Le traitement de la donnée est au cœur de l’investissement durable. Pour les institutions financières, si le recours à la technologie s’avère indispensable, l’intelligence artificielle (IA) risque de créer des « boîtes noires » bien éloignées de la transparence souhaitée par les investisseurs, les régulateurs et les épargnants.
Pourquoi l’IA ne révolutionnera pas la finance durable ?
Pour répondre à l’urgence climatique et enclencher une transition juste, les financements vers les activités durables doivent se multiplier. D'un côté, les pouvoirs publics imposent aux institutions financières une réglementation de plus en plus stricte et de l'autre, les épargnants demandent davantage d'informations et de transparence sur la durabilité de leurs investissements.
Afin de répondre à ces nouvelles exigences, les gérants de fonds d’investissement doivent rapidement augmenter le niveau d’ambition de leurs stratégies d’investissement. Mais analyser une stratégie climat ou comprendre si une entreprise favorise l’égalité F/H nécessite des données, de l’analyse et du temps.
Même si le coût d’accession de ces données ESG finit par représenter un poste de dépenses conséquent, leur accès reste ce qu’il y a de plus simple : il existe des millions de données ESG qui circulent et accessibles via les data providers. La difficulté commence quand il s’agit de les comprendre et de les traiter.
A titre d'exemple, certains acteurs doivent récolter leurs données via une dizaine de fournisseurs différents et devra traiter environ 20 millions de points de données. Ensuite, il lui faudra comprendre les différences de données brutes entre chacun de ces fournisseurs, avant de faire son choix d’investissement.
Autre problème potentiel : les visions différentes.
Un fournisseur américain peut avoir une vision différente d’un fournisseur européen sur certaines thématiques. Selon une vision européenne un bon management serait défini comme permettant l’épanouissement des collaborateurs tandis que selon une vision plus américaine, les résultats conditionneraient la qualité du management.
Enfin, le manque de transparence sur leur origine ou encore la méthodologie employée pour produire ces données peuvent finir par rendre inintelligible leur exploitation. Ainsi, faute d’expertise, de données de qualité suffisante et des déficiences dans les processus internes, les institutions financières peuvent faire l'objet d'accusations de greenwashing.
Les « boîtes noires » de l’IA
Pour venir en aide aux acteurs financiers, le recours à la technologie est devenu essentiel et beaucoup voient l'intelligence artificielle comme la solution idéale pour parvenir à une exploitation optimale des données disponibles. En un sens, l'IA peut être une béquille sur laquelle s'appuyer et peut faire gagner un temps considérable aux gestionnaires de portefeuille, avec notamment le traitement de contenus écrits grâce au Natural Language Processing. Cette branche de l’intelligence artificielle pourrait contribuer à traiter plus facilement des données ESG, comme par exemple celles issues des rapports annuels. D’autres outils permettent d’anticiper des événements tels qu’un conflit, la faillite d'une entreprise, des catastrophes naturelles ou mesurer l’impact des activités sur le changement climatique, l'apparition d'une controverse ESG ou d'identifier les sujets qui émergent dans un domaine donné : nouveaux risques liés au changement climatique, discussions sur de nouvelles réglementations, etc.
Le recours à l’IA peut également permettre de « combler les trous », c’est-à-dire de trouver ou de construire les données manquantes. C’est notamment le cas de l’entreprise…
Mais aussi pratiques et rapides soient-elles, ces données récoltées via l’IA sont souvent tronquées, non évolutives ou approximatives. Le risque ici est de créer des « boîtes noires » qui conduisent les acteurs financiers à perdre la main sur les données, là où l’objectif premier est au contraire de s’en rapprocher.
L’affaire Orpea illustre bien l’importance d’aller au-delà de la donnée brute, de ne pas se reposer mécaniquement sur des scores ESG sans en comprendre la construction mais au contraire de s’approprier les données ESG à disposition et de disposer de métriques ESG plus granulaires pour détecter les signaux faibles liés à l’ESG. Dans le cas d’Orpéa, cela aurait permis de comprendre le business model de l’entreprise et ses problèmes (par exemple, le turnover du personnel soignant).
Une donnée plus fine, évolutive et agile
Avec les nombreuses évolutions réglementaires, le temps de développement de collecte, d’intégration et d’analyse des données doit être agile et évolutif.
Des systèmes de pilotage et de monitoring sont nécessaires pour permettre de suivre l’évolution des indicateurs clés à l’instant T, mais aussi de conserver la granularité des données afin d’identifier les investissements pertinents au regard des enjeux en matière de durabilité.
Bien compliqué à internaliser, ce travail est aujourd’hui l’apanage d’experts agiles, fintech pour la plupart, qui offrent aux acteurs financiers le juste équilibre pour parvenir à maîtriser la technologie sans se laisser dépasser par elle.
La technologie doit venir soulager le quotidien des équipes pour leur permettre de gagner du temps et de se recentrer sur l’essentiel : améliorer leurs pratiques de durabilité.
En revanche, la technologie ne doit pas les remplacer. Aucun acteur financier ne souhaite déléguer son cœur de métier et encore moins quand cela touche à son image et engendre de potentielles poursuites réglementaires.