Salaire : Qui gagne vraiment plus ? le choc public contre privé

Entre le prestige supposé du statut public et les clichés sur la compétitivité du privé, une question continue d’agiter les esprits : qui gagne vraiment plus ? L’Insee a tenté de répondre… et le résultat de son analyse a de quoi étonner.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Publié le 21 mars 2025 à 6h53
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salaire, smic, revalorisation, insee, inflation, france - © Economie Matin
9,1%En 1995, le salaire net moyen en équivalent temps plein (EQTP) était supérieur de 9,1 % dans la fonction publique

Le 20 mars 2025, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publié une nouvelle analyse explosive sur la différence de rémunération entre fonction publique et secteur privé, jetant un pavé dans la mare des idées reçues. Derrière les moyennes se cachent des réalités sociales, économiques et territoriales bien plus complexes qu’il n’y paraît. Et les chiffres, eux, ne mentent pas.

Salaire : un écart croissant en faveur du privé à travail égal

C’est un renversement silencieux mais brutal. Alors qu’en 1995, le salaire net moyen en équivalent temps plein (EQTP) était supérieur de 9,1 % dans la fonction publique, la situation s’est totalement inversée. Depuis 2013, c’est désormais le secteur privé qui domine. En 2021, l’Insee constate un écart de -3,7 % au détriment des agents publics à temps de travail identique : « Le salaire annuel net en EQTP d’un salarié de la fonction publique est en moyenne de 29 450 euros, inférieur de 3,7 % à celui du secteur privé » (Insee Première, n°2043, mars 2025).

Comment expliquer cette bascule ? Par l’atonie volontaire des grilles salariales publiques. L’évolution du salaire dans la fonction publique est bridée par un point d’indice gelé pendant plus d’une décennie (2010-2021, hors +1,2 % en 2016-2017), tandis que dans le privé, les revalorisations du SMIC, les négociations de branche et une évolution structurelle des métiers (plus de cadres) ont fait grimper les rémunérations.

Public : plus d’argent, mais pour plus d’effort

Un paradoxe de taille s’impose toutefois. Malgré un salaire moyen inférieur à travail égal, les agents publics gagnent davantage sur l’année entière. Pourquoi ? Parce qu’ils travaillent plus longtemps. Ils sont moins souvent interrompus entre deux contrats, contrairement aux salariés précaires du privé (intérim, CDD, saisonniers). Résultat : le revenu salarial annuel est supérieur de 9,3 % dans le public (24 070 euros contre 22 040 euros) (Insee Première, n°2043). L’Insee résume : « Cette différence provient d’abord de différences de volume annuel de travail en EQTP : celui de la fonction publique est en moyenne supérieur de 13,5 % à celui du secteur privé ».

Mais soyons clairs : cet écart global ne dit rien du rendement horaire. Ce que gagne réellement un fonctionnaire à temps plein est moins élevé. Une injustice d’autant plus frustrante que la fonction publique exige en moyenne un niveau de diplôme supérieur.

Salaire : des inégalités selon le sexe, l’âge et la catégorie sociale

Les écarts de salaire entre public et privé ne sont pas les mêmes pour tous. À commencer par les femmes. Majoritaires dans la fonction publique (64 %), elles sont mieux rémunérées que leurs homologues du privé : +1,3 % en EQTP (27 980 euros contre 27 630 euros). Chez les hommes, c’est l’inverse : le privé les paie mieux de 2 %.

Les écarts s’accentuent encore avec l’âge. Chez les 25-39 ans, le salaire net EQTP du public est inférieur de 6,2 %. Chez les 40-49 ans : -8,7 %. Chez les 50-54 ans : -8 %. Et même chez les seniors, le privé paie mieux (-7,4 % pour les 55 ans ou plus). Pourtant, dans toutes ces tranches, les agents publics ont un volume de travail plus élevé, ce qui atténue légèrement l’inégalité du revenu.

Par catégorie professionnelle, l’écart devient carrément indécent. Les cadres du public gagnent 19,7 % de moins que ceux du privé. Leur revenu salarial annuel est inférieur de 16,9 %. Pour les ouvriers ou les employés, le rapport s’inverse : +27,4 % et +30,6 % pour les agents publics, grâce à leur présence continue en emploi.

Salaires : le privé concentre les extrêmes

Mais le véritable gouffre se joue ailleurs : dans la dispersion des salaires. Le privé cultive l’extrême : 51 % des salariés y gagnent moins de 2 050 euros nets par mois, contre 43 % dans la fonction publique. En bas de l’échelle, 27 % gagnent moins de 1 650 euros, contre 18 % dans le public. Mais en haut ? 0,9 % des salariés du privé dépassent les 10 000 euros nets mensuels, contre seulement 0,2 % dans le public.

Les rapports interdéciles (D9/D1) révèlent des écarts bien plus forts dans le privé, signe d’un système inégalitaire et peu redistributif. Là où le public aplanit les revenus, le privé crée des élites salariales.

Diplômes, contrats, nationalité : la grille se complexifie

Et ce n’est pas tout. Les salariés titulaires d’un diplôme supérieur à bac +2 gagnent 23,9 % de plus dans le privé. Le rendement salarial du diplôme est donc plus élevé hors secteur public.

Les immigrés aussi subissent une double peine. Leur salaire EQTP est 7 % inférieur dans le privé, contre 2 % dans le public. Quant aux temps partiels, ils sont moins pénalisants dans la fonction publique, grâce à des mécanismes de compensation partiellement protecteurs.

Enfin, l’Insee note que les fonctionnaires bénéficient de revenus plus stables et de revalorisations automatiques (selon l’ancienneté), là où les contractuels du privé sont à la merci de la négociation individuelle.

Faut-il choisir entre stabilité sous-payée et risque mieux rémunéré ? Entre égalité salariale bridée et méritocratie inégalitaire ? La différence de salaire entre public et privé n’est ni univoque ni simple. Si les agents du public sont aujourd’hui moins bien payés à travail égal, ce sont souvent eux qui assurent le service permanent, sans coupure, sans parachute. Peut-être est-il temps que cela se voie aussi sur leur fiche de travail ?

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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