consensus des économistes était en faveur d’une baisse de 25 centimes du taux directeur. Pourtant, le comité de politique monétaire a décidé de « passer son tour ». Le marché a exprimé sa déception. Dans les deux heures qui ont suivies la bourse de Séoul a perdu autour de 1,5%, soit peu ou prou le double de celle de Tokyo. Etait-ce cependant une mauvaise décision ? Si on suit ce que j’écrivais mercredi dernier, non. Le temps est aujourd’hui au suivi d’une politique de santé publique efficace et à la prise de mesures pour permettre aux entreprises de « tenir » dans cette période d’entrave à leur production (baisse des charges et accès à des lignes de crédit). Le temps de l’accompagnement de la normalisation de la croissance viendra après. Les mesures de soutien à la demande seront alors utiles. La Banque de Corée a agi de façon lucide ; surtout avec un taux directeur déjà très bas (1,25%). A chacun de s’en persuader !

Le titre est une référence au titre d’un « pamphlet » de Frédéric Bastiat, écrit en 1850. Il y présente une double opposition : voir (constater ce qui se passe) contre prévoir (s’interroger sur le déroulé à venir) et l’expérience contre la prévoyance. La résonnance avec la situation actuelle fait sans doute sens.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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