Thon en boîte : deux ONG mènent Carrefour devant la justice

Alors que Carrefour se présente comme un acteur responsable du secteur de la grande distribution, deux ONG l’accusent d’ignorer des pratiques dangereuses dans sa filière thonière. Travail forcé, surexploitation des ressources et pollution marine : BLOOM et Foodwatch portent l’affaire devant la justice, dénonçant un cynisme stratégique de l’enseigne.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 17 mars 2025 à 14h31
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42 %42 % des violations des droits en mer concernent des navires thoniers.

Le 17 mars 2025, les ONG BLOOM et Foodwatch ont assigné Carrefour devant le tribunal judiciaire de Paris, l’accusant de manquement à son devoir de vigilance dans sa filière thonière. Après deux années de mises en demeure infructueuses, les associations dénoncent des pratiques néfastes pour l’environnement, la santé et les droits humains.

Des pratiques de pêche destructrices et opaques chez Carrefour

Selon BLOOM et Foodwatch, Carrefour ne contrôlerait pas suffisamment l’origine du thon qu’il commercialise, permettant ainsi l'utilisation de dispositifs de concentration de poissons (DCP). Ces équipements sont pointés du doigt pour leur rôle dans la surexploitation des stocks de thons tropicaux, capturant au passage de nombreuses espèces non ciblées comme les tortues et les requins. Une méthode décriée par les défenseurs de l’environnement, mais que Carrefour n’interdit toujours pas dans ses approvisionnements.

De plus, les ONG accusent le distributeur de manquer de transparence sur ses chaînes d’approvisionnement. Son dernier rapport RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) ne fournirait aucune preuve tangible démontrant que son thon est pêché dans des conditions respectueuses des écosystèmes marins.

Santé des consommateurs : un risque ignoré ?

Le thon est l’un des poissons les plus prisés des consommateurs français. Pourtant, BLOOM et Foodwatch dénoncent une contamination excessive au mercure dans les produits Carrefour. Elles rappellent qu’en octobre 2024, elles avaient déjà révélé des teneurs en mercure largement supérieures aux recommandations sanitaires internationales, un danger avéré pour la santé humaine, particulièrement pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Les associations exigent que Carrefour fixe une limite maximale de mercure plus stricte pour le thon en conserve, alignée sur les recommandations les plus protectrices. Mais l’enseigne reste silencieuse sur ce point, se réfugiant derrière les normes européennes actuelles, jugées trop laxistes par les ONG. Foodwatch insiste sur le fait que malgré les alertes et la mobilisation de plus de 50 000 consommateurs, Carrefour refuserait toujours d’appliquer un seuil de mercure plus bas, mettant ainsi en danger la santé des Français.

Travail forcé et abus dans la filière thonière

La filière thonière n’est pas seulement une menace pour les océans. Elle est aussi le théâtre de graves violations des droits humains. BLOOM et Foodwatch rappellent que 42 % des violations des droits en mer concernent des navires thoniers. Conditions de travail déplorables, salaires misérables, voire travail forcé et malnutrition : un rapport publié par les ONG en 2024 détaille les pratiques inhumaines qui persistent dans certains fournisseurs de Carrefour.

Malgré son obligation légale de vigilance, imposée par la loi du 27 mars 2017, Carrefour serait incapable d’assurer que ses conserves de thon sont exemptes de travail forcé. Une accusation lourde, qui pourrait obliger l’enseigne à revoir entièrement ses pratiques si la justice lui donne tort.

Carrefour se défend mais reste évasif

Face à ces accusations, le groupe Carrefour conteste fermement la plainte et défend son engagement en faveur d’une pêche durable. L’enseigne assure avoir stoppé tout approvisionnement en thon albacore pêché dans l’océan Indien et réaffirme ses engagements pour une pêche responsable.

Carrefour ne se contente pas de nier les faits. Il accuse BLOOM de chercher à imposer l’arrêt total de la vente de thon dans ses magasins. Cette riposte vise à décrédibiliser l’ONG, sans pour autant répondre aux critiques précises formulées sur le mercure, le travail forcé ou l’impact environnemental de la filière.

Un jugement à fort enjeu pour la grande distribution

Si les ONG remportent ce procès, Carrefour pourrait être contraint sous astreinte de revoir en profondeur ses pratiques. La justice pourrait exiger une transparence totale sur ses fournisseurs et des normes plus strictes sur le mercure et les méthodes de pêche. Un verdict en faveur des ONG pourrait aussi inciter d’autres enseignes à revoir leur politique d’approvisionnement, sous la pression des consommateurs.

Cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large : l’Union européenne débat actuellement d’un renforcement de la directive sur le devoir de vigilance, visant à responsabiliser les multinationales sur leurs chaînes de production mondialisées. Une victoire judiciaire contre Carrefour pourrait donc faire jurisprudence et obliger d’autres groupes à revoir leurs engagements environnementaux et sociaux.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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