Retraites : quand les sots se crêpent le chignon

Les Français assistent à un affrontement entre organisations (syndicats et Gouvernement) qui montre, hélas, que ni les uns ni les autres n’ont compris la problématique des retraites. Les deux parties qui s’affrontent communient dans une croyance quasi magique selon laquelle les retraites des actuels actifs se prépareraient par le versement de cotisations prélevées sur les salaires ou autres revenus professionnels.

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h29
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80%80% des 35-49 ans ne veulent pas de la réforme des retraites.

Certes, c’est ce que dit la loi, mais celle-ci n’a aucun rapport avec la réalité. En fait, les cotisations ouvrent des droits à pensions futures, mais ne préparent en rien lesdites pensions futures, puisque ces cotisations sont utilisées, au fur et à mesure de leur versement, pour payer les pensions qui ont été « liquidées ». En l’absence d’une miraculeuse ubiquité, l’argent versé aux retraités ne peut pas l’être également à un fonds dans lequel, par la suite, la caisse de retraites puiserait pour honorer ses promesses de pensions. Lesdites promesses sont donc honorées en versant aux retraités l’argent en provenance des cotisants : la formule « retraites par répartition » exclut que cet argent soit épargné, si ce n’est à dose homéopathique.

La dissimulation du rôle attribué au capital humain

Le droit positif qui s’applique aux retraites dites « par répartition » a été formaté d’une façon qui dissimule le véritable fonctionnement des systèmes de retraites. Les droits à pension attribués au fil des ans et de l’activité professionnelle le sont, juridiquement, comme dans un régime de retraites par capitalisation, parce que des cotisations ont été versées. Mais, à la différence des retraites dites par capitalisation, ces rentrées d’argent sont, pour l’essentiel, immédiatement utilisées à payer les pensions. En apparence, il n’y a donc pas de capitalisation. En apparence seulement, car en réalité le système de retraites dites par répartition compte entièrement sur le capital humain – les cotisants. Un non-dit extraordinaire relatif au capital humain réside au cœur de la législation des retraites par répartition. Il est clair que s’il n’y avait pas de production de capital humain, les retraites dites par répartition ne fonctionneraient pas : elles dépendent entièrement de l’arrivée de nouveaux cotisants. En l’absence de naissances le système s’effondrerait, quelques décennies plus tard, faute de cotisants.

Plus c’est gros, mieux ça passe !

Cette réalité toute simple est soigneusement dissimulée par les institutions, qui distribuent des droits à pension sans rapport avec la production de capital humain. Pour rassurer les actifs qui cotisent au profit des retraités, le législateur leur a dit en substance : « cotisez au profit des vieux si vous voulez avoir des droits à pension ». Comme si les morts allaient sortir du tombeau et se remettre au travail ! Et pourtant cet énorme mensonge confirme le dicton : « en matière de mensonge, plus c’est gros, mieux ça passe ! » La vérité est pourtant simple : les retraites dites « par répartition » se préparent en mettant au monde des enfants et en leur donnant une solide formation. Le bon sens voudrait donc que les droits à pension soient attribués au prorata des investissements réalisés dans les futurs producteurs, c’est-à-dire au prorata des naissances et de la formation des jeunes, mais le législateur, en matière de retraites, a répudié le bon sens.

La réforme à effectuer

Ces constats et analyses débouchent évidemment sur des propositions de réforme très conséquentes. En premier lieu, il faudra renoncer à l’actuelle attribution des droits à pension en raison des cotisations versées au profit des personnes âgées. Cette attribution doit se faire en raison et au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse, puisque c’est en investissant dans le capital humain que l’on prépare effectivement les futures pensions de retraite. Les parents, et particulièrement les mères, seront à juste titre bénéficiaires de droits à pension, puisqu’ils contribuent de façon décisive à la préparation des futures retraites.

Un tel retour à la réalité, après des décennies de mensonge législatif permettant d’attribuer les droits à pension sur des bases ubuesques, dynamiserait fortement à la fois notre économie et notre sentiment patriotique. De même qu’un bon salaire justement perçu pour un bon travail contribue puissamment à l’efficacité économique, de même la promesse d’une bonne pension de retraite lorsqu’on participe généreusement à l’investissement dans le capital humain serait-elle favorable au dynamisme économique et démographique.

Proportionner les droits à pension à l’investissement réalisé dans le capital humain serait à la fois juste et dynamisant

La sagesse populaire enseigne « on ne prend pas les mouches avec du vinaigre ». Pourtant, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux n’incitent pas au dynamisme démographique quand ils accordent des pensions d’autant plus confortables que le cotisant a sacrifié la procréation et l’éducation des enfants qu’il aurait pu avoir pour miser totalement sur sa carrière professionnelle. Le dynamisme de l’économie tient certes à la place accordée au travail, mais il a également besoin d’un important investissement dans le capital humain.

Autrement dit, le fait d’engendrer et élever des enfants devrait, comme le travail professionnel, être reconnu à sa juste valeur. Presque tout accorder au facteur travail, et fort peu à la mise au monde et à l’éducation des enfants, ce n’est pas la bonne solution ! Il serait très profitable de récompenser par les droits à pension non seulement le travail professionnel, mais aussi et surtout la mise au monde et l’éducation des enfants. Que ceux qui en ont le pouvoir, gouvernants et législateurs, s’intéressent donc à une réforme des retraites qui irait enfin dans le sens d’une juste reconnaissance du service rendu à la nation en mettant au monde et en élevant des enfants.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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