Pendant le Covid-19, l’enfumage des cigarettiers continue

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Par François-Michel Lambert Modifié le 2 juin 2020 à 13h22
Coronavirus Forme Severe Tabac
@shutter - © Economie Matin
120 MILLIARDS €Le tabagisme coûterait 120 milliards d'euros par an à la France, tous paramètres confondus.

En marge de son intervention télévisée lundi 13 avril 2020, dans un « off » avec des journalistes, Emmanuel Macron affirmait que les prisonniers, dont le taux de fumeurs est traditionnellement très élevé, étaient moins touchés par le Covid-19. Pour le Chef de l’Etat, cela s’expliquerait peut-être par le fait que le tabac assure une forme de protection contre le virus. Cette théorie – farfelue mais nocive – nous rappelle l’époque des publicités qui affirmaient que leurs cigarettes étaient bonnes pour la gorge, l’asthme ou la mauvaise haleine, et qu’elles étaient recommandées par les médecins.

Depuis, les statistiques de la santé publique ont montré que le tabac tue 8 millions de personnes chaque année dans le monde – dont 1 million de non-fumeurs. Cela a permis de mettre à jour le caractère mensonger de ces publicités, qui sont interdites désormais dans une majorité de pays. Et pourtant les cigarettiers tentent encore régulièrement de défendre l’idée selon laquelle le tabac aurait des vertus médicinales.

Philip Morris International (PMI) et British American Tobacco (BAT) ont ainsi fait savoir début avril qu’ils travaillaient à l’élaboration d’un vaccin contre le Covid-19 à base de feuilles de tabac. On attend toujours les suites concrètes, mais l’annonce tonitruante s’est retrouvée en tête des moteurs de recherche. Le coup de com’ a en tout cas permis de passer sous silence une autre information : que les fumeurs malades du Covid-19 étaient atteints de formes bien plus sévères que les non-fumeurs. Un constat par ailleurs logique puisque ce coronavirus affecte prioritairement les poumons.

C’est toutefois, le message des majors du tabac qui ont inondé les premières pages des recherches web de leur communication douteuse, reléguant les études sérieuses au second plan.

Un professeur financé par l’industrie du tabac

Dans ce contexte, le « off » du président Emmanuel Macron est du pain béni pour l’industrie du tabac pendant une crise qui aurait dû, en toute logique, lui nuire terriblement. Chacun se posera la question de savoir comment le président Emmanuel Macron peut-il être influencé, qui dans son entourage aurait des intérêts doubles ?

Quoi qu’il en soit, cette thèse d’une « protection » des fumeurs a aussitôt été relayée et reprise par certains médias comme BFMTV, ou RTL. En revanche, ni les conseillers d’Emmanuel Macron, ni Olivier Véran, ministre de la Solidarité et de la Santé, ni aucun journaliste n’ont rappelé les liens pourtant bien connus entre le professeur Jean-Pierre Changeux – l’auteur de cette thèse – avec l’industrie du tabac.

Son activité de recherche a par ailleurs largement été subventionnée par le Council for Tobacco Research, une officine de l'industrie du tabac basée à New York (220 000 dollars entre le 1er juillet 1995 et le 31 décembre 1998). Rappelons que la justice californienne avait estimé à propos de l’organisation : « Les documents [internes de l'industrie], considérés dans leur ensemble, fournissent des preuves qui appuient les affirmations de l'Etat [de Californie] selon lesquelles les [cigarettiers] ont utilisé le CTR pour tromper le public. »

« Un Président ne devrait pas dire ça »

Le tabac tue implacablement la moitié de ses consommateurs. Il coûte chaque année au moins 1000 milliards d’euros aux 27 Etats membres de l’UE. Aussi, il y a des choses « qu’un Président ne devrait pas dire », pour reprendre la formule de Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Le président de la République n’a-t-il pas le devoir de ne relayer que des informations fiables, en particulier sur un sujet de santé publique aussi grave ?

Une explosion des volumes et des profits

En dépit d’une pandémie mondiale affectant les capacités respiratoires des malades, et d’une économie tournant au ralenti, les cigarettiers ont enregistré une progression des ventes de tabac pendant le confinement, comme en témoigne le communiqué de presse diffusé le 7 mai 2020 par Seita-Imperial Tobacco.

De fait, la fermeture des frontières a asséché l’approvisionnement parallèle du marché français (on estime qu’une cigarette fumée en France sur 4 serait achetée en dehors des réseaux de buralistes). De ce fait, les fumeurs ont dû acheter leurs cigarettes chez les buralistes par le réseau « normal ». La hausse globale des ventes de tabac au niveau national a ainsi été de 23,7%, avec des hausses de +71% et jusqu’à 188% de ventes de cigarettes dans l’Est et le Nord de la France, rapportant un surplus fiscal de 260 millions d’euros sur le seul mois d’avril 2020 par rapport à avril 2019.

Ainsi est démontré que les systèmes organisés par les majors pour éviter les ventes directes en France – c’est-à-dire par le réseau buraliste – où les taxes sont plus importantes, ferait perdre entre 3 et 4 milliards d’euros par ans à fiscalité constante. Au moment où se pose la question du financement de notre système de santé, de la modernisation de l’hôpital et de l’amélioration des rémunérations des personnels soignants, le président ferait mieux de s’attaquer à cette évasion fiscale massive, déguisée en intérêt pour le consommateur. Faudrait-il encore que le gouvernement en ait la volonté, ce qui ne semble pas le cas au vu de son refus d’appliquer les règles strictes de traçabilité préconisée par l’OMS. Dont acte !

Pour rappel, le coût social du tabac (le coût cumulé des maladies respiratoires, hospitalisations, arrêts de travail…) est de 120 milliards d’euros par an, d’après l’économiste Pierre Kopp, professeur à l’université Paris 1 et chercheur au centre d’Economie de la Sorbonne et à la Paris School of Economics, et l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). A titre de comparaison, le coût social en lien avec les drogues illicites s’établit à 8,8 milliards d’euros. https://www.ofdt.fr/publications/collections/notes/le-cout-social-des-drogues-en-france/

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François-Michel Lambert est député EELV des Bouches-du-Rhône, Vice-président de la Commission Développemet Durable et Aménagement du Territoire de l'Assemblée Nationale. Il est aussi président de l'Institut de l'économie circulaire.

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