Teleperformance est une entreprise française qui fait partie du CAC40. Avec un chiffre d’affaires de 7,1 milliards d’euros en 2021, Teleperformance est le leader mondial incontesté des centres d’appel et autres services à distance pour les entreprises.
Teleperformance et les dangers d’un ESG « normatif »
L’entreprise est très appréciée de la communauté des investisseurs ESG qui détiennent plus de 20% de son capital. MSCI et Sustainalytics, les deux plus grandes agences de notations ESG, accordent de très bons scores à Teleperformance.
Le métier de Teleperformance a cependant une particularité qui est aussi sa fragilité, il nécessite d’employer un très grand nombre de personnes, avec des salaires faibles pour remplir des tâches nécessaires mais répétitives. La conséquence est que malgré les efforts de formation et autres initiatives, la fidélité des employés est faible. Au 1er janvier 2021, Teleperformance comptait 308000 salariés en CDI. Au cours de l’année, 57500 licenciements ont eu lieu ainsi que 254800 autres départs. La somme de ces deux chiffres, 312300, est supérieure au nombre de CDI au 1er janvier, le taux de rotation des effectifs est donc supérieur à 100%. Il a fallu compenser ces départs avec 336500 embauches en CDI*.
Malgré cette fragilité qui oblige l’entreprise à optimiser des salaires déjà très faibles et à délocaliser dès que possible, ses scores ESG restent très bons. Les agences de notation soulignent ce que Teleperformance met en avant dans son rapport annuel : l’entreprise a été reconnue comme l’un des 25 meilleurs employeurs au monde par Fortune et Great Place to Work. On pourrait cependant questionner la signification de tels résultats quand on sait que les employés de l’entreprise restent en moyenne moins d’un an. Mais les agences de notation s’attachent à la quantité d’information publiée plutôt qu’à l’analyse qualitative. Et Teleperformance, leur fournit ce qu’elles cherchent : 75 pages de déclarations extra-financières dans son rapport annuel 2021.
Le 10 novembre 2022, cette fragilité refait surface. Le cours de l’action Teleperformance baisse de 35% en quelques heures, puis est suspendu à la demande de l’entreprise. 4,5 milliards d’euros de capitalisation boursière ont soudainement disparu. A l’origine de ce choc, une nouvelle qui vient de Colombie : le ministre en charge des conditions de travail aurait lancé une enquête contre Teleperformance concernant les conditions de travail des employés qui s’occupent de la modération des contenus de TikTok, client de Téléperformance. Avant même que la société n’ait reçue cette information directement ni qu’elle ait eu le droit de se défendre, les investisseurs ESG, agissant sous le diktat des agences de notations, se débarrassent en masse de leurs actions.
Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que les agences de notations évaluent le niveau de sévérité des polémiques qui touchent les entreprises. Ces polémiques sont appelées controverses dans le jargon ESG. Une controverse grave aura un score maximum de 5. Si une entreprise fait l’objet d’une telle controverse, les fonds ESG doivent vendre automatiquement leurs actions. Teleperformance n’a pas de controverse de niveau 5, seulement de niveau 2 selon Sustainalytics. Mais c’est l’anticipation que, peut-être, le niveau de controverse pourrait passer à 5, à la suite de cette nouvelle en provenance de Colombie, qui fait vendre tous ces fonds ESG. Autrement dit, au lieu de faire un vrai travail d’investigation avant de prendre une décision, de laisser à l’entreprise la chance de s’expliquer, les fonds ESG sont contraints d’agir en fonction de leurs anticipations des futures notes des agences de notation !
Ceux qui investissent par convictions dans ces fonds ESG sont les premières victimes des incohérences du « système » ESG ». Par souci de simplification et volonté de moraliser la vie des affaires, le système ESG fonctionne à partir de dogmes et de « cases à cocher ». L’analyse et le jugement sont sous-traitée à des agences de notation toutes puissantes dont les méthodes sont obscures et les scores souvent contradictoires. Il en découle un cadre rigide et complexe qui ne rend pas service à la cause ESG.
« L’affaire Teleperformance » est riche d’enseignement : l’ESG est une cause noble, mais elle se vit plutôt qu’elle ne se dicte. Un véritable investisseur ESG est avant tout un investisseur responsable, pour qui rien ne remplace un travail d’investigation approfondi et une connaissance intime de l’entreprise. Les raccourcis quantitatifs proposés par des agences de notation ont leurs limites. L’investisseur responsable n’est pas manichéen, il sait faire preuve de bon sens et de pragmatisme.
*Teleperformance : Document d’enregistrement universel 2021, p86
NB : BDL Capital Management n’a pas de positions sur Teleperformance, ni Long, ni Short