Affaire Bouvier-Rybolovlev : de l’art et des milliards

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Par Rédacteur Modifié le 25 janvier 2020 à 17h17
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450 MILLIONS $Le Salvador Mundi de Leonard de Vinci a été vendu 450 millions de dollars.

Le milliardaire russe accuse son ancien intermédiaire en art d'avoir empoché d'énormes plus-values lors de la vente de toiles de maîtres. L'affaire, qui implique la maison d'enchères Sotheby's, est désormais devant les tribunaux.

Picasso, Van Gogh, Klimt, Renoir, Chagall, Modigliani, Rothko, Monet, El Greco, et même, avant d'être revendu au prince héritier saoudien pour 450 millions de dollars, le célébrissime Salvator Mundi, attribué à Léonard de Vinci : peu de musées au monde peuvent se flatter d'abriter dans leurs galeries et réserves autant de chefs d'oeuvres qu'en possède dans sa collection Dmitri Rybolovlev. Rybolovlev, qui a fait fortune dans le secteur des engrais et détient le club de football de l'AS Monaco, a depuis plusieurs décennies quitté son pays d'origine pour les montagnes suisses et leur capitale : Genève.

C'est à Genève que l'homme d'affaires a développé un goût pour les toiles de maîtres. A Genève, également, qu'il a rencontré par l'intermédiaire de son dentiste un homme qui lui fut alors présenté comme à même de l'aider à se constituer une collection digne des plus grands mécènes : Yves Bouvier, le patron de la société Natural Le Coultre, fondateur de plusieurs ports-francs situés en Suisse, au Luxembourg ou à Singapour, et à ses heures perdues intermédiaire en art pour le compte des grandes fortunes de ce monde. A Genève, enfin, que le milliardaire a saisi la justice contre ce même Yves Bouvier, l'accusant d'avoir systématiquement surfacturé les œuvres d'art qu'il l'avait chargé de dénicher avant de les lui revendre.

Bouvier-Rybolovlev : de l’idylle à la rupture

La collaboration entre Dmitri Rybolovlev et Yves Bouvier s'est étendue sur une dizaine d'années. Un partenariat aussi fructueux qu'informel, le Suisse étant chargé par le Russe de rechercher, grâce à ses contacts dans le milieu de l'art, des toiles susceptibles de plaire à son client, de négocier leur prix, de les acheter sans mentionner le nom de Rybolovlev et, enfin, de les lui céder moyennant une commission fixée, selon Rybolovlev et ses conseils, à 2% du prix d'achat. « Tout était basé sur la confiance. Il n'y avait pas d'accord écrit », rappellent les avocats du collectionneur. De fait, jamais Rybolovlev n'a reçu de Bouvier la moindre facture, ni le moindre document témoignant des montants effectivement versés aux vendeurs. Bouvier délivrait, la collection s'agrandissait, en taille comme en prestige. La confiance, encore une fois, régnait.

Jusqu'à cette veille de la nouvelle année 2015. Au cours d'une soirée mondaine, Rybolovlev fait la connaissance d'un expert en art, Sanford Heller, lui-même proche du vendeur d'un tableau de Modigliani acquis par le Russe pour 118 millions de dollars. Problème, révèle un Heller loin de se douter de la supercherie, son ami n'en a demandé, et obtenu, « que » 93 millions. Quelque 25 millions de dollars se sont donc volatilisés dans la nature – ou plutôt, en conclut rapidement Rybolovlev, dans les poches d'Yves Bouvier. Cette révélation vient renforcer les soupçons du milliardaire, qui a découvert dans la presse quelques semaines auparavant que son acquisition, en 2013, du Salvator Mundi de Léonard de Vinci, n'a rapporté que 75 millions de dollars à son vendeur. En 24 heures, Yves Bouvier en aurait obtenu 127,5 millions, soit une plus-value de 50% du prix d'origine.

Sotheby's mouillé ?

Cette fois, le doute n'est plus permis. Rybolovlev en a la conviction, l'intermédiaire suisse se joue de lui. En sus de sa commission de 2%, il apparaît qu'Yves Bouvier surfacturerait de manière systématique les œuvres qu'il achète pour Rybolovlev, en empochant la différence. Le montant du préjudice, portant sur une quarantaine d'oeuvres acquises pour plus de 2 milliards de francs suisses, est estimé à 800 millions de francs suisses. Rybolovlev cesse toute collaboration avec son ex-intermédiaire, contre lequel il intente des poursuites judiciaires à New York, Monaco, Singapour et Genève. Bouvier est brièvement arrêté par la justice monégasque, qu'il accusera par la suite de rouler pour le compte de son ancien client, provoquant un mini-séisme politico-judiciaire sur le Rocher.

Un épisode qui pourrait avoir connu son épilogue le 12 décembre dernier, la justice monégasque ayant reconnu que l’arrestation d’Yves Bouvier, les investigations l’entourant et son inculpation n’ayant pas été faites dans le respect de ses droits. Toutefois, si la requête en nullité du marchand d’art a été couronnée de succès, ce dernier estimant qu’avec « cette victoire sur toute la ligne, nous avons prouvé ce que nous affirmions depuis le début : que la procédure était partiale, conçue sur mesure pour l’Oligarque russe », Dmitri Rybolovlev a fait appel de cette décision. Ses avocats suisses rappellent que cette décision « reste purement procédurale et n’impacte pas la procédure en cours à Genève ».

Sur le fond, les faits paraissent accablants : les échanges de courriels exhumés par les avocats du tycoon russe semblent témoigner du caractère systématique de la pratique de surfacturation, l'intermédiaire poussant régulièrement son client à acheter des toiles sans prendre le temps de réflexion nécessaire à de tels investissements. D'autres emails, échangés cette fois entre Bouvier et la maison d'enchères new-yorkaise Sotheby's, tendent quant à eux à démontrer l'implication de la vénérable institution dans ce vaste système d'escroquerie. Sotheby's savait que le marchand d'art roulait son client, et Sotheby's s'est tu. Ce nouveau volet de l'affaire Bouvier-Rybolovlev, qui dépasse, de loin, le conflit entre deux particuliers pour remettre en cause l'intégrité d'un géant mondial des enchères et du marché de l'art, pourrait bien occuper les tribunaux, et le devant de la scène médiatique, pour de longues années.

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