Cet édito est long, j’espère simplement que vous ne vous découragerez pas, car il recèle quelques petits trésors qui devraient ravir vos esprits contrariens, insolents et impertinents.
« Le chômeur, au lieu d’être la rançon de la science, devrait en être la récompense »… oui le chômeur devrait-être la récompense du progrès humain. Il devrait être célébré comme le succès entier de la réussite de l’humanité vers un monde affranchi du travail et dont la vie de l’homme n’aurait plus à se résumer à une longue lutte pour assurer sa survie quotidienne.
Le chômeur, l’homme sans nécessité de travailler est l’aboutissement logique de notre processus d’évolution.
C’était un 11 janvier. Bernard Maris, économiste perdait la vie lors de l’attaque de Charlie Hebdo, et pourtant, presque d’outre tombe, c’est lui qui va vous faire connaitre cet homme aujourd’hui. J’ai connu cet auteur par un simple lien reçu dans un mail envoyé par l’un de nos camarades impertinents. Ce lien pointe sur le site internet d’Etienne Chouard, un « hurluberlu »que certains parmi vous doivent connaître puisque ce « sombre individu » ose parler d’une idée comme celle de démocratie… non mais je vous jure… parler de démocratie…On devrait interdire tous ceux qui parlent de démocratie… ça tombe bien Chouard est interdit d’antenne. Ouf… je commençais à avoir sacrément peur. S’il y en a qui ont des phobies administratives, on oublie trop ceux qui souffrent de phobie démocratique. C’est une maladie rare, orpheline même. Elle ne touche qu’une toute petite partie de la population. Moins de 1%… oui c’est ça, ces 1% qui détiennent 90% des richesses et 100% du pouvoir… et bien ils souffrent ces braves petits. Et la phobie démocratique croyez-moi, c’est très douloureux…
Bref, sur le site d’Etienne Chouard un article de 2007… franchement pas tout jeune me direz-vous et pourtant !
Etienne donc écrit la chose suivante en 2007 !
« Je viens de taper pour vous un extrait important d’un livre merveilleux que je viens de recevoir. Merci à Bernard Maris d’avoir signalé cette perle (voir ses précieuses chroniques, sur le site de France Inter, et notamment : Où va l’argent ?). Il est épuisé, pour l’instant, et on le trouve d’occasion, ce qui n’est pas si mal car le livre d’origine, très ancien, est d’autant plus émouvant. On dirait vraiment un trésor. Bonne lecture. »
La grande relève des hommes par la machine de Jacques Duboin, 1932
C’est de ce livre là que nous allons parler, et ne le cherchez plus en occasion je l’ai ai tous acheté pour spéculer… ceux qui veulent un exemplaire m’adresse un chèque de 100 euros… non je plaisante bien évidemment, j’en ai trouvé un d’occasion et pas en très bon état… mais à l’ère du numérique, certains vieux papiers ont une véritable valeur non pas financière mais intellectuelle ! Sur le site d’Amazon il en passe régulièrement, donc avec un peu de temps vous devriez trouver votre bonheur. Pour toutes celles et ceux qui n’auront pas le bonheur de trouver une édition originale, sur le site d’Etienne Chouard ce livre est disponible gratuitement sous format PDF et vous pourrez le télécharger. Je vous indique le lien comme d’habitude ci-dessous.
Avant de parler de ce livre, d’une actualité brulante alors qu’il est de 1932, je voulais vous montrer un peu qui était l’homme Jacques Duboin.
En 1922 Jacques Duboin fait un petit topo à la Chambre des députés assez truculent avec le recul historique au Ministre de la guerre déjà à l’époque aussi crétinifié que nos sinistres actuels. Vous pourrez le trouver et le lire ici… Voici l’une de ses toutes premières phrases…
« Vous nous demandez donc, monsieur le ministre, un crédit d’hommes, mais vous ne nous dites pas quel effort vous avez accompli jusqu’ici pour économiser ces hommes, ni celui que vous projetez pour économiser éventuellement leur sang ».
Et oui déjà à l’époque nous voulions croire que l’on nous voulait que du bien et depuis rien n’a fondamentalement changé. Le peuple reste une variable d’ajustement pour des élites qui perdent rapidement tout sens moral lorsqu’elles sont aux affaires.
Jacques Duboin n’ignorait pas non plus – et il le disait et l’écrivait sans cependant insister, car il parlait en économiste – que les privilégiés actuels du régime emploieraient toute leur puissance à combattre son enseignement. Ils le firent en organisant systématiquement la « conspiration du silence » autour de lui. Bientôt, et malgré les ventes très confortables de ses premiers livres, il ne trouva plus un éditeur pour les imprimer et les diffuser.
Jacques Duboin, né à Saint-Julien-en-Genevois le 17 septembre 1878. Il sera banquier, industriel et homme politique.
En octobre 1935, Jacques Duboin crée le journal de réflexion socio-économique La Grande Relève. Il y présente au fil des années sa vision d’une économie de partage des richesses qu’il nomme « économie distributive » et est considéré comme l’un des tous premiers personnages politiques français à défendre l’idée d’un revenu de base.
Il décède en région parisienne en mars 1976.
Si vous voulez en savoir plus sur cet illustre inconnu vous pouvez consulter la biographie complète ici
Voici donc les quelques passages cruellement d’actualité qu’Etienne Chouard avait d’ailleurs sélectionnés dans son article et qui je l’espère vous donneront envie de lire ce livre et de réfléchir à ce qui vient.
« Je ne vois pas pourquoi la race humaine serait condamnée au travail à perpétuité. Ou alors il ne fallait pas la doter d’un cerveau grâce auquel elle oblige la matière à travailler à sa place. Des trésors de patience et d’intelligence ont été dépensés par des générations et des générations, pour inventer et mettre au point des machines qui, de plus en plus, remplacent le travail des hommes. Nous assistons aujourd’hui à la grande relève des travailleurs par la matière disciplinée et animée d’une force de production. Ne peut-on concevoir une évolution du capitalisme qui tienne compte de cette relève, sans obliger l’armée qui descend des lignes à mourir de faim ? ».
Ou encore
« Un pays devrait être fier du nombre d’hommes dont le progrès permet d’économiser l’effort. Le chômeur, au lieu d’être la rançon de la science, devrait en être la récompense. Plus il y a de chômeurs dans un pays, plus le niveau intellectuel, plus l’étiage économique est élevé. Théoriquement, n’est-ce pas vrai ? »
Il y a aussi ce passage…
« Qu’y a-t-il d’effrayant ? répliqua tranquillement Hermodan ? Voici deux pays de même population. L’un comme l’autre produisent, chaque année, la même quantité de richesses, mais, dans le premier, ce résultat est obtenu grâce à l’effort intensif de tous les travailleurs ; dans l’autre, grâce au travail de la moitié seulement de la population. Laquelle de ces deux nations possède le niveau intellectuel, social, économique, — mettez l’adjectif qui vous plaira, — le plus élevé ? La seconde évidemment. Cependant, ce pays privilégié est à plaindre, car la moitié de sa population, réduite à ne rien faire, est condamnée à mourir de faim et de froid. Voilà le drame que nous vivons ».
Ou celui-là !
« Évidemment, je m’aperçois que ce que je vous dis vous surprend légèrement. J’insisterai donc en affirmant que, du moment que vous n’avez plus besoin de ces hommes, vous êtes dans l’obligation absolue de les faire vivre sans travailler. Car du moment qu’ils sont venus au monde, ils ont droit à la vie. Ils y sont venus comme tous leurs frères, nus, sans poches remplies sur les côtés. Est-ce leur faute si toutes les richesses qui existent ont déjà un propriétaire légitime ? Et si l’abondance de ces richesses est telle que vous préférez les détruire ? Ah ! pour légitimer cette appropriation de tout ce qui est nécessaire à la vie, la société a élevé le travail à la hauteur d’une véritable religion. Ils ont accepté cette loi, bien qu’elle dût leur paraître dure, et ils se sont mis courageusement à l’oeuvre. Mais voilà que, grâce au progrès technique, leur travail ne vous est plus nécessaire ! C’est cependant leur unique bien, qu’ils sont forcés d’échanger contre le morceau de pain indispensable à la vie. Concluez ?… Préférez-vous les faire disparaître comme les chevaux ? C’est la solution des anthropophages. Elle paraît tellement odieuse que, dans tous les pays, c’est l’État qui vient en aide à ces soi-disant déshérités. Vous savez, d’ailleurs, qu’une attitude différente conduirait droit à la révolution, car ils sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui 30 millions, demain 35, 40, 50 millions ! Il n’y a pas de raison pour que ça s’arrête, puisque l’idéal du progrès technique est la suppression totale de la main-d’œuvre ».
Ce livre fût écrit en 1932. Certains diront et bien « vous voyez, c’est la preuve qu’il ne faut pas avoir peur du progrès, le progrès technique ne supprime pas les emplois il en créé » !
Oui c’était valable encore en 1932. C’était même valable en 1980 bien que nettement moins et que le chômage commençait à devenir « de masse »… Pourtant la population active continuait à s’accroitre et le marché du travail à absorber presque tout le monde moins quelques centaines de milliers de chômeurs.
Ce fût nettement moins vrai dans les années 90… mais la véritable inflexion c’est la crise de 2007. Cette crise de 2007, va servir de déclencheur aux entreprises pour encaisser certains gains de productivité. On l’oublie déjà pourtant le haut débit n’arrive qu’en 2005… en 2007 il est déployé, les tuyaux sont là. La véritable révolution internet peut commencer. Les progrès de la robotique et de la puissance informatique, et de façon générale de l’ensemble des technologies rendent l’utilisation de masse de travailleurs totalement obsolète. Dépassée.
C’est en soi une excellente nouvelle car le génie humain depuis l’invention de la roue a toujours eu pour objectif de nous faciliter la tâche… au bout du compte, à force de se faciliter la tâche, il est logique de « supprimer » la tâche. Nous y sommes. Le problème n’est donc pas l’absence de travail qui est la conséquence logique de l’évolution humaine.
Le problème est l’organisation de notre système économique. Le problème est la répartition de la création des richesses sans passer par la case salaire. Le problème c’est de maintenir des incitations positives pour ne pas tomber dans les défauts d’une société sans stimulation comme ce fût le cas de l’expérience soviétique… désastreuse. Le problème c’est de dépasser nos conceptions totalement erronées de l’économie. En 1932 certains en avaient déjà parfaitement conscience.
Cette fois, nous y sommes. La question c’est comment aborder collectivement et individuellement ces sujets.
Préparez-vous car il est déjà trop tard !
Article Ecrit par Charles Sannat pour son blog Insolentiae